huitième assemblée et cinquantenaire

Faisons route ensemble
Rapport du Comité d'examen des directives II

Adoptée par la Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises
Harare, Zimbabwe, 3-14 décembre 1998

I. Réponse à la séance plénière sur l'Afrique



Préambule
1. Tout au long de l'Assemblée, le sens de notre réunion en Afrique est resté présent à notre esprit. Nous avons été touchés par l'hospitalité et la courtoisie des Eglises et de la population du Zimbabwe, et nous y avons répondu. Nous avons beaucoup parlé de l'éventail des problèmes auxquels sont aujourd'hui confrontés les gouvernements, les populations et les Eglises dans tout ce vaste continent.

2. La tenue de la Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises sur le sol africain nous donne l'occasion de nous consacrer à nouveau à la réalisation du rêve et du programme africains pour le 21e siècle. Il est impératif que des changements réels se produisent sur le continent et qu'une paix durable s'instaure, que les populations puissent participer à la prise des décisions qui affectent leur vie, et que l'intégrité de la personne humaine et de la communauté soit respectée.

3. Nous avons été grandement impressionnés par la présentation théâtrale des espérances passées et présentes et des tragédies vécues par les nations africaines, y compris par notre pays hôte. Nous tenons à dire notre profond respect pour le courage prophétique contenu dans cette présentation.

Le rêve africain
4. Dans le cadre du programme de dialogue et d'étude sur la reconstruction de l'Afrique qui a trouvé son aboutissement dans la manifestation tenue à Johannesburg en mai 1997, sur le thème "Le jubilé et le kairos en Afrique", le COE s'est déjà efforcé de s'engager aux côtés de l'Afrique dans une action solidaire et créative; il s'est également employé à encourager un nouveau regard sur le continent. Il a ainsi suscité un regain d'espérance au sein de l'Eglise africaine qui pense désormais que le changement est possible. Les participants à la réunion de Johannesburg ont exprimé leur conviction quant au futur de l'Afrique dans les termes suivants:

"Nous sommes fiers de voir se dessiner, au sein des Eglises africaines, la vision d'un pèlerinage de l'espérance vers le développement du continent au 21e siècle. Nous sommes décidés à développer cette vision qui promet la vie dans la dignité au peuple africain. Pour nous, cette vision est enracinée dans l'esprit de "ubuntu" ("ubu", "umuntu"), l'incarnation de la spiritualité africaine et de l'intégrité morale, vécues dans des communautés tournées vers l'avenir.

Cette vision :

  • nous appelle à travailler ensemble, de manière créative, pour être solidaires les uns des autres, pour accompagner ceux d'entre nous dont le fardeau est trop lourd;
  • nous oblige à oeuvrer pour éliminer les barrières et les murs qui nous divisent et nous asservissent;
  • nous donne les moyens de restaurer les relations rompues et de panser les plaies infligées par la violence à laquelle il est fait recours pour résoudre les malentendus et les conflits;
  • cette vision peut être réalisée si les Africains conviennent de travailler ensemble dans un esprit de pan-africanisme, et gèrent leurs ressources humaines et naturelles de manière responsable et éthique, ensemble et en partenariat les uns avec les autres et avec la nature."
Le défi africain
5. Le Padare nous a donné de nombreuses occasions de partager et d'échanger des récits de vie concernant les mutations sociales en Afrique. Au cours de la séance plénière qui a porté spécifiquement sur l'Afrique, nous avons entendu les voix des peuples du continent, qui s'exprimaient avec force pour nous dire non seulement leur souffrance et leur douleur mais aussi leur lutte, leur foi et leur espérance. Nous avons entendu des récits sur les deux héritages jumeaux de l'Afrique, l'oppression et la résistance, et sur les possibilités qu'elle a aujourd'hui de déterminer son propre avenir. A travers la musique, le théâtre et les débats, nous avons pu examiner les dilemmes et les défis qui se posent: libération du colonialisme, lutte contre la pauvreté, progression vers une gestion saine des affaires publiques et vers une société civile qui prenne une part active à la vie collective, questions relatives à la justice, aux droits de la personne humaine, à la primauté du droit, à la fragmentation et à l'exclusion, et à la régénération morale de la société.

6. On nous a parlé des défis énormes auxquels l'Afrique doit faire face, qui résultent pour beaucoup de "l'économie de la guerre et de la manne", laquelle a engendré le phénomène connu sous le nom de mondialisation. Les pressions de la mondialisation font que les nations et les individus se battent à armes très inégales contre les problèmes sociaux et économiques résultant de la crise de l'endettement, des programmes d'ajustement structurel, et, dans certains cas, de la corruption et d'une mauvaise utilisation des ressources. Actuellement, la guerre civile fait rage dans la moitié de l'Afrique et la description saisissante des souffrances endurées par les populations au sud du Soudan nous a rappelé que cette région est depuis cinquante ans le théâtre d'une guerre fratricide. Certaines parties de l'Afrique, comme la région des Grands Lacs, sont en proie à des conflits qui durent depuis de nombreuses années. La question autochtone ne se pose pas en des termes aussi clairs en Afrique qu'ailleurs, mais elle est actuellement examinée au COE par le Programme "peuples autochtones". Les problèmes de santé sont une source de grave préoccupation, en particulier la propagation du SIDA. Il faut par-dessus tout poursuivre, de toute urgence, le processus de régénération morale auquel les Eglises ont une importante contribution à apporter, à la fois par le développement d'une nouvelle vision oecuménique prophétique et cohérente et par leur capacité à explorer et à formuler une pensée sociale oecuménique.

