Conférence des Eglises Européennes
Conseil Oecuménique des Eglises
Fédération Luthérienne Mondiale
Rapport de la délégation
oecuménique en Yougoslavie

Novi Sad, Belgrade, 16-18 Avril 1999
La double tragédie de la Yougoslavie

Click to:
2. RENCONTRE AVEC LES RESPONSABLES DES ÉGLISES PROTESTANTES (NOVI SAD)
3. RENCONTRE AVEC L'ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE (BELGRADE)
4. RENCONTRE AVEC l'ÉGLISE ORTHODOXE SERBE (BELGRADE)
5. LA SITUATION HUMANITAIRE EN YOUGOSLAVIE
6. CONSTATATIONS ET CONCLUSIONS
7.RECOMMANDATIONS A L‘ATTENTION DES ORGANISATIONS ECCLESIASTIQUES INTERNATIONALES
ANNEXE 1: INTINÉRAIRE DE LA DÉLÉGATION
ANNEXE 2: STATISTIQUES DES ÉGLISES DE YOUGOSLAVIE
1. INTRODUCTION
Une délégation conjointe de la Conférence des Églises européennes (KEK), du Conseil oecuménique des Églises (COE) et de la Fédération luthérienne mondiale s'est rendue en République fédérale de Yougoslavie (RFY) du 16 au 18 avril 1999.

Le but de cette visite était de rencontrer les responsables des Églises membres de la République fédérale de Yougoslavie et de s'entretenir avec eux des causes et des conséquences de la crise actuelle du Kosovo ainsi que des bombardements de l'OTAN sur la Yougoslavie. La délégation oecuménique a rendu visite aux Églises membres des villes yougoslaves de Novi Sad et de Belgrade, mais n'a pu pénétrer dans la province même du Kosovo en raison des restrictions pesant sur les déplacements étant donné la situation de conflit que connaît en ce moment le Kosovo. Des visites aux Églises membres d'Albanie et d'autres pays des Balkans sont également prévues.

La visite eut lieu peu de temps après le début des frappes aériennes visant certaines cibles de la République fédérale de Yougoslavie. Le projet d'envoyer une délégation oecuménique avait germé dans le contexte de la préoccupation internationale suscitée par l'exode massif et tragique de plus de 500 000 kosovars albanais vers les pays limitrophes, l'Albanie et la Macédoine, et par les rapports et les allégations de violations graves des droits de la personne humaine, de déportation forcée et d'exécutions arbitraires perpétrées dans la province du Kosovo, fournis, entre autres, par le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés ainsi que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme.


Le Conseil oecuménique des Églises, la Conférence des Églises européennes et la Fédération luthérienne mondiale ont à maintes reprises lancé un appel à une résolution négociée et pacifique du conflit qui déchire en ce moment la région du Kosovo, et se sont toujours opposés à toute forme de violence ou de recours à la force militaire par les parties impliquées. Les divers communiqués de presse et déclarations sur ce sujet ont déjà été rendus publics.

Le présent rapport a pour objet à la fois de communiquer les résultats de la visite et des discussions avec les responsables d'Églises yougoslaves et de résumer les premières conclusions tirées par la délégation.

Les objectifs fixés pour la visite étaient les suivants:


Les membres de la délégation étaient:
Le Pasteur Dr. Keith Clements, Secrétaire général, KEK
Mr. Alexander Belopopsky, Secrétaire à l'Europe, COE
Le Pasteur Dr. Olli-Pekka Lassila, Secrétaire à l'Europe, FLM

2. RENCONTRE AVEC LES RESPONSABLES DES ÉGLISES PROTESTANTES (NOVI SAD)
La délégation a rencontré les responsables des Églises minoritaires protestantes (réformée, luthérienne et méthodiste) à Novi Sad (Vojvodina) dans le Nord de la Serbie. D'importantes minorités ethniques hongroises et slovaques ont élu domicile dans cette région. L'arrivée du groupe coïncida avec la première nuit depuis le début des frappes aériennes où Novi Sad ne fut pas visée. Les responsables d'Églises se sont réjouis de la solidarité et de la compréhension dont la grande famille chrétienne témoignait par sa visite; ils ont particulièrement apprécié les lettres et l'appel pascal à la paix des instances internationales ecclésiastiques.

