Aux participants bien-aimés à la Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises: grâce, miséricorde, paix de la part de notre Dieu-Trinité, Père, Fils et Saint Esprit.

De ce Trône saint et apostolique de l'apôtre André, premier disciple appelé, nous saluons chaleureusement les responsables et les participants de cette Assemblée du jubilé qui marque le 50ème anniversaire du Conseil oecuménique des Eglises, en leur adressant ces paroles de saint Paul: "Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout temps; je le répète, réjouissez-vous. Que votre bonté soit reconnue par tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnées d'action de grâce, faites connaître vos demandes à Dieu. Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos coeurs et vos pensées en Jésus Christ." (Philippiens 4, 4-7)

En tant qu'Eglise activement engagée à la fois dans l'édification du mouvement oecuménique contemporain et dans la formation et la création du COE, nous nous réjouissons du fait que ce que le Patriarcat oecuménique prévoyait en 1920, à savoir une "koinonia d'Eglises", a fini par devenir réalité et a servi, pendant cinquante années, la cause sacrée de l'unité chrétienne, tout en s'efforçant d'être un artisan de la réconciliation et de répondre aux nombreux besoins de la société contemporaine.

Le Trône oecuménique de Constantinople, dans la déclaration qu'il a publiée à l'occasion du 25ème anniversaire du COE (1973), a longuement évoqué cette contribution constructive du Conseil à l'oecuménisme, mettant en évidence le rôle qu'il a joué dans la promotion de l'unité chrétienne et son engagement en faveur de la guérison des souffrances humaines. Ces propos ont été repris plus tard lors de la Troisième Conférence panorthodoxe préconciliaire (1986). Celle-ci a souligné avec force que les travaux théologiques entrepris par le Conseil dans le cadre de sa Commission de Foi et constitution avaient servi à réunir les Eglises, tandis que les "nombreuses activités du COE dans les domaines de l'évangélisation, de la diaconie, de la santé, de la formation théologique, du dialogue interreligieux, de la lutte contre le racisme, de la promotion de la paix et de la justice répondaient à des besoins spécifiques des Eglises et du monde et qu'elles offraient des occasions de témoigner et d'agir ensemble".

Le jubilé est un moment de joie et de célébration partagé dans la paix. Et les raisons de se réjouir de ce que le COE et ses Eglises membres ont accompli ne manquent pas. En effet, durant ses cinquante années d'existence, le COE a été un espace où les Eglises, venant d'horizons divers et de traditions et origines ecclésiologiques différentes, ont pu s'entretenir les unes avec les autres et promouvoir l'unité chrétienne, malgré les difficultés manifestes d'une telle entreprise. De leur côté, les Eglises orthodoxes, en participant à la vie du COE, ont pu amener au coeur du large débat oecuménique leur tradition, leur théologie, leur ecclésiologie, leur spiritualité et leur vie liturgique, pour témoigner de leur "foi apostolique au sein de conditions historiques nouvelles et répondre à de nouvelles exigences existentielles" (Troisième Conférence panorthodoxe préconciliaire). C'est précisément cette réalité qu'a reconnue la Conférence interorthodoxe de Thessalonique (mai 1998) lorsqu'elle a affirmé que "le COE a été le lieu où la foi de l'Eglise orthodoxe, sa mission et ses points de vue sur un certain nombre de questions telles que la justice, la paix et l'écologie, ont pu être largement diffusés auprès du monde non orthodoxe".

Il est évident aussi que de nombreuses Eglises orthodoxes de l'ancienne Europe de l'Est, en raison de leur présence au sein du COE, ont surmonté l'isolement qui leur était imposé du fait de la situation politique et sociale de leur pays durant les cinquante ou soixante-dix dernières années. Par ailleurs, le COE, en tant qu'institution appelée à servir les Eglises, a aidé ses Eglises membres orthodoxes de maintes façons, que ce soit dans le domaine du travail pastoral ou de la formation théologique ou dans le domaine généreux de la diaconie, en donnant une expression concrète à la solidarité chrétienne existant entre ses Eglises membres.

Le jubilé est aussi l'occasion de procéder à une évaluation critique des faiblesses et des difficultés rencontrées. Il faut reconnaître que durant ses cinquante années d'existence, le COE a traversé plusieurs périodes de turbulences. De nombreuses divergences théologiques, ecclésiologiques, socio-politiques, culturelles et éthiques ont été au coeur des difficultés que les Eglises membres ont affrontées au sein du Conseil. Ces difficultés sont devenues plus visibles pendant la Septième Assemblée à Canberra, pour prendre ensuite un tour critique lorsqu'une série de positions théologiques et éthiques libérales ont été adoptées et intégrées dans la vie du Conseil par plusieurs Eglises membres, principalement de l'hémisphère Nord.

Le Conseil est à l'évidence un organisme hétérogène. Il est composé d'une multitude d'Eglises membres de traditions théologiques, ecclésiologiques et liturgiques différentes, parfois diamétralement opposées. Cette diversité reflète une double réalité. D'une part, elle met en lumière la grande richesse de la foi chrétienne, exprimée par une diversité d'écoles de pensée théologique, de pratiques liturgiques, d'expressions de la vie spirituelle, de spécificités culturelles. De l'autre, elle reflète la triste réalité de la division des chrétiens, qui est un fait historique de la vie des Eglises et une blessure faite au corps du Christ, l'Eglise, qui devrait être guérie.

