huitième assemblée et cinquantenaire

Faisons route ensemble
Introduction: troisième partie
Nicolas Lossky



Organisation de l'Assemblée
Comme il a été dit plus haut, la Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises présentait des particularités par rapport aux précédentes. L'une de celles-ci touchait à son organisation générale. Tout d'abord, elle a été plus courte de quelques jours ce qui a eu pour conséquence un rythme de travail assez intense, l'ordre du jour étant aussi chargé que par le passé. Les séances du soir ont été presque quotidiennes. Les Commissions ont travaillé, sans discontinuer, en particulier par exemple aux heures des repas. En dépit de cette presse, il faut rendre hommage aux participants, et surtout aux membres du personnel et aux responsables à tous les niveaux divers qui ont fait preuve d'une patience exemplaire. Et pourtant la tâche était éprouvante.

Les séances plénières d'ouverture, délibérantes, générales, administratives et de clôture, ont été réparties sur les onze jours disponibles sur douze (le dimanche 13 décembre étant consacré, le matin, aux visites dans les paroisses locales et l'après-midi à la célébration du Jubilé suivi de l'Office de renouvellement de l'engagement dans le mouvement oecuménique et dans le COE). Tout naturellement, le travail a pris du retard et l'ordre du jour a dû déborder d'une séance à une autre. Cependant le travail a été terminé dans l'après-midi du lundi 14 décembre, empiétant légèrement sur ce qui devait être la séance de clôture, suivie du culte final.

Ces séances plénières, et c'est là que résidait l'originalité de l'Assemblée de Harare, ont été entrecoupées ou alternées, à partir du lundi 7 décembre, avec des "réunions d'information-débat" (Hearings) réparties en deux phases. La première de ces phases était consacrée essentiellement à une évaluation du travail effectué durant les sept dernières années (1991 à 1998). Ceci pour éclairer le Comité d'orientation du programme dans sa préparation du rapport sur ce qui a été fait et la présentation de recommandations pour les années à venir. Le 7 décembre, cinq "Réunions d'information-débat" (Hearings) ont tenu chacune trois séances simultanément: une série consacrée au Secrétariat général et une série sur chacune des quatre Unités qui constituent le COE ("Unité et renouveau", "Les Eglises en mission: santé, éducation, témoignage", "Justice, paix et création" et "Partage et service".

Le Secrétariat général a passé en revue le travail fait par ses bureaux et services depuis Canberra 1991: (a) Relations avec les Eglises et la communauté oecuménique, (b) Relations interreligieuses, (c) Communication, (d) Institut oecuménique de Bossey, (e) Finances. Le bilan général a été dans l'ensemble positif mais avec reconnaissance honnête également des points faibles. En plus du bilan, le Secrétariat général a également esquissé des perspectives d'amélioration et d'orientation pour les tâches à venir du COE.

L'Unité I: "Unité et renouveau" a présenté le travail des quatre "courants" (streams) qui la constituent: (a) "Foi et constitution" (dont, faut-il le rappeler, l'Eglise catholique est membre à part entière), (b) "Participation des laïcs à la création d'une communauté sans exclusive", (c) "Formation théologique oecuménique", (d) "Culte et spiritualité". Ce qui frappe, c'est la présence et la participation active de jeunes théologiens. A "Foi et constitution" on a beaucoup insisté sur l'importance de l'unité visible des chrétiens avec références à la Conférence mondiale de Saint-Jacques-de-Compostelle de 1993. A la "Participation des laïcs", l'accent a été mis sur la pleine appartenance à l'Eglise des handicapés et également sur le caractère ecclésiologique du laïcat: "laïc" vient du grec "laos" = Peuple de Dieu ("la vraie ordination, c'est le baptême" a dit un orthodoxe). A la "Formation théologique oecuménique", on a souligné l'importance de l'éducation pour la transmission rénovée du mouvement oecuménique et l'accès à l'ensemble des fidèles. Dans "Culte et spiritualité", on a évoqué la date commune de Pâques, le caractère inséparable de la prière et de la spiritualité, laquelle est à son tour inséparable de la théologie: la polarisation entre les deux est à surmonter.

L'Unité II: "Les Eglises en mission: santé, éducation, témoignage" a débuté par une introduction musicale et la projection d'une vidéo. Ensuite, vinrent des témoignages suivis de discussions par petits groupes. Thèmes évoqués: le SIDA, la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation, "Evangile et cultures", aide à l'éducation religieuse en Europe centrale et orientale, vision pour l'avenir des activités de l'Unité.