Il existe un certain nombre de réactions de la part des communautés ecclésiastiques de Yougoslavie à la crise du Kosovo, et plus particulièrement par rapport à l'intervention de l'OTAN et à ses conséquences - entre autres des déclarations et des prières conjointes. Les chefs d'Église sont en général bien informés sur la crise touchant les réfugiés ainsi que sur les déportations perpétrées au Kosovo et les conséquences dramatiques qui s'ensuivent pour la population civile et les pays limitrophes. Tous les responsables d'Église condamnent avec force toute forme de violence, d'intimidation, d'épuration ethnique et de déplacement forcé de la population civile du Kosovo, et soutiennent les appels lancés dans le sens d'une résolution pacifique du conflit dans le cadre de négociations. Néanmoins, différentes perceptions des causes immédiates de la violence et de la crise touchant les réfugiés du Kosovo cohabitent. Pour la plupart des Églises le rôle joué par les forces séparatistes armées des kosovars albanais est un facteur important de radicalisation de la situation dans la région, au même titre que la réponse violente de la Yougoslavie et des forces militaires et paramilitaires serbes; par ailleurs les bombardements intensifs de l'OTAN sont perçus comme un phénomène aggravant l'exode dans cette région.

La situation conflictuelle et l'intervention de l'OTAN étaient au centre des discussions. Novi Sad a été touchée par les frappes aériennes toutes les nuits pendant trois semaines et différents sites de la banlieue ainsi que les ponts du centre ville ont été détruits. Les Églises locales ont condamné unanimement l'attaque de l'OTAN ressentie comme une réponse injuste et inhumaine à une séquence complexe d'événements ayant conduit à la crise qui règne actuellement au Kosovo; elles considèrent cette intervention comme une attaque illégale et immorale sur un État souverain. Les responsables d'Église soulignent que la campagne de raids aériens a ébranlé la démocratie, renforcé le contrôle exercé par le régime dans le pays et radicalisé les forces extrémistes présentes en Yougoslavie et parmi les ethnies albanaises.

L'Évêque Istvan, chef de l'Église réformée de Yougoslavie est convaincu que la guerre au Kosovo aurait pu être évitée si les puissances occidentales n'étaient pas intervenues et n'avaient pas suscité des " attentes impossibles à réaliser ". Selon le dirigeant de l'Église luthérienne, l'Évêque Valent, " la tragédie humanitaire à laquelle les albanais sont confrontés s'est trouvée exacerbée par les actions entreprises par l'OTAN et l'Armée de libération du Kosovo (UCK). La crise au Kosovo est le résultat du démantèlement de l'équilibre fragile des nationalités yougoslaves construit par Tito et de la position extrémiste de kosovars albanais encouragés par les puissances occidentales à rechercher la sécession par rapport à la Yougoslavie, ont déclaré les représentants des Églises. Le superintendant méthodiste Hovan a ajouté que désormais " le pays entier était plongé dans la crise ". Il a par ailleurs exprimé sa gratitude pour l'aide et le soutien apportés par la famille oecuménique à toutes les victimes du conflit.

Les minorités ethniques de la province de Vojvodina (pour la plupart des hongrois et des slovaques) " ne sont pas responsables de la crise du Kosovo ", a expliqué l'Évêque Valent, " mais les conséquences sur la situation locale ici même sont importantes ". Des hommes jeunes sont menacés de mobilisation, les répercussions économiques sont sérieuses, et il y a des exemples isolés d'attitude xénophobe envers des groupes minoritaires, ce qui n'était pas le cas avant les raids de l'OTAN. L'introduction d'un état de guerre en Yougoslavie signifie également que les Églises doivent solliciter la permission d'organiser tout rassemblement non cultuel.