7. Concernant la priorité à accorder aux droits de la personne humaine et à l'intégrité et à la dignité de la personne, les responsables des Eglises d'Afrique doivent s'assurer la pleine participation des femmes, des jeunes et des laïcs à la définition, la formulation et la mise en oeuvre du programme africain à tous les niveaux. On pourra ainsi assurer la mise en place d'initiatives et d'actions communes qui garantiront la poursuite et le succès de ce programme. Il faut étudier le rôle et la place de la famille, ainsi que les valeurs chrétiennes telles que l'intégrité, la générosité et, avant tout, l'espérance en Christ, et les préciser dans la perspective de la société civile émergente.

8. Il est important d'adopter une approche positive et de ne pas céder au fatalisme, au désespoir et au sentiment d'impuissance qui semblent caractériser certaines attitudes et réactions. A côté de la foi et de la vitalité spirituelle très vives des chrétiens, on voit s'éveiller en Afrique un nouvel esprit de patriotisme, la fierté d'être africain ("ubuntu"), ainsi que le désir de façonner une image différente du continent. Pour répondre à tout ce que nous avons entendu, nous souhaitons donc célébrer la culture et l'héritage africains et réfléchir au thème de l'Assemblée "Tournons-nous vers Dieu dans la joie de l'espérance". Nous reconnaissons que la responsabilité des gouvernements et des Eglises des autres continents dans les politiques et les décisions qui ont contribué aux difficultés actuelles n'est pas des moindres, et nous nous en repentons. Mais il nous semble que la situation actuelle est riche de promesses et d'espérance. Réitérant le geste qui a clôturé notre séance plénière sur l'Afrique, nous prenons l'engagement solidaire d'agir pour la reconstruction du continent. Pour ceux d'entre nous qui sommes Africains, cela veut dire s'engager à oeuvrer avec nos Eglises et par leur intermédiaire pour un avenir meilleur et faire en sorte que jamais plus l'Afrique n'aura à subir les humiliations qu'elle a connues dans le passé. Pour ceux d'entre nous qui venons des autres continents, cela veut dire s'engager à travailler avec nos Eglises et par leur intermédiaire pour accompagner nos frères et nos soeurs africains dans leur voyage d'espérance.

Recommandations (Adopté)
La Huitième Assemblée du Conseil oecuménique des Eglises:
1. affirme le programme africain et engage les structures et la communauté du Conseil oecuménique des Eglises pour soutenir, accompagner et faciliter la réalisation de ce programme, en mettant tout spécialement l'accent sur l'Afrique au début du 21e siècle;

2. appuie sans réserve l'engagement pris devant Dieu par les responsables et les représentants des Eglises membres d'Afrique lors de l'Assemblée

a. de poursuivre la tâche encore inachevée consistant à transformer leurs institutions et leurs systèmes sociaux, politiques et économiques, afin de construire une société juste à laquelle les femmes et les jeunes auront la possibilité de participer pleinement;

b. de rechercher la paix et la réconciliation au sein de leur peuple et de leurs communautés;

c. d'établir des valeurs éthiques dans les domaines du travail, du gouvernement et de l'entreprise et d'oeuvrer pour une bonne gestion de ce qui leur est confié;

d. de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour vaincre le fléau du SIDA;

e. d'affirmer le droit des enfants africains à l'espérance en un avenir radieux qu'ils contribueront à façonner, de toutes leurs forces et de tous leurs talents;

3. charge le Comité central de poursuivre les travaux déjà engagés dans le cadre du programme de dialogue et d'étude sur la reconstruction de l'Afrique, en mettant l'accent sur la mise en valeur des compétences locales et le partage de l'information, afin de renforcer la solidarité au sein de la famille oecuménique et de permettre à l'Afrique d'apporter au mouvement oecuménique mondial la contribution unique qu'elle a à lui offrir;

4. encourage les conseils des Eglises en Afrique et la Conférence des Eglises de toute l'Afrique à chercher de nouveaux moyens, dans les limites des ressources disponibles, de coopérer avec les Eglises dans leurs régions et de travailler en partenariat avec les organisations de la société civile, afin de donner une direction morale, de définir une nouvelle vision pour l'Afrique et de mobiliser la population du continent pour qu'elle participe à l'édification de communautés justes et tournées vers l'avenir;

5. prie vivement toutes les Eglises membres d'engager un dialogue avec leurs gouvernements respectifs et d'intervenir auprès des gouvernements, des organisations du système des Nations Unies et des autres instances internationales pour qu'ils jouent le rôle qui peut être le leur dans la reconstruction et la réconciliation en Afrique, notamment en assurant le respect des droits de la personne humaine, en favorisant un autre ordre économique, en allégeant la dette, en limitant le commerce des armes et en prenant de toute urgence des mesures pour assurer une paix juste au Soudan, dans la région des Grands Lacs et dans les autres régions où sévit un conflit, en Afrique en particulier et dans l'ensemble du monde.