L'une des principales tâches de cette Assemblée est de redéfinir la nature du COE et de donner une orientation nouvelle à ses travaux, en poursuivant le débat sur la conception et la vision communes que les Eglises ont du Conseil. Nous sommes toutefois fermement convaincus qu'avant de nous lancer dans la définition de la nature du COE, il nous faut procéder à une analyse théologique et ecclésiologique du terme même de "koinonia", et nous entendre sur une définition claire et sans équivoque de la communauté fraternelle que les Eglises membres vivent au sein du COE. Comme le Patriarcat oecuménique l'a souligné dans son analyse du document "CVC" en novembre 1995: "Après cinquante ans de coopération fructueuse au sein du COE, ses membres doivent tirer au clair la signification et l'étendue de la communauté fraternelle qu'ils vivent en son sein, ainsi que la signification théologique de la koinonia qui est précisément l'objectif et le but du Conseil oecuménique des Eglises, et non pas la réalité donnée." C'est là en fait le principal défi ecclésiologique qui est lancé au COE en ce moment décisif de son existence.

Le rapport de la réunion interorthodoxe de Thessalonique, tant commenté et si souvent mal interprété, réclame une refonte totale des structures du COE, tout en affirmant que les Eglises orthodoxes savent qu'il leur faut continuer de participer à l'action commune des chrétiens sous diverses formes. S'il en est ainsi, c'est parce que ses auteurs estiment que les Eglises membres du Conseil n'ont pas, à ce jour, réussi à vivre cette koinonia, car elles sont prises dans une logique institutionnelle qui, pour diverses raisons, met en péril une participation réelle et significative des orthodoxes au Conseil.

Il est important de souligner que la restructuration du COE n'offre que peu d'options aux Eglises membres. Soit elles doivent considérer le Conseil comme une simple organisation dotée d'une conception institutionnelle du statut de membre et des mécanismes de prise de décision - en fait il organise des conférences et des symposiums théologiques - auquel cas l'unité de l'Eglise se dégagera des négociations et dépendra toujours des relations majorité-minorité entre les Eglises membres. Soit il leur faudra s'efforcer de faire du COE une communauté au sein de laquelle, en vivant, en travaillant, en menant une réflexion théologique et en témoignant ensemble, et surtout en partageant la même vision de ce qu'est l'Eglise, elles parviendront à confesser non seulement le Seigneur un, mais aussi l'Eglise une. La tâche paraît insurmontable compte tenu des différences radicales qui séparent les conceptions ecclésiologiques des Eglises membres. D'où le sens plus profond de ce que ce Trône oecuménique a qualifié de "défi ecclésiologique", et la nécessité impérieuse d'assurer aux orthodoxes une participation "sur un pied d'égalité" au sein du COE, comme l'a proposé la Troisième Conférence panorthodoxe préconciliaire.

Nous ne devons pas nous laisser gagner par le découragement devant l'énormité de la tâche. En dernière analyse, notre engagement en faveur du mouvement oecuménique répond à l'appel du Seigneur à l'unité (Jean 17, 21), et notre participation au sein du COE vise précisément "à [nous] appeler mutuellement à tendre vers l'unité visible en une seule foi et en une seule communauté eucharistique, exprimée dans le culte et dans la vie commune en Christ, à travers le témoignage et le service au monde, et de progresser vers cette unité afin que le monde croie" (Constitution du COE).

A l'heure où les Eglises membres célèbrent le jubilé du COE en cette veille du troisième millénaire, nous attendons avec un intérêt particulier et avec beaucoup d'espoir les résultats de cette assemblée pour ce qui concerne la nature et la mission futures du Conseil. Nous sommes convaincus que la commission mixte sur la participation orthodoxe au sein du COE, qu'il est prévu de mettre sur pied, sera en mesure de faire des propositions qui permettront aux Eglises membres de ce Conseil de poursuivre leur cheminement commun et d'accomplir leurs tâches dans un monde qui a soif de la bonne nouvelle de l'Evangile.

Aujourd'hui, nous avons pour tâche essentielle d'examiner ensemble comment nous pouvons interpréter, à notre époque et au milieu des problèmes qu'affronte l'humanité, la foi chrétienne qui a été transmise par les apôtres à l'Eglise indivise, une, sainte, catholique et apostolique et qui est exprimée dans le symbole de Nicée-Constantinople (325-381), symbole oecuménique par excellence.

En félicitant le COE à l'occasion de son jubilé, nous prions le Dieu Tout-puissant de combler de bénédictions les participants de cette Assemblée, les rendant capables d'accomplir la tâche immense qui leur est confiée par leur Eglise et de faire avancer ainsi la cause sacrée de l'unité chrétienne.

"La grâce du Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu, et la communion du Saint Esprit soient avec vous tous." (2 Corinthiens 13, 14)

Bartholomée, Archevêque de Constantinople
et Patriarche oecuménique, fervent intercesseur auprès de Dieu.
Le Phanar, 30 novembre 1998, Fête de Saint André l'Apôtre