Conférence des Eglises Européennes Conseil Oecuménique des Eglises Fédération Luthérienne Mondiale |
Rapport de la délégation oecuménique en Yougoslavie Novi Sad, Belgrade, 16-18 Avril 1999 La double tragédie de la Yougoslavie |
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to: 2. RENCONTRE AVEC LES RESPONSABLES DES ÉGLISES PROTESTANTES (NOVI SAD) 3. RENCONTRE AVEC L'ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE (BELGRADE) 4. RENCONTRE AVEC l'ÉGLISE ORTHODOXE SERBE (BELGRADE) 5. LA SITUATION HUMANITAIRE EN YOUGOSLAVIE 6. CONSTATATIONS ET CONCLUSIONS 7.RECOMMANDATIONS A L‘ATTENTION DES ORGANISATIONS ECCLESIASTIQUES INTERNATIONALES ANNEXE 1: INTINÉRAIRE DE LA DÉLÉGATION ANNEXE 2: STATISTIQUES DES ÉGLISES DE YOUGOSLAVIE |
1. INTRODUCTION Une délégation conjointe de la Conférence des Églises européennes (KEK), du Conseil oecuménique des Églises (COE) et de la Fédération luthérienne mondiale s'est rendue en République fédérale de Yougoslavie (RFY) du 16 au 18 avril 1999. Le but de cette visite était de rencontrer les responsables des Églises membres de la République fédérale de Yougoslavie et de s'entretenir avec eux des causes et des conséquences de la crise actuelle du Kosovo ainsi que des bombardements de l'OTAN sur la Yougoslavie. La délégation oecuménique a rendu visite aux Églises membres des villes yougoslaves de Novi Sad et de Belgrade, mais n'a pu pénétrer dans la province même du Kosovo en raison des restrictions pesant sur les déplacements étant donné la situation de conflit que connaît en ce moment le Kosovo. Des visites aux Églises membres d'Albanie et d'autres pays des Balkans sont également prévues. La visite eut lieu peu de temps après le début des frappes aériennes visant certaines cibles de la République fédérale de Yougoslavie. Le projet d'envoyer une délégation oecuménique avait germé dans le contexte de la préoccupation internationale suscitée par l'exode massif et tragique de plus de 500 000 kosovars albanais vers les pays limitrophes, l'Albanie et la Macédoine, et par les rapports et les allégations de violations graves des droits de la personne humaine, de déportation forcée et d'exécutions arbitraires perpétrées dans la province du Kosovo, fournis, entre autres, par le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés ainsi que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme. |
Le présent rapport a pour objet à la fois de communiquer les résultats de la visite et des discussions avec les responsables d'Églises yougoslaves et de résumer les premières conclusions tirées par la délégation.
Les objectifs fixés pour la visite étaient les suivants:
2. RENCONTRE AVEC LES RESPONSABLES DES ÉGLISES PROTESTANTES
(NOVI SAD)
Il existe un certain nombre de réactions de la part des communautés
ecclésiastiques de Yougoslavie à la crise du Kosovo, et plus particulièrement par
rapport à l'intervention de l'OTAN et à ses conséquences - entre autres des
déclarations et des prières conjointes. Les chefs d'Église sont en
général bien informés sur la crise touchant les réfugiés ainsi que sur
les déportations perpétrées au Kosovo et les conséquences dramatiques
qui s'ensuivent pour la population civile et les pays limitrophes. Tous les responsables d'Église
condamnent avec force toute forme de violence, d'intimidation, d'épuration ethnique et de
déplacement forcé de la population civile du Kosovo, et soutiennent les appels
lancés dans le sens d'une résolution pacifique du conflit dans le cadre de
négociations. Néanmoins, différentes perceptions des causes immédiates de
la violence et de la crise touchant les réfugiés du Kosovo cohabitent. Pour la plupart des
Églises le rôle joué par les forces séparatistes armées des kosovars
albanais est un facteur important de radicalisation de la situation dans la région, au
même titre que la réponse violente de la Yougoslavie et des forces militaires et
paramilitaires serbes; par ailleurs les bombardements intensifs de l'OTAN sont perçus comme
un phénomène aggravant l'exode dans cette région.