Le sentiment d'injustice et d'outrage qui s'est fait profondément sentir dans cette région traditionnellement multi-ethnique et multi-culturelle, est dépeint par un professeur d'université, Dr. Svenka Savic, en ces termes (un texte qui circule à l'étranger dans les Églises): " Les ponts sont des contructions (...) de l'esprit reliant les personnes et les objets (...). Le bombardement du pont de Novi Sad symbolise la division entre les nations, entre les parties du monde, entre nous. Le bombardement du pont de Novi Sad fait partie d'une longue série qui a touché notre (ancien) pays (...); aujourd'hui, face à ce pont détruit, chacun de nous se souvient comment nous vivions avec lui, et tous nous pleurons. Nous pleurons parce que nous haïssons ceux qui nous en ont privés. En détruisant le pont de Novi Sad comme point stratégique, ils ont touché le point sensible de notre équilibre et désormais nous sommes boîteux, à la recherche d'un soutien ".

3. RENCONTRE AVEC L'ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE (BELGRADE)
La délégation a été reçue par l'Archevêque Perko, chef hiérarchique de l'archidiocèse de Belgrade. L'Archevêque a accueilli la délégation dans la même salle à manger où un ultimatum présenté à la Serbie par les puissances occidentales avait conduit à l'éclatement de la première guerre mondiale. L'Église catholique romaine et le nonce du Pape délégué en Yougoslavie sont intervenus vigoureusement pour tenter de mettre un terme aux bombardements internationaux sur la Serbie décidés en réponse à la crise du Kosovo, et continuent à promouvoir activement des solutions diplomatiques. Selon l'Archevêque Perko, les Églises sont toutes unies contre les frappes de l'OTAN et ne doivent jamais cessé de lutter en faveur du dialogue et des négociations entre les belligérants du Kosovo. Le résultat inévitable des bombardements de la Yougoslavie par l'OTAN est une réaction forte du peuple serbe vis-à-vis de l'occident, précise-t-il: " Nous sommes pour le dialogue, mais ce qui est tragique c'est que le dialogue est impossible maintenant" (...) il semble n'y avoir aucun consensus envisageable sur une solution possible du conflit ". L'Archevêque reste pessimiste quant à l'avenir immédiat. Il pense que l'aggravation des événements autour du Kosovo est " une tragédie et un désastre " pour le peuple serbe et il fait un parallèle avec la situation désespérée qu'a connu le peuple juif au temps du prophète Jérémie. Il est partisan du " devoir moral " des Églises européennes de faire cesser les bombardements de l'OTAN qui ne peuvent qu'empirer la situation, d'une part, et de contribuer à l'ouverture d'un dialogue et à la recherche de solutions pacifiques, d'autre part. Mais il craint que cela ne soit un " cri dans le désert ".

4. RENCONTRE AVEC l'ÉGLISE ORTHODOXE SERBE (BELGRADE)
La délégation a été reçue par le chef hiérarchique de l'Église orthodoxe serbe, le Patriarche Pavle, et séparément, par deux évêques diocésains, Irinej de Backa et l'évêque Ignatije de Branivevo. La visite a été chaleureusement accueillie comme une " manifestation visible de la préoccupation et de la solidarité témoignée à l'égard des Églises de Yougoslavie et de la cause de la paix " a déclaré le Patriarche Pavle. Il a par ailleurs souligné que cette visite intervenait à un moment où à la fois les serbes et les albanais connaissaient de graves difficultés et de grands malheurs. Il a réitéré sa dénonciation de la guerre et de la violence ainsi que l'appel qu'il avait lancé publiquement en faveur d'un arrêt des actions militaires de la part de toutes les forces en présence, afin de pouvoir garantir le retour de tous les civils dans leurs foyers et de rendre possible une solution de coexistence pacifique. " Dès le départ j'ai exhorté les autorités de l'État, les forces militaires et les leaders laïques à tout mettre en oeuvre pour éviter une intensification du conflit " a-t-il ajouté. " Toute guerre est un fléau " a-t-il encore affirmé, " mais la guerre civile est doublement funeste, dans la mesure où elle pousse à combattre ses propres voisins ".

