huitième assemblée et cinquantenaire

Faisons route ensemble
Rapport du Comité d'examen des directives II

Adoptée par la Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises
Harare, Zimbabwe, 3-14 décembre 1998

II. Appel du jubilé à mettre un terme à l'étranglement des peuples appauvris par la dette



1. La dette, le jubilé et le nouveau millénaire
A la veille du troisième millénaire, l'Assemblée du jubilé du Conseil oecuménique des Eglises doit réfléchir aux prescriptions du jubilé instituées par Dieu et à la proclamation du Christ qui fait sienne cette vision. Réunis en Afrique sub-saharienne, nous avons entendu les cris des millions d'êtres qui supportent les coûts sociaux, politiques et écologiques de l'engrenage implacable de l'endettement. Nous sommes appelés, par une démarche alliant le discernement à l'action, à chercher de nouvelles manières de rompre cette emprise et de remédier à ses conséquences, en veillant à ce que les crises de l'endettement ne se reproduisent plus. On ne pourra y parvenir qu'en instaurant un nouvel ordre mondial équitable.

Le COE est fermement engagé à se joindre aux fidèles et aux communautés de conscience pour accomplir le mandat du sabbat et du jubilé, sonnant le cor et se réjouissant dans l'espérance de l'avènement du jubilé et de l'annulation de la dette. Nous proposons la présente déclaration à la réflexion de tous les membres de la communauté oecuménique, appelons nos Eglises à agir, et nous engageons à réaliser l'annulation de la dette.

Depuis les années 70, le COE, ses Eglises membres et ses partenaires oecuméniques placent la crise de l'endettement au premier rang de leurs préoccupations. A plusieurs reprises, le COE a exprimé sa solidarité avec les victimes de l'endettement. A la suite d'un mandat du Comité central, le Colloque de Los Rubios sur l'endettement (1998), organisé sous les auspices du COE et rassemblant des représentants de 24 pays et de diverses dénominations, a lancé un processus en vue d'élaborer cette déclaration d'orientation. Malheureusement, les espoirs des Eglises de voir annuler la dette des pays pauvres, ce qui aurait permis à leurs populations de manger à leur faim, ne se sont pas réalisés.

2. La vision du sabbat et du jubilé : un appel du jubilé à la vie pour tous
Avec la tradition du sabbat et du jubilé, les Ecritures hébraïques et chrétiennes donnent déjà le mandat difficile de s'attaquer périodiquement à l'injustice et à la pauvreté structurelles et de rétablir des relations équitables. Dans les plus anciennes traditions hébraïques du sabbat, l'utilisation et l'exploitation de la terre étaient limitées par le respect du sabbat et de l'année sabbatique: les gens et les bêtes devaient se reposer un jour sur sept, et la terre une année sur sept (Exode 23, 10-12). A l'occasion de l'année sabbatique, on remettait les dettes et on libérait les esclaves et durant l'année du jubilé, on restituait toutes les terres familiales (Lévitique 25). Ces commandements sont repris dans "l'année de la faveur du Seigneur" (Esaïe 61, 1-2), décrite par Esaïe (65, 17-25) comme "des cieux nouveaux et une terre nouvelle". En d'autres termes, la justice apporte la paix à toute la création de Dieu. Dans le Nouveau Testament, Jésus élargit la vision du jubilé en annonçant la bonne nouvelle aux pauvres, en proclamant aux captifs la libération, aux aveugles le retour à la vue et aux opprimés la liberté. Il apprit à ses disciples à remettre les dettes (comme nous pardonnons à nos débiteurs). A la Pentecôte eut lieu le partage volontaire des biens, de sorte que "nul parmi eux n'était indigent" (Actes 4, 34; cf. Deutéronome 15, 4).

La tradition sabbatique inscrite dans la vision du jubilé est aussi pertinente de nos jours qu'elle l'était il y a des milliers d'années. L'asservissement par la dette que subissent les pays les plus pauvres du fait des gouvernements et des créanciers occidentaux est la forme actuelle de l'esclavage. La concentration croissante de la richesse entre les mains des pays les plus riches et le déclin effroyable du niveau de vie des pays les plus pauvres exigent d'être redressés au sens des anciens cycles du sabbat et du jubilé. Les coûts sociaux, politiques et écologiques de la crise de l'endettement ne sauraient être tolérés plus longtemps et doivent être corrigés. C'est seulement lorsque nous aurons exécuté le mandat du sabbat et du jubilé que nous pourrons "nous tourner vers Dieu dans la joie de l'espérance".

3. La Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises affirme ce qui suit:
a. Il est urgent d'annuler la dette des pays pauvres et de mettre fin à l'engrenage dévastateur de l'accumulation de la dette.