L'Unité III: "Justice, paix et création" a elle aussi débuté par une projection, cette fois de diapositives. Ont été abordés des problèmes qu'on peut appeler "théologie de la vie", les phénomènes liés au changement de climat, la violence, les questions liées aux populations autochtones. Selon les témoignages, il semble qu'il y ait eu un certain manque de lignes directrices.

L'Unité IV: "Partage et service". Ici aussi, introduction avec projection de vidéo. L'accent cette fois est nettement mis sur le thème du Jubilé et de ses conséquences concrètes dans les domaines du partage et du service: l'éthique du partage, le travail auprès des exclus et des marginalisés, les réfugiés et les migrants avec attention particulière accordée aux enfants. Projection de ces thèmes essentiels pour les années à venir.

Pour la deuxième phase, les "réunions d'information-débat", réparties à nouveau sur trois séances les 10 et 11 décembre, étaient au nombre de six et non plus de cinq. Elles ne correspondaient plus cette fois à la structure actuelle du COE comme dans la première phase, mais portaient des noms de thèmes: "Justice et paix", "Unité", "Progresser ensemble", "Formation", "Témoignage" et "Solidarité". Cette deuxième phase devait, autant que possible, intégrer des éléments glanés dans les séances de "Padare" commencées le 8 décembre et orienter vers les perspectives nouvelles des grandes questions du COE au sein, éventuellement, de structures rénovées.

La phase "Padare", autre innovation par rapport aux Assemblées précédentes, avait pour but de permettre des échanges très libres sur tous les sujets touchant aussi bien à l'Eglise qu'à la société, aux problèmes du monde d'aujourd'hui et de demain. S.B. Anastasios, Archevêque de Tirana, de Durrës et de toute l'Albanie, lorsqu'il a entendu la description de ce que représentait le "Padare", a immédiatement traduit: "Ah oui, c'est l'Agora." C'est sans doute la meilleure explication de ce que devait être le Padare. La réalité est beaucoup moins simple. Certaines de ces réunions libres ont sans doute répondu à leur vocation d'échange et d'écoute réciproques ou de spectacles (théâtre, musique). Mais les organisateurs de ces réunions, qui se sont donné beaucoup de mal, avaient souvent des habitudes de type "académique", ce qui avait pour résultat la présence d'intervenants de tables rondes qui avaient tendance à dépasser le temps de parole qui leur était imparti, des questions importantes posées par des auditeurs et un temps insuffisant pour répondre et engager un vrai débat.

Comme on l'a dit, il y avait quelque quatre cents réunions "Padare" simultanément. On comprendra aisément que les responsables des comptes rendus n'ont pas pu, loin de là, suivre tout ce qui se passait. Si donc, tout ne peut pas être dit, deux choses semblent dignes d'être relevées, l'une triste, l'autre plutôt encourageante. La présence au "Padare" étant entièrement libre, n'impliquant aucune inscription préalable (ce qui était demandé aux délégués pour les réunions-débats), certains organisateurs qui avaient investi beaucoup d'énergie et de moyens pour leur "stand", se sont retrouvés sans public et ont été obligés d'annuler leur "Padare". L'autre point, encourageant celui-là, c'est qu'aussi bien dans les réunions-débats que dans les réunions "Padare", les problèmes touchant à l'unité de l'Eglise ont semblé intéresser et ont attiré beaucoup de monde, parmi lesquels on notait la présence de nombreux jeunes, ce qui augure bien de l'avenir du mouvement oecuménique.