Le Patriarche a rappelé à la délégation qu'il vivait depuis 34 ans au Kosovo et qu'il était bien placé pour connaître la situation. Il a exprimé sa profonde préoccupation devant les souffrances humaines et les destructions tragiques qui secouent cette province. Il pense qu'il est important de comprendre les causes et les raisons ayant conduit à la situation actuelle. A son avis, l'État yougoslave est confronté à une position impossible, étant donné que les séparatistes armés recherchent l'indépendance par rapport au reste de la Yougoslavie. L'intervention de l'OTAN est perçue comme une attaque des puissances occidentales sur la souveraineté et la liberté du pays et ne faisant rien pour promouvoir l'option des négociations. Que dit l'Évangile lorsque notre intégrité et notre liberté sont attaquées? demanda-t-il. L'Église est contre la guerre, mais un État a le droit de défendre son intégrité. D'un autre côté l'Évangile précise que nous devons répondre devant Dieu de nos actions et de nos vies, aussi " tout notre travail dans cette crise doit consister à servir la justice, la vérité et l'amour " a-t-il insisté.

Le responsable de l'Église serbe apprécie les actions et les déclarations des organisations ecclésiastiques internationales - tout particulièrement celles de l'Église catholique romaine - qui visent à promouvoir la recherche d'une solution pacifique du conflit. L'Église orthodoxe serbe oeuvre activement à la recherche de solutions alternatives; elle a adopté une attitude critique par rapport aux actions des dirigeants politiques yougoslaves au Kosovo et a envoyé une délégation pour exposer ses vues à la conférence de paix de Rambouillet ... sans succès. En plus des propositions soumises à Rambouillet, des annexes spécifiques avaient été rédigés par l'Église en faveur d'une large autonomie et du respect des droits de toutes les minorités au Kosovo. Un mémorandum proposant des solutions alternatives urgentes à la politique suivie par le gouvernement yougoslave ont été soumises à Madeleine Albright en personne, par l'Évêque Artemije de Raska-Prizren. Le Patriarche et le Saint-Synode soutiennent les déclarations et actions de l'Évêque orthodoxe du Kosovo, l'Évêque Artemije proposant que la province reste au sein d'une Yougoslavie démocratique et fédérale garantissant les droits de tous les groupes ethniques et nationaux. Cette position a été développée au cours des deux dernières années et a suscité de sérieuses critiques de l'Église orthodoxe serbe de la part des dirigeants politiques yougoslaves. Le Patriarche a exprimé son intérêt pour la proposition selon laquelle les Églises européennes prendraient une nouvelle initiative pour appeler à la cessation des hostilités, à un arrêt des bombardements de l'OTAN et à l'établissement d'un couloir humanitaire au Kosovo pour venir en aide aux personnes déplacées et à ceux qui souffrent des combats.

Au cours d'un entretien avec l'Évêque Irinej, de l'Église orthodoxe serbe de Novi Sad, il a été souligné que les bombardements de l'OTAN aggravaient la situation et ne pouvaient contribuer à la recherche d'une solution à la crise. L'approche psychologique de l'OTAN a été ‘désastreuse' dans la mesure où elle a considérablement réduit les chances d'aboutir à une solution politique. La délégation a soulevé la question des atrocités dont il est fait état, des déportations forcées et de l'épuration ethnique perpétrée par les forces yougoslaves au Kosovo. Les responsables ecclésiastiques expriment leur affliction devant les souffrances qu'endure la province, mais accusent les forces séparatistes et les bombardements intensifs de l'OTAN d'avoir encouragé, voire directement provoqué l'exode massif de la population. " Nous pleurons sur la situation désespérée des réfugiés " dit-il et l'Église ne fera pas de distinction entre albanais et serbes. Cependant il reste sceptique quant aux motifs humanitaires de l'opération de l'OTAN. " Pratiquement aucune aide ne fut apportée à la Yougoslavie de l'extérieur et pas davantage par les autorités de l'État pour soutenir les 700'000 réfugiés contraints de quitter leur maison en Croatie et en Bosnie ", ajouta-t-il. La Yougoslavie a connu de nombreux problèmes et était loin d'être un modèle de démocratie, mais elle n'en était pas moins le pays le plus ouvert dans le système communiste, a-t-il fait remarquer. " Les difficultés sont mille fois plus grandes depuis l'intervention de l'OTAN. La politique adoptée par l'Occident envers la Yougoslavie a engendré le plus grand foyer anti-occidental d'Europe ".