L'économie mondialisée actuelle encourage l'accumulation de la richesse entre les mains de quelques-uns par les prêts ou la spéculation. Ce processus est favorisé par les pays du G7, dans le cadre des institutions de Bretton Woods, qui incitent les pays débiteurs à emprunter sur les marchés financiers internationaux. Ces emprunts sont facilités par la déréglementation des mouvements de capitaux dans le monde entier, opérée par le Fonds monétaire international (FMI). Comme la dette extérieure ne peut être remboursée qu'en devises fortes (dollar EU ou livre sterling), les pays endettés sont obligés d'axer leurs systèmes économiques sur la mobilisation des fonds nécessaires, en poussant leurs exportations ou en contractant de nouveaux emprunts. Cela explique pourquoi les pays débiteurs sont forcés de se concentrer sur des cultures de rapport telles que le café, le cacao et les oeillets et non sur des cultures vivrières, et pourquoi ils sont pris dans l'engrenage sans fin de l'emprunt.

La dette extérieure s'accroît de manière exponentielle. Les propositions actuelles de gestion de la dette formulées par les créanciers (Initiative en faveur des pays pauvres très endettés [HIPC]) offrent trop peu et trop tard à un petit nombre de pays. Comme elles proviennent des créanciers, leur objectif est d'assurer le remboursement et non pas l'allégement de la dette. En outre, les créanciers occidentaux représentés par le FMI imposent des conditions visant à augmenter les revenus en vue du service de la dette. Les programmes d'ajustement structurel, eux aussi, imposent des conditions inacceptables aux pays débiteurs et les privent de ressources précieuses. Si on ne transforme pas les plans actuels de gestion de la dette en occasions de remise de celle-ci, le cycle infernal de son accumulation se poursuivra, condamnant à la souffrance de nouveaux millions d'êtres humains.

Les pays les plus pauvres ne sont pas les seuls qui soient pris au piège de la crise de l'endettement. Ceux que l'on qualifie, de manière arbitraire, de "pays à revenu intermédiaire" sont également menacés par la crise de l'endettement. Comme le montre la crise en Asie du Sud-Est et au Brésil, les prêts sans frein provoquent des investissements spéculatifs, un fort endettement et la fuite des capitaux. Lorsque les gouvernements doivent soutenir leurs propres devises contre les attaques des spéculateurs, ils sont obligés de relever les taux d'intérêt et de solliciter de nouveaux prêts du FMI. En outre, comme on le voit dans le cas de la Thaïlande, le FMI oblige les gouvernements débiteurs à "nationaliser" les pertes causées à l'économie privée par la crise financière, transférant au secteur public la charge de prêts dont il n'a pas bénéficié. Il est absolument nécessaire de réduire considérablement la dette des pays à revenu intermédiaire lourdement endettés, afin de leur permettre d'échapper à la spirale de l'endettement et de la dégradation économique.

Les politiques des institutions de Bretton Woods, et plus particulièrement la libéralisation rapide des flux de capitaux, sont toujours plus fortement remises en question. Dans des déclarations publiques récentes, un haut responsable des questions économiques à la Banque mondiale a attiré l'attention sur les vices fondamentaux de ces orientations. Il a rappelé en outre que les institutions de Bretton Woods appliquent des critères différents selon qu'il s'agit d'économies occidentales ou de pays endettés. Il convient de soutenir les hauts fonctionnaires de la Banque mondiale et du FMI qui prônent des politiques visant l'éradication de la pauvreté.

b. Les besoins et les droits fondamentaux des personnes et des communautés et la protection de l'environnement devraient avoir priorité sur le remboursement de la dette.

Les pays lourdement endettés qui se trouvent obligés par la pénurie de capitaux de solliciter de nouveaux prêts doivent adopter les orientations du FMI et renoncer, de ce fait, à leur souveraineté économique. Les gouvernements débiteurs sont forcés de faire passer le remboursement de la dette avant les dépenses consacrées à la santé, à l'hygiène, à l'eau pure, à la formation et à d'autres services sociaux. Cette manière d'agir sape la crédibilité de ces gouvernements à l'égard de leurs populations, ce qui, à son tour, ébranle les institutions démocratiques nationales. Les négociations sur la dette et l'emprunt sont toujours menées en secret entre les élites du Nord et celles du Sud, ce qui encourage la corruption.

Le détournement des ressources des populations pauvres des pays débiteurs au profit des riches créanciers occidentaux constitue une violation des droits de la personne humaine. En outre, la façon dont les créanciers peuvent impunément imposer de telles politiques est une parodie de justice. Les femmes et les enfants sont obligatoirement les premières victimes du coût exorbitant du remboursement de la dette, à cause des réductions qu'il implique dans les programmes de santé, d'hygiène et d'approvisionnement en eau pure. En outre, en donnant la priorité aux exportations, les pays pauvres abattent leurs forêts et surexploitent leurs terres et leurs ressources non renouvelables, aggravant encore la détérioration de l'environnement. L'endettement élevé et la dégradation économique débouchent inévitablement sur les luttes et la désintégration sociales, en particulier la guerre. Les dictatures militaires et corrompues, de même que le régime de l'apartheid, ont contracté les dettes les plus inacceptables, qualifiées d'odieuses en droit international.

c. De nouveaux mécanismes et structures impliquant la participation et le dialogue entre créanciers et débiteurs sont nécessaires.