La situation conflictuelle et l'intervention de l'OTAN étaient au centre des discussions. Novi
Sad a été touchée par les frappes aériennes toutes les nuits pendant trois
semaines et différents sites de la banlieue ainsi que les ponts du centre ville ont
été détruits. Les Églises locales ont condamné unanimement
l'attaque de l'OTAN ressentie comme une réponse injuste et inhumaine à une
séquence complexe d'événements ayant conduit à la crise qui règne
actuellement au Kosovo; elles considèrent cette intervention comme une attaque illégale
et immorale sur un État souverain. Les responsables d'Église soulignent que la
campagne de raids aériens a ébranlé la démocratie, renforcé le
contrôle exercé par le régime dans le pays et radicalisé les forces
extrémistes présentes en Yougoslavie et parmi les ethnies albanaises.
L'Évêque Istvan, chef de l'Église réformée de Yougoslavie est
convaincu que la guerre au Kosovo aurait pu être évitée si les puissances
occidentales n'étaient pas intervenues et n'avaient pas suscité des " attentes impossibles
à réaliser ". Selon le dirigeant de l'Église luthérienne, l'Évêque
Valent, " la tragédie humanitaire à laquelle les albanais sont confrontés s'est
trouvée exacerbée par les actions entreprises par l'OTAN et l'Armée de
libération du Kosovo (UCK). La crise au Kosovo est le résultat du
démantèlement de l'équilibre fragile des nationalités yougoslaves construit
par Tito et de la position extrémiste de kosovars albanais encouragés par les puissances
occidentales à rechercher la sécession par rapport à la Yougoslavie, ont
déclaré les représentants des Églises. Le superintendant méthodiste
Hovan a ajouté que désormais " le pays entier était plongé dans la crise ".
Il a par ailleurs exprimé sa gratitude pour l'aide et le soutien apportés par la famille
oecuménique à toutes les victimes du conflit.
Les minorités ethniques de la province de Vojvodina (pour la plupart des hongrois et des
slovaques) " ne sont pas responsables de la crise du Kosovo ", a expliqué
l'Évêque Valent, " mais les conséquences sur la situation locale ici même
sont importantes ". Des hommes jeunes sont menacés de mobilisation, les
répercussions économiques sont sérieuses, et il y a des exemples isolés
d'attitude xénophobe envers des groupes minoritaires, ce qui n'était pas le cas avant les
raids de l'OTAN. L'introduction d'un état de guerre en Yougoslavie signifie également
que les Églises doivent solliciter la permission d'organiser tout rassemblement non cultuel.
Le sentiment d'injustice et d'outrage qui s'est fait profondément sentir dans cette région
traditionnellement multi-ethnique et multi-culturelle, est dépeint par un professeur
d'université, Dr. Svenka Savic, en ces termes (un texte qui circule à l'étranger
dans les Églises): " Les ponts sont des contructions (...) de l'esprit reliant les personnes et les
objets (...). Le bombardement du pont de Novi Sad symbolise la division entre les nations, entre les
parties du monde, entre nous. Le bombardement du pont de Novi Sad fait partie d'une longue
série qui a touché notre (ancien) pays (...); aujourd'hui, face à ce pont
détruit, chacun de nous se souvient comment nous vivions avec lui, et tous nous pleurons.
Nous pleurons parce que nous haïssons ceux qui nous en ont privés. En
détruisant le pont de Novi Sad comme point stratégique, ils ont touché le point
sensible de notre équilibre et désormais nous sommes boîteux, à la
recherche d'un soutien ".
3. RENCONTRE AVEC L'ÉGLISE
CATHOLIQUE ROMAINE (BELGRADE)
4. RENCONTRE AVEC l'ÉGLISE
ORTHODOXE SERBE (BELGRADE)
Le Patriarche a rappelé à la délégation qu'il vivait depuis 34 ans au
Kosovo et qu'il était bien placé pour connaître la situation. Il a exprimé sa
profonde préoccupation devant les souffrances humaines et les destructions tragiques qui
secouent cette province. Il pense qu'il est important de comprendre les causes et les raisons ayant
conduit à la situation actuelle. A son avis, l'État yougoslave est confronté à
une position impossible, étant donné que les séparatistes armés recherchent
l'indépendance par rapport au reste de la Yougoslavie. L'intervention de l'OTAN est
perçue comme une attaque des puissances occidentales sur la souveraineté et la
liberté du pays et ne faisant rien pour promouvoir l'option des négociations. Que dit
l'Évangile lorsque notre intégrité et notre liberté sont attaquées?
demanda-t-il. L'Église est contre la guerre, mais un État a le droit de défendre son
intégrité. D'un autre côté l'Évangile précise que nous devons
répondre devant Dieu de nos actions et de nos vies, aussi " tout notre travail dans cette crise
doit consister à servir la justice, la vérité et l'amour " a-t-il insisté.