Selon l'Évêque, l'Église orthodoxe serbe a lutté pour proposer des solutions alternatives afin de résoudre la crise au Kosovo, mais l'intervention de l'OTAN a maintenant engendré de nouveaux conflits, avec des tensions émergeant dans sa propre région de Vojvodina. Il pense que la Yougoslavie devrait accorder la pleine autonomie aux kosovars albanais à l'intérieur des frontières internationales existantes, les droits des autres minorités étant garantis par une force internationale d'interposition " hors pays de l'OTAN " qui ne sauraient être neutres après leur intervention. L'Évêque ne peut se résoudre à croire que les réactions désastreuses aux bombardements de l'OTAN n'avaient pas été analysées au préalable et prévues par les politiques occidentaux. C'est pourquoi il soulève la question des intérêts géopolitiques plus larges servis par l'intervention dans cette région. L'Évêque souligne que l'Église " ne parle pas dans l'esprit du gouvernement mais bien dans celui de l'Évangile ". " Nous aussi nous sommes des européens ", dit-il en lançant un appel aux Églises européennes pour sensibiliser l'opinion à la situation et à la position des Églises yougoslaves ainsi qu'aux conséquences sur le plan humain des bombardements et des déplacements de personnes dans la République fédérale de Yougoslavie.

5. LA SITUATION HUMANITAIRE EN YOUGOSLAVIE
Au cours d'entretiens avec les représentants d'Église, la situation critique sur le plan social, humanitaire et politique engendrée par les bombardements, ainsi que la violence persistante et les actions militaires au Kosovo, ont été débattues. L'étendue de l'impact humanitaire reste difficile à mesurer d'autant plus qu'il évolue chaque jour. Les déplacements massifs de réfugiés au Kosovo et l'arrivée de 500'000 autres kosovars albanais dans les pays limitrophes, l'Albanie et la Macédoine, ont entraîné un désastre humanitaire considérable et d'énormes souffrances. A l'époque de notre visite la situation précise qui régnait au Kosovo et l'étendue de la catastrophe humanitaire et matérielle n'étaient pas encore connues. Les organisations humanitaires internationales et les agences des Nations Unies estiment que quelques centaines voire milliers de personnes sont toujours déplacées dans la province même, et n'ont qu'un accès limité à des vivres et à un abri.

De nombreuses villes importantes en Yougoslavie ont été sévèrement touchées par les frappes de l'OTAN visant les ponts, les approvisionnements en énergie et les cibles militaires. Les bombardements les plus importants ont eu lieu au Kosovo même et dans les villes du Sud de la Yougoslavie. Des civils ont directement succombé aux raids aériens, même si les autorités ont quelques réticences à publier des chiffres. Certaines personnes déplacées par les combats au Kosovo, qu'il s'agisse d'albanais, de serbes ou d'autres, tentent péniblement de se frayer un chemin vers le Nord jusqu'à Vojvodina et Novi Sad, bien que beaucoup préfèrent éviter les agglomérations. Plus de 100'000 personnes déplacées se trouveraient actuellement au Monténégro, d'après les dires de la Croix Rouge yougoslave. Les populations de réfugiés formées à la suite des combats et des déplacements forcés en Bosnie et en Croatie sont également sérieusement affectées. Selon des chiffres fournis par le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies plus de 760'000 réfugiés, en majeure partie des serbes, se trouveraient toujours en République fédérale de Yougoslavie et auraient besoin de l'aide internationale. Des médicaments et produits de première nécessité importés (p.ex. des aliments pour enfants et du lait) se font déjà rares. Dans les grandes villes, les systèmes de chauffage, l'eau courante et les installations sanitaires ont été sérieusement endommagés. La Croix Rouge augmente ses stocks de sang et développe une formation en soins d'urgence. Les hôpitaux ne prennent plus que les urgences et certaines zones sont privées d'eau et de chauffage. L'impact psychologique et le traumatisme sur la population civile deviennent de plus en plus manifestes et il semble que le taux de suicides soit en hausse, plus particulièrement parmi les groupes vulnérables comme les personnes âgées.