Tant les prêteurs que les emprunteurs doivent prendre leurs responsabilités face à la crise de l'endettement. Il est injuste que les créanciers dominent le processus d'allégement de la dette. Nous avons besoin de structures nouvelles, indépendantes et transparentes régissant les relations entre débiteurs et créanciers. Dans le domaine de l'annulation de la dette internationale, nous avons besoin en particulier d'un mécanisme d'arbitrage nouveau et équitable, par exemple d'un accord international sur la cessation de paiement, garantissant le partage égal des pertes et des gains.

Il est urgent que se développe la volonté politique collective d'élaborer un mécanisme international de prêt, inspiré de principes éthiques, qui engage la société civile, y compris les Eglises, dans le processus d'allégement de la dette et de prévention de crises futures. Ce mécanisme doit rendre possibles des solutions transparentes, fondées sur l'éthique et la responsabilité mutuelle, qui ne satisfassent pas seulement aux exigences de l'efficacité économique mais aussi à celles de la protection des ressources et des droits fondamentaux de la personne humaine ainsi que de l'environnement. Là où des fonds sont libérés par l'annulation de la dette ou d'autres mesures d'allégement, les organisations de la société civile doivent être habilitées à participer aux décisions sur leur réaffectation à des fins sociales.

d. Les Eglises peuvent jouer un rôle déterminant dans l'élaboration de solutions à la crise de l'endettement, notamment par l'édification de partenariats.

Les Eglises et les communions chrétiennes mondiales ont accompli un travail considérable en faveur de l'annulation de la dette. Le COE encourage ses Eglises membres, les institutions rattachées aux Eglises, et les campagnes et mouvements intéressés tels que la Coalition "jubilé 2000" à renouveler leur engagement concernant la crise de l'endettement, en informant et mobilisant l'opinion publique en vue de susciter la volonté politique de transformer les structures et relations internationales injustes. Le meilleur moyen de le faire consiste pour les Eglises à exiger de leurs gouvernements des informations sur les orientations choisies en matière de prêts et d'emprunts.

L'Assemblée encourage les Eglises membres et leurs partenaires à mettre en place les forums indispensables à la discussion avec les gouvernements et les institutions financières internationales. Les Eglises membres devraient prier instamment les gouvernements des pays riches 1) d'accroître leur soutien à l'annulation de la dette bilatérale et multilatérale, et 2) d'appuyer les efforts en vue de rendre les institutions financières internationales plus démocratiques, transparentes et sensibles aux besoins des plus pauvres du monde.

4. La Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises appelle les Eglises membres et le mouvement oecuménique à travailler en faveur des objectifs suivants:
a. l'annulation de la dette des pays pauvres gravement endettés, afin de leur permettre de prendre un nouveau départ à l'aube du troisième millénaire;

b. la réduction considérable de la dette des pays à revenu intermédiaire gravement endettés, dans le même délai;

c. la participation de la société civile aux décisions sur la manière dont les fonds rendus disponibles par l'annulation de la dette devraient être utilisés pour remédier aux dommages causés à la société et à l'environnement, et la possibilité pour la société civile de s'associer au suivi de ces mesures;

d. l'établissement d'un mécanisme d'arbitrage indépendant et transparent en vue de l'annulation de la dette, et la définition d'orientations générales sur le prêt et l'emprunt s'inspirant de critères éthiques afin d'empêcher tout retour de la crise de l'endettement;

e. l'application de principes de gouvernement éthiques dans tous les pays, et de mesures législatives contre toutes les formes de corruption et de mauvaise utilisation des prêts;

f. le soutien sans réserve aux populations pauvres des pays endettés qui ne peuvent assurer le service de leur dette et subissent des sanctions en conséquence.

5. Dans la ligne de la tradition du sabbat et du jubilé, la Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises appelle les dirigeants des pays du G8 à reconnaître la nécessité urgente des mesures suivantes:
a. annuler la dette des pays les plus pauvres, afin de leur permettre de prendre un nouveau départ à l'aube du troisième millénaire;

b. réduire considérablement la dette des pays à revenu intermédiaire, dans le même délai;

c. accepter que l'on ne peut attendre, pour annuler la dette, que les conditions fixées par les créanciers soient remplies;

d. instaurer un mécanisme d'arbitrage indépendant et transparent en vue denégocier et de se mettre d'accord sur l'annulation de la dette internationale;

e. appliquer des mesures visant à promouvoir la responsabilité des pays débiteurs lors de la remise des dettes; ces mesures doivent être définies et leur application surveillée par des organisations communautaires locales, dont les Eglises et d'autres organisations représentant la société civile, afin d'assurer que la remise des dettes conduise à une répartition équitable des richesses;

f. se servir de leur pouvoir pour veiller à ce que les fonds transférés illégalement sur des comptes bancaires secrets à l'étranger soient restitués aux pays débiteurs;

g. lancer, en concertation avec la société civile, un processus de réforme économique mondiale en vue d'assurer la répartition équitable des richesses et de prévenir de nouveaux cycles d'endettement.



III. La mondialisation (auxquelles un document de
base et une bibliographie sont joints en annexe)

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