Le responsable de l'Église serbe apprécie les actions et les déclarations des
organisations ecclésiastiques internationales - tout particulièrement celles de
l'Église catholique romaine - qui visent à promouvoir la recherche d'une solution
pacifique du conflit. L'Église orthodoxe serbe oeuvre activement à la recherche de
solutions alternatives; elle a adopté une attitude critique par rapport aux actions des dirigeants
politiques yougoslaves au Kosovo et a envoyé une délégation pour exposer ses
vues à la conférence de paix de Rambouillet ... sans succès. En plus des
propositions soumises à Rambouillet, des annexes spécifiques avaient été
rédigés par l'Église en faveur d'une large autonomie et du respect des droits de
toutes les minorités au Kosovo. Un mémorandum proposant des solutions alternatives
urgentes à la politique suivie par le gouvernement yougoslave ont été soumises
à Madeleine Albright en personne, par l'Évêque Artemije de Raska-Prizren. Le
Patriarche et le Saint-Synode soutiennent les déclarations et actions de l'Évêque
orthodoxe du Kosovo, l'Évêque Artemije proposant que la province reste au sein d'une
Yougoslavie démocratique et fédérale garantissant les droits de tous les groupes
ethniques et nationaux. Cette position a été développée au cours des deux
dernières années et a suscité de sérieuses critiques de l'Église
orthodoxe serbe de la part des dirigeants politiques yougoslaves. Le Patriarche a exprimé son
intérêt pour la proposition selon laquelle les Églises européennes
prendraient une nouvelle initiative pour appeler à la cessation des hostilités, à un
arrêt des bombardements de l'OTAN et à l'établissement d'un couloir
humanitaire au Kosovo pour venir en aide aux personnes déplacées et à ceux qui
souffrent des combats.
Au cours d'un entretien avec l'Évêque Irinej, de l'Église orthodoxe serbe de Novi
Sad, il a été souligné que les bombardements de l'OTAN aggravaient la situation
et ne pouvaient contribuer à la recherche d'une solution à la crise. L'approche
psychologique de l'OTAN a été ‘désastreuse' dans la mesure où elle a
considérablement réduit les chances d'aboutir à une solution politique. La
délégation a soulevé la question des atrocités dont il est fait état, des
déportations forcées et de l'épuration ethnique perpétrée par les
forces yougoslaves au Kosovo. Les responsables ecclésiastiques expriment leur affliction
devant les souffrances qu'endure la province, mais accusent les forces séparatistes et les
bombardements intensifs de l'OTAN d'avoir encouragé, voire directement provoqué
l'exode massif de la population. " Nous pleurons sur la situation désespérée des
réfugiés " dit-il et l'Église ne fera pas de distinction entre albanais et serbes.
Cependant il reste sceptique quant aux motifs humanitaires de l'opération de l'OTAN.
" Pratiquement aucune aide ne fut apportée à la Yougoslavie de l'extérieur et pas
davantage par les autorités de l'État pour soutenir les 700'000 réfugiés
contraints de quitter leur maison en Croatie et en Bosnie ", ajouta-t-il. La Yougoslavie a connu de
nombreux problèmes et était loin d'être un modèle de démocratie,
mais elle n'en était pas moins le pays le plus ouvert dans le système communiste, a-t-il
fait remarquer. " Les difficultés sont mille fois plus grandes depuis l'intervention de l'OTAN.
La politique adoptée par l'Occident envers la Yougoslavie a engendré le plus grand
foyer anti-occidental d'Europe ".
Selon l'Évêque, l'Église orthodoxe serbe a lutté pour proposer des
solutions alternatives afin de résoudre la crise au Kosovo, mais l'intervention de l'OTAN a
maintenant engendré de nouveaux conflits, avec des tensions émergeant dans sa propre
région de Vojvodina. Il pense que la Yougoslavie devrait accorder la pleine autonomie aux
kosovars albanais à l'intérieur des frontières internationales existantes, les droits
des autres minorités étant garantis par une force internationale d'interposition " hors
pays de l'OTAN " qui ne sauraient être neutres après leur intervention.