Une autre conséquence directe du conflit est la mobilisation potentielle d'hommes pour l'armée. Les hommes en âge d'être enrolés ne sont pas autorisés à quitter le pays. Quelques cas de désertion et d'insoumission ont été signalés, plus particulièrement parmi les communautés minoritaires non-serbes qui ne désirent pas servir au Kosovo. Des objecteurs de conscience, surtout parmi les témoins de Jéhovah et les Nazaréens, sont susceptibles d'être poursuivis.

Toutefois, à en croire Karoly Beres, le responsable de l'organisation humanitaire oecuménique basée à Novi Sad, ce sont les effets au long terme qui sont le plus redoutés. " Le bombardement d'usines, de dépôts de carburant, ou de routes servant au transport des civils, venant s'ajouter à dix années de sanctions internationales, est en train de provoquer rapidement un désastre économique " précise-t-il. Le lent démantèlement de la vie normale engendré par le fait que les écoles et les services médicaux ne fonctionnement plus, est particulièrement préoccupant. " Il semble amoral que nous demandions de l'aide alors que les kosovars souffrent tellement " souligne-t-il, " mais les vagues de haine soulevées (en raison des bombardements de l'OTAN) exercent leurs effets et leurs conséquences nous effraient ". Le chef de l'EHS exprime sa reconnaissance et sa gratitude pour le soutien apporté par les agences ecclésiastiques occidentales au travail de l'organisation. Selon Beres, les Églises peuvent jouer un rôle important dans la résolution du conflit si elles évitent les fautes commises par les politiques et si elles se tournent vers l'avenir sans faire référence au passé. " Notre mission en tant qu'Églises consiste à trouver des voies pour que toutes les nations puissent vivre ensemble au sein d'une vie européenne plus large ". Mais il reconnaît que la crise qui se poursuit en Yougoslavie fait reculer ce rêve.

6. CONSTATATIONS ET CONCLUSIONS
La visite oecuménique conjointe fut chaleureusement accueillie par les Églises comme une manifestation de réelle préoccupation et de solidarité alors qu'elle était organisée à un moment critique et tendu de l'histoire de la République fédérale de Yougoslavie.

La délégation a reconnu la double tragédie expérimentée par les populations yougoslaves: la guerre civile dévastatrice et les déplacements forcés de personnes dans la région du Kosovo, ainsi que l'impact massif des bombardements de l'OTAN à travers toute la Yougoslavie.

Les responsables des Églises yougoslaves condamnent toute forme de violence, d'intimidation, de nettoyage ethnique et de déplacement forcé à l'encontre de la population civile dans la province du Kosovo.

L'Église orthodoxe serbe lance un appel explicite pour que le droit au retour de toutes les personnes déplacées ayant dû abandonner leur maison à cause des combats, soit garanti.

Les causes immédiates de l'exode massif des réfugiés sont perçues de diverses manières: certaines Églises considèrent que les frappes de l'OTAN et la confrontation armée au Kosovo en sont des facteurs essentiels.

Toutes les Églises font remarquer qu'il est important que toute solution possible pour résoudre le conflit respecte l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et le caractère multi-ethnique de la province tout en garantissant les droits de tous les groupes ethniques et religieux.

Les Églises orthodoxe, protestante et catholique sont unanimes dans leur opposition aux frappes de l'OTAN. Selon elles, l'intervention de l'OTAN, loin de faire changer la politique yougoslave, a conduit à une intensification de la crise. L'intervention est perçue comme une atteinte injuste portée à la souveraineté du pays et à la population civile, même si l'OTAN insiste sur le fait que celle-ci vise les dirigeants yougoslaves et le potentiel militaire du Kosovo.