Très écouté, le père J.M.R. Tillard o.p., a exprimé, lors de la première phase des réunions-débats de l'Unité I, l'importance de l'unité de l'Eglise dans les termes suivants: "Pourquoi la quête de l'unité visible de l'Eglise est-elle essentielle? Elle l'est au moins pour deux raisons. (1) La première/.../ est évidemment le vouloir explicite du Christ tel qu'il est exprimé spécialement par l'évangile johannique et par l'auteur de la lettre aux Ephésiens. Le Fils, envoyé par le Père, donne sa vie sur la Croix afin de détruire le mur de la haine qui divise l'humanité, et ainsi de rassembler dans l'unité de son Esprit les enfants de Dieu dispersés. Mais la seconde de ces raisons est tout aussi importante. Il est évident pour le Conseil oecuménique que Dieu veut l'Eglise comme inséparablement, la servante de ce pouvoir de la Croix, détruisant les causes du malheur de l'humanité, et le signe montrant d'une façon visible que tout cela n'est pas un rêve naïf, que cette unité est possible parce qu'elle a sa source dans la Trinité, que, à tous ceux et celles qui acceptent l'Evangile, l'Esprit Saint de Dieu donne dans la foi et les sacrements de la foi ce qui est nécessaire pour bâtir l'humanité que Dieu veut, c'est-à-dire une humanité authentiquement humaine, radicalement unie dans une communion qui a son enracinement en Dieu, une koinonia où la puissance de l'amour de Dieu a la victoire sur les puissances de division et de haine. Seule la puissance de Dieu peut accomplir cette oeuvre. (2) Parce que nous sommes divisés même dans notre compréhension des éléments essentiels de la Révélation et dans la célébration des Sacrements, spécialement l'Eucharistie, nous détruisons la crédibilité de cet Evangile de Dieu. En fait, nous proclamons que le pouvoir de la division (l'un des visages principaux du pouvoir du mal) l'emporte sur le pouvoir de la Croix. En effet, même ceux et celles qui ont reçu dans la foi et le baptême l'Esprit du Christ sont divisés et se querellent même au registre des vérités de foi et du sens du Mémorial de son oeuvre suprême, l'Eucharistie. Nous tous, sans exception, contredisons dans le fait de la division ce que nous confessons dans le baptême! Ainsi nous rendons l'Evangile inacceptable pour beaucoup de ceux et celles qui cherchent le salut. La division est une faute contre Dieu avant d'être une faute contre nos frères et nos soeurs. La vocation de Foi et constitution est ainsi au coeur de la mission du Conseil oecuménique et du mouvement oecuménique; non à la périphérie. Sans elle, le Conseil serait blessé dans sa mission. Même la diakonia par laquelle il est instrument de Dieu pour entraîner les Eglises dans le service de l'humanité perdrait sa signification profonde. En effet, celle-ci disparaît lorsqu'il n'est plus possible de reconnaître que dans l'amour et le service de l'humanité souffrante c'est l'unique et indivisible Christ Jésus qui agit dans et par son unique et indivisible corps ecclésial. Le Christ n'est pas et ne peut pas être divisé, ni comme Tête ni comme Corps. Ceci est au coeur des trois tâches essentielles actuellement en chantier à Foi et Constitution: la confession de foi commune; l'interprétation de l'Ecriture dans une commune herméneutique; l'ecclésiologie commune qui doit nous rassembler au nom du Christ, devant Dieu, dans l'Esprit. Toutes trois sont accomplies dans cet Esprit".

Ce texte méritait d'être cité en entier car il représente, théologiquement, l'un des points forts de l'Assemblée et il n'a pas été entendu par tous. Le texte sur l'unité de Canberra, lui, avait été lu et reçu en plénière.


Impressions générales sur l'Assemblée
En dépit des quelques difficultés à tout suivre, dues à la structure de l'Assemblée avec des événements simultanés, l'impression d'ensemble est très positive. Tout s'est déroulé avec discipline et dans une grande dignité. Ceci est largement dû au savoir-faire des responsables, S.S. Aram I, président sortant du Comité central (réélu pour un nouveau mandat par le nouveau Comité central), le secrétaire général, le pasteur Konrad Raiser, les vice-présidents et vice-présidentes. Les Commissions ont fortement contribué au succès du déroulement de l'Assemblée par le travail intense de préparation des rapports soumis aux délégués qui, certes ont proposé des amendements, certains acceptés, d'autres rejetés par le vote. La bonne préparation du travail par les commissions a permis de limiter les discussions sur les propositions d'amendements.

Tout particulièrement, il faut souligner la manière dans l'ensemble calme et sereine dont l'Assemblée a su franchir les passages difficiles, les "turbulences", qui marquent en particulier les séances électives (Comité central, présidents...). A cet égard, il est inévitable de comparer Harare à Canberra où les querelles de procédure, les tensions conflictuelles, les interminables "points d'ordre", les prises de parole "pour occuper le terrain" et bloquer une situation, ont laissé à beaucoup des souvenirs plus que cuisants d'un parlementarisme de bas étage. En ce qui concerne Harare, il faut rendre hommage aux responsables qui ont su éviter tout cela et rester maîtres des situations les plus difficiles (il y en a toujours: l'élection du nouveau Comité central n'a pas pu se faire en une seule séance et a donné du travail supplémentaire au Comité des désignations; les Comités des questions d'actualité et d'orientation du programme ont également été fort sollicités, sans parler du Comité directeur, obligé de réorganiser l'ordre du jour presque quotidiennement).