L'Évêque ne peut se résoudre à croire que les réactions
désastreuses aux bombardements de l'OTAN n'avaient pas été analysées
au préalable et prévues par les politiques occidentaux. C'est pourquoi il soulève
la question des intérêts géopolitiques plus larges servis par l'intervention dans
cette région. L'Évêque souligne que l'Église " ne parle pas dans l'esprit du
gouvernement mais bien dans celui de l'Évangile ". " Nous aussi nous sommes des
européens ", dit-il en lançant un appel aux Églises européennes pour
sensibiliser l'opinion à la situation et à la position des Églises yougoslaves ainsi
qu'aux conséquences sur le plan humain des bombardements et des déplacements de
personnes dans la République fédérale de Yougoslavie.
5. LA SITUATION HUMANITAIRE EN
YOUGOSLAVIE
De nombreuses villes importantes en Yougoslavie ont été sévèrement
touchées par les frappes de l'OTAN visant les ponts, les approvisionnements en énergie
et les cibles militaires. Les bombardements les plus importants ont eu lieu au Kosovo même et
dans les villes du Sud de la Yougoslavie. Des civils ont directement succombé aux raids
aériens, même si les autorités ont quelques réticences à publier des
chiffres. Certaines personnes déplacées par les combats au Kosovo, qu'il s'agisse
d'albanais, de serbes ou d'autres, tentent péniblement de se frayer un chemin vers le Nord
jusqu'à Vojvodina et Novi Sad, bien que beaucoup préfèrent éviter les
agglomérations. Plus de 100'000 personnes déplacées se trouveraient
actuellement au Monténégro, d'après les dires de la Croix Rouge yougoslave.
Les populations de réfugiés formées à la suite des combats et des
déplacements forcés en Bosnie et en Croatie sont également sérieusement
affectées. Selon des chiffres fournis par le Haut Commissariat aux réfugiés des
Nations Unies plus de 760'000 réfugiés, en majeure partie des serbes, se trouveraient
toujours en République fédérale de Yougoslavie et auraient besoin de l'aide
internationale. Des médicaments et produits de première nécessité
importés (p.ex. des aliments pour enfants et du lait) se font déjà rares. Dans les
grandes villes, les systèmes de chauffage, l'eau courante et les installations sanitaires ont
été sérieusement endommagés. La Croix Rouge augmente ses stocks de
sang et développe une formation en soins d'urgence. Les hôpitaux ne prennent plus que
les urgences et certaines zones sont privées d'eau et de chauffage. L'impact psychologique et
le traumatisme sur la population civile deviennent de plus en plus manifestes et il semble que le taux
de suicides soit en hausse, plus particulièrement parmi les groupes vulnérables comme
les personnes âgées.
Une autre conséquence directe du conflit est la mobilisation potentielle d'hommes pour
l'armée. Les hommes en âge d'être enrolés ne sont pas autorisés
à quitter le pays. Quelques cas de désertion et d'insoumission ont été
signalés, plus particulièrement parmi les communautés minoritaires non-serbes
qui ne désirent pas servir au Kosovo. Des objecteurs de conscience, surtout parmi les
témoins de Jéhovah et les Nazaréens, sont susceptibles d'être poursuivis.
Toutefois, à en croire Karoly Beres, le responsable de l'organisation humanitaire
oecuménique basée à Novi Sad, ce sont les effets au long terme qui sont le plus
redoutés. " Le bombardement d'usines, de dépôts de carburant, ou de routes
servant au transport des civils, venant s'ajouter à dix années de sanctions
internationales, est en train de provoquer rapidement un désastre économique "
précise-t-il. Le lent démantèlement de la vie normale engendré par le fait
que les écoles et les services médicaux ne fonctionnement plus, est
particulièrement préoccupant. " Il semble amoral que nous demandions de l'aide alors
que les kosovars souffrent tellement " souligne-t-il, " mais les vagues de haine soulevées (en
raison des bombardements de l'OTAN) exercent leurs effets et leurs conséquences nous
effraient ". Le chef de l'EHS exprime sa reconnaissance et sa gratitude pour le soutien apporté
par les agences ecclésiastiques occidentales au travail de l'organisation. Selon Beres, les
Églises peuvent jouer un rôle important dans la résolution du conflit si elles
évitent les fautes commises par les politiques et si elles se tournent vers l'avenir sans faire
référence au passé. " Notre mission en tant qu'Églises consiste à
trouver des voies pour que toutes les nations puissent vivre ensemble au sein d'une vie
européenne plus large ". Mais il reconnaît que la crise qui se poursuit en Yougoslavie
fait reculer ce rêve.
6. CONSTATATIONS ET CONCLUSIONS
La délégation a reconnu la double tragédie expérimentée
par les populations yougoslaves: la guerre civile dévastatrice et les déplacements
forcés de personnes dans la région du Kosovo, ainsi que l'impact massif des
bombardements de l'OTAN à travers toute la Yougoslavie.