L'intervention de l'OTAN aurait efficacement réduit au silence toute opposition politique et démocratique dans le pays et largement paralysé la société civile émergente, puisque le pays se rassemble face à ce qui est perçu comme une agression étrangère. Les autorités yougoslaves ont mis un terme ou restreint l'activité auparavant florissante des médias indépendants, plus particulièrement en Serbie. Selon le chef du Parti démocratique, Zoran Djindjic, cité à l'époque de notre visite par les médias occidentaux, l'intervention de l'OTAN a, à vrai dire, renforcé Milosevic, et entraîné des troubles sociaux en Yougoslavie. A Belgrade 17 organisations pour la paix et ONG indépendantes ont lancé un appel pour que cessent les bombardements; des rapports font état d'une intensification de l'intimidation et d'une aggravation de la peur parmi les activistes de la population civile depuis le début des frappes. Paradoxalement, certaines zones très affectées par les bombardements étaient des centres de soutien aux partis politiques d'opposition, alors que le Kosovo était un centre important en faveur de Milosevic en raison de l'abstention des kosovars albanais aux élections. Les Églises ne soutiennent aucunement la politique ou les dirigeants de l'actuel régime yougoslave.

L'intervention militaire de l'OTAN risque de déstabiliser davantage le fragile équilibre ethnique et politique en Yougoslavie et menace de relancer les différends et les conflits parmi les pays voisins.

L'impact global des frappes sur le plan humanitaire en République fédérale de Yougoslavie est bien plus large et plus profond que les médias internationaux ne le disent. Les " dommages collatéraux " comprennent la destruction fréquente, bien souvent indirecte, des hôpitaux, des écoles et des zones d'habitation; de plus les conséquences psychologiques et les traumatismes subis sont très sensibles. Dans bien des régions la perturbation des infrastructures routières isole des communautés vulnérables. Un important pont reliant par exemple la Serbie et la Croatie a été détruit, ce qui isole bel et bien les derniers serbes restant encore dans la région de Vukovar. Les conséquences économiques sont désastreuses et entravent la distribution d'eau, d'énergie et de vivres dans certaines parties du pays. La Croix Rouge yougoslave a diffusé des informations détaillées sur la situation et développe activement ses mesures d'alerte préventive face à la catastrophe. Quelques groupes yougoslaves ont protesté contre l'impact sur l'environnement des frappes de l'OTAN visant des installations pétrolières et chimiques, plus particulièrement au niveau du Danube, ainsi que l'utilisation présumée par l'OTAN de munitions à base d'uranium et de bombes anti-personnel aveugles au Kosovo.

Le rôle joué par les médias et la transmission de l'information sont déterminants dans la perception des événements. Les médias de l'État yougoslave se concentrent sur les frappes de l'OTAN touchant les civils dans d'autres parties de la Yougoslavie. Les Yougoslaves qui ont accès à la télévision par satellite, aux radios étrangères et à I'internet sont au courant des déportations massives, de l'épuration ethnique et de la situation désespérée des réfugiés contraints de quitter le Kosovo. Les médias occidentaux ayant un accès limité aux régions du Kosovo font peu état du conflit armé qui règne dans la province et de ses causes complexes. D'une façon générale il est peu fait mention des positions alternatives et modérées du mouvement démocratique yougoslave et des Églises. La pression délibérée exercée par tous les partis sur les médias et le nouveau pouvoir d'information directe par l'internet ont créé une guerre " live " dans laquelle l'image et la perception l'emportent parfois sur le contenu et la direction des actions menées de tous côtés.

7. RECOMMANDATIONS A L‘ATTENTION DES ORGANISATIONS ECCLESIASTIQUES INTERNATIONALES
Les organisations oecuméniques internationales devraient continuer à aider les Églises de Yougoslavie à exprimer et communiquer leur expérience et leur compréhension de la crise actuelle.

La communauté oecuménique devrait encourager la pratique d'une prière internationale pour la paix, par exemple chaque mercredi après-midi, en solidarité avec les Églises de Novi Sad. Une prière internationale pour la paix en Yougoslavie est également proposée par les Églises yougoslaves pour la journée du 16 mai.