Les membres du personnel du COE, ainsi que le personnel coopté, ont formé une très bonne équipe, extrêmement sympathique. Ce fut un plaisir de travailler ensemble et de faire face aux inévitables difficultés d'ordre logistique. Il faut exprimer une reconnaissance toute particulière aux interprètes et aux traducteurs sans lesquels il aurait été impossible de tout suivre et de faire le travail qui nous était demandé. De même, le groupe des Stewards était exceptionnellement agréable. Leur sens du service a été remarquable. Lorsque le samedi 5 décembre ils sont venus se présenter tous ensemble en séance plénière, ce sens du service a été admirablement exprimé par celle qui au nom de tous a déclaré: "Nous sommes fiers de servir, comme Jésus a servi." Ils ont fait preuve d'un très bon esprit, très ecclésial. En effet, leur désir de servir le mouvement oecuménique a été exprimé en soulignant qu'ils ne veulent pas de rupture ni d'affrontements entre générations. Tout ceci montre bien qu'ils conçoivent l'Eglise comme une véritable communauté où tous sont membres à part entière et où chaque membre a besoin de tous les autres, aucun ne pouvant dire à un autre: "je n'ai pas besoin de toi!" (cf. 1 Corinthiens 12). L'esprit est tout différent par rapport aux jeunes qui à Canberra avaient envahi une séance plénière avec une banderole menaçante sur le "suicide oecuménique", conséquence d'une participation insuffisante des jeunes.

Il faut dire un mot de la catégorie dite des "visiteurs" qui avaient un programme très légèrement différent des autres. Il semble que certains se soient plaints de ne pas avoir pu véritablement participer à l'Assemblée. Pourtant, toutes les séances plénières qui avaient lieu dans la "Grande salle" (Great Hall), laquelle n'était, certes, accessible qu'aux personnes "autorisées", pouvaient être suivies par retransmission télévisée en direct dans l'immense tente montée tout spécialement à l'intention des visiteurs. Cette "tente des visiteurs" (Visitors' Tent) se dressait tout à côté de la "Grande salle". D'autre part, les réunions d'information-débat étaient parfaitement accessibles et, tout naturellement, les séances de Padare étaient par définition ouvertes à tous. Peut-être le mécontentement de certains visiteurs s'explique-t-il par le trop grand choix offert dans les réunions d'information-débat et surtout le Padare?

Il est encore beaucoup trop tôt pour tenter une évaluation de ce que la Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises représentera dans l'histoire du mouvement oecuménique. Dans l'histoire du Conseil lui-même, il est incontestable que cette Assemblée marque une étape importante. Tout d'abord, c'est le Jubilé avec tout ce que cela implique, en particulier peut-être le renouvellement de l'engagement. Ensuite, l'interrogation du Conseil sur sa propre structure pour faire face, d'une part à l'évolution du mouvement oecuménique, d'autre part au questionnement présenté par les orthodoxes et d'autres avec eux. A cet égard, la mise au travail de la Commission spéciale entre orthodoxes et COE est très importante. Enfin, l'idée d'un Forum comme "espace" oecuménique nouveau fera certainement son chemin.

On peut formuler l'espoir que tout servira le but central du mouvement oecuménique, c'est-à-dire la marche, avec l'aide de Dieu, vers l'unité visible des chrétiens, confessant la même foi, dans toute la richesse que peut apporter la diversité, et partageant une seule Eucharistie, tout ceci "afin que le monde croie...", donc pour servir l'unité de l'humanité.

Il est impossible de ne pas terminer en exprimant une profonde reconnaissance toute particulière au pasteur Colin Davey et à Mme Rosemary Green qui ont eu l'extrême gentillesse de donner leurs notes, détaillées, impeccables, à nous quatre, responsables du rapport officiel de l'Assemblée dans les quatre langues, anglaise, allemande, espagnole et française. Sans cette aide plus que précieuse, nous n'aurions sans doute pas pu surmonter la tâche qui nous était confiée.

Nicolas Lossky

[Nicolas Lossky est Professeur à l'université de Paris X-Nanterre et à l'Institut de théologie orthodoxe Saint Serge à Paris]




Séances plénières et thèmes particuliers

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Huitième Assemblée et Cinquantenaire

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