Annexe 1 : Note d'information sur le Soudan

Dans le message qu'il a adressé à la Huitième Assemblée du COE, l'évêque Paride Taban du diocèse de Torit (Soudan) a demandé à la communauté internationale de faire la preuve d'une volonté politique plus ferme et d'aider à mettre un terme aux massacres perpétrés au sud du Soudan. L'Assemblée rappelle qu'en 1972, le Conseil oecuménique des Eglises (COE) et la Conférence des Eglises de toute l'Afrique (CETA) ont fait office d'intermédiaires pour obtenir qu'un accord de paix soit conclu entre le gouvernement au nord du Soudan et Anyanya I, précurseur du Mouvement de l'Armée populaire de libération du Soudan au sud. Cet accord, signé à Addis Abeba, a ramené la paix dans le pays jusqu'au moment où le conflit a redémarré au début des années 80.

Cette nouvelle flambée de violence, qui n'a rien perdu de son intensité, a provoqué la mort de plus d'un million de gens, le déplacement d'innombrables personnes, tant dans le pays qu'à l'étranger, et a forcé la majorité qui restait à survivre sans aide humanitaire extérieure. De plus, l'économie du sud a été dévastée et se trouve pratiquement en faillite. La région, qui était déjà dans une situation désespérée, a de surcroît été frappée par la famine.

Comme c'est souvent le cas dans les situations de conflit, toutes les parties se rendent coupables de violations des droits de la personne humaine et les cas d'exécutions extra-judiciaires, de viol, de torture et de réinstallation forcée sont de plus en plus nombreux et il arrive de plus en plus souvent que des personnes soient dépossédées de leurs terres et de leur bétail ou réduites en esclavage, surtout les femmes et les enfants. Les organisations internationales ont de nombreuses preuves de ces crimes, pourtant, aucune aide ne se profile à l'horizon pour les victimes et leurs familles.

Ce conflit, qui résultait au départ d'un différend entre le nord et le sud sur des questions de partage du pouvoir et de distribution équitable des ressources, a encore gagné en complexité. La poursuite de la guerre a entraîné de violentes luttes intestines entre différentes factions ethniques au sud. Au nord, la décision prise par le gouvernement d'appliquer la charia islamique a totalement aliéné et marginalisé les minorités religieuses non musulmanes. La guerre a également des aspects régionaux et internationaux. Des facteurs économiques et politiques qui jouent un rôle dans la Corne de l'Afrique et la crainte de l'expansionnisme islamique ont fait obstacle à toute tentative visant à établir un cessez-le-feu.

Au cours de cette nouvelle période de conflits, le COE et ses Eglises membres, de même que les organismes d'aide, ont continué d'apporter une assistance humanitaire d'urgence aux victimes ainsi qu'une aide au développement. Ils n'ont cessé d'exprimer leur préoccupation face au durcissement du conflit, aux pertes humaines et matérielles qui en résultent et à l'utilisation de l'aide humanitaire comme arme.

Au mois de mai de 1998, après s'être rendu dans la région, le secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, Kofi Annan, a déclaré que "les parties au conflit avaient limité l'accès à cette région où des gens souffraient, interdit le vol des avions apportant une aide humanitaire indispensable, et attaqué des camps de réfugiés, des convois de camions et le personnel des organismes d'aide". Il devient de plus en plus évident que l'aide ne suffira pas à mettre un terme aux souffrances du peuple soudanais. Seul un règlement juste et pacifique lui donnera la chance de reconstruire son existence.

Le COE a oeuvré pour la paix par le biais du Forum oecuménique du Soudan qui a donné aux responsables des Eglises, tant au nord qu'au sud, la possibilité d'imprimer un nouvel élan à leurs efforts en faveur de la paix. Par la suite, les responsables ont défini leur position sur la paix au Soudan dans un document intitulé "Unis dans l'action pour la paix" ("United We Stand in Action for Peace"). Le COE continue de les soutenir et de les encourager dans la lutte qu'ils mènent pour parvenir à une paix juste et durable dans leur pays. Il est convaincu que le processus de paix lancé par l'Office intergouvernemental pour le développement (IGAD) constitue le meilleur espoir d'atteindre cet objectif. C'est pourquoi le COE continuera de demander à la communauté internationale de prendre toutes les mesures nécessaires pour relancer et renforcer le processus de paix engagé par l'IGAD. La Déclaration de principes de l'IGAD constitue un cadre et une base viables pour une paix juste et durable au Soudan.



II. Appel du jubilé à mettre un terme à l'étranglement
des peuples appauvris par la dette

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