Les organisations ecclésiastiques internationales devraient encourager un partage plus systématique de l'information avec les Églises membres de la RFY, y compris sur le conflit, la crise des réfugiés du Kosovo et les réactions des Églises au niveau international.

La réponse oecuménique aux besoins en aide humanitaire de toutes les victimes, des personnes déplacées et des réfugiés doit se poursuivre et être renforcée par l'ACT (Action by Churches Together). L'alerte préventive face à la catastrophe constitue une priorité et une rencontre de coordination devrait être organisée avec des partenaires serbes. L'accent doit être mis sur le renforcement de la capacité des Églises locales et des organisations de la RFY à venir en aide à ceux qui en ont besoin.

L'aide pour le renouveau du Conseil oecuménique des Églises yougoslaves est importante et nécessaire; elle a été demandée par les responsables de l'Église protestante.

Il serait bon d'encourager le networking et la mobilisation des Églises de par le monde pour débattre de la crise ainsi que des positions respectives, et pour promouvoir un règlement juste passant par la négociation. La préoccupation des Églises européennes pourrait prendre la forme d'un appel conjoint à l'instauration d'un cessez-le-feu, à l'arrêt des bombardements et à l'établissement d'un couloir humanitaire au Kosovo.

Des visites identiques à d'autres Églises et partenaires dans la région des Balkans pourraient être organisées le plut tôt possible en vue de promouvoir une collaboration entre Églises de régions différentes.

Afin de vaincre l'isolement et de renforcer la couverture par les médias du mouvement oecuménique, un investissement accru de la part des Églises de la RFY dans les activités et la vie des organisations ecclésiastiques internationales devrait être encouragé.


ANNEXE 1: INTINÉRAIRE DE LA DÉLÉGATION

16 avril Vol jusqu'à Budapest où la délégation a passé la nuit.
17 avril Voyage par minibus de Budapest jusqu'à la République fédérale de Yougoslavie. Rencontres à Novi Sad avec les dirigeants de l'Eglise protestante et de l'Organisation humanitaire oecuménique:
  • l'Évêque Istvàn Csete-Szemesi, Église chrétienne réformée de Yougoslavie
  • l'Évêque Jan Valent, Église évangélique slovaque de la Confession d'Augsburg en Yougoslavie;
  • Superintendent Martin Hovan, Église méthodiste évangélique de Yougoslavie;
  • Mr. Karoly Beres, Organisation humanitaire oecuménique.
Repas de midi et visite des sites endommagés par les bombardements à Novi Sad. Voyage jusqu'à Belgrade.

Rencontres à l'Église orthodoxe serbe:

  • Fr. Andreas (Cilerdzic), Relations extérieures ;
  • l'Évêque Irinej de Backa;
  • l'Évêque Ignatije de Branicevo;
  • Mr Milivoj Randnic; responsable du mouvement de la jeunesse de l'Église orthodoxe serbe
Rencontre avec l'Archevêque Franc Perko, Archidiocèse catholique romain de Belgrade.
Dîner et nuit passée à Belgrade.

18 avril Audience avec S.S. le Patriarche Pavle, chef hiérarchique de l'Église orthodoxe serbe.
Visite du monastère de Rakovica, Belgrade.
Célébration du culte et visite de monastères endommagés par les bombardements de l'OTAN.
Retour par minibus de Belgrade à Budapest.


ANNEXE 2: STATISTIQUES DES ÉGLISES DE YOUGOSLAVIE

Église orthodoxe serbe: 6.5 millions de membres, 35 évêques

Église luthérienne: 48'000 membres, 27 paroisses, 13 autres communautés, 21 pasteurs (dont 4 femmes)

Église réformée: 18'000 membres, 16 pasteurs, 16 paroisses, 34 communautés filles (sans ministre du culte)

Église méthodiste: 1000 membres, 16 paroisses, 8 pasteurs ordonnés prêtres, 6 pasteurs laïques

Église catholique romaine: Archevêché de Belgrade: 10'000 membres (excl. Vojvodina et Kosovo)


Kosovo: déclarations et mesures du COE
Rapport d'une délégation oecuménique envoyée en Yougoslavie
Page d'accueil du COE