Les responsables des Églises yougoslaves condamnent toute forme de violence,
d'intimidation, de nettoyage ethnique et de déplacement forcé à
l'encontre de la population civile dans la province du Kosovo.
L'Église orthodoxe serbe lance un appel explicite pour que le droit au retour de toutes les
personnes déplacées ayant dû abandonner leur maison à cause des
combats, soit garanti.
Les causes immédiates de l'exode massif des réfugiés sont
perçues de diverses manières: certaines Églises considèrent que les frappes
de l'OTAN et la confrontation armée au Kosovo en sont des facteurs essentiels.
Toutes les Églises font remarquer qu'il est important que toute solution possible pour
résoudre le conflit respecte l'intégrité territoriale de la
République fédérale de Yougoslavie et le caractère multi-ethnique de la
province tout en garantissant les droits de tous les groupes ethniques et religieux.
Les Églises orthodoxe, protestante et catholique sont unanimes dans leur opposition aux
frappes de l'OTAN. Selon elles, l'intervention de l'OTAN, loin de faire changer la politique
yougoslave, a conduit à une intensification de la crise. L'intervention est perçue comme
une atteinte injuste portée à la souveraineté du pays et à la population
civile, même si l'OTAN insiste sur le fait que celle-ci vise les dirigeants yougoslaves et le
potentiel militaire du Kosovo.
L'intervention de l'OTAN aurait efficacement réduit au silence toute opposition politique
et démocratique dans le pays et largement paralysé la société civile
émergente, puisque le pays se rassemble face à ce qui est perçu comme une
agression étrangère. Les autorités yougoslaves ont mis un terme ou restreint
l'activité auparavant florissante des médias indépendants, plus
particulièrement en Serbie. Selon le chef du Parti démocratique, Zoran Djindjic,
cité à l'époque de notre visite par les médias occidentaux, l'intervention de
l'OTAN a, à vrai dire, renforcé Milosevic, et entraîné des troubles sociaux
en Yougoslavie. A Belgrade 17 organisations pour la paix et ONG indépendantes ont
lancé un appel pour que cessent les bombardements; des rapports font état d'une
intensification de l'intimidation et d'une aggravation de la peur parmi les activistes de la population
civile depuis le début des frappes. Paradoxalement, certaines zones très affectées
par les bombardements étaient des centres de soutien aux partis politiques d'opposition, alors
que le Kosovo était un centre important en faveur de Milosevic en raison de l'abstention des
kosovars albanais aux élections. Les Églises ne soutiennent aucunement la politique ou
les dirigeants de l'actuel régime yougoslave.
L'intervention militaire de l'OTAN risque de déstabiliser davantage le fragile
équilibre ethnique et politique en Yougoslavie et menace de relancer les différends
et les conflits parmi les pays voisins.
L'impact global des frappes sur le plan humanitaire en République
fédérale de Yougoslavie est bien plus large et plus profond que les médias
internationaux ne le disent. Les " dommages collatéraux " comprennent la destruction
fréquente, bien souvent indirecte, des hôpitaux, des écoles et des zones
d'habitation; de plus les conséquences psychologiques et les traumatismes subis sont
très sensibles. Dans bien des régions la perturbation des infrastructures routières
isole des communautés vulnérables. Un important pont reliant par exemple la Serbie et
la Croatie a été détruit, ce qui isole bel et bien les derniers serbes restant encore
dans la région de Vukovar. Les conséquences économiques sont
désastreuses et entravent la distribution d'eau, d'énergie et de vivres dans certaines
parties du pays. La Croix Rouge yougoslave a diffusé des informations détaillées
sur la situation et développe activement ses mesures d'alerte préventive face à la
catastrophe. Quelques groupes yougoslaves ont protesté contre l'impact sur l'environnement
des frappes de l'OTAN visant des installations pétrolières et chimiques, plus
particulièrement au niveau du Danube, ainsi que l'utilisation présumée par
l'OTAN de munitions à base d'uranium et de bombes anti-personnel aveugles au Kosovo.
Le rôle joué par les médias et la transmission de l'information sont
déterminants dans la perception des événements. Les médias de
l'État yougoslave se concentrent sur les frappes de l'OTAN touchant les civils dans d'autres
parties de la Yougoslavie. Les Yougoslaves qui ont accès à la télévision
par satellite, aux radios étrangères et à I'internet sont au courant des
déportations massives, de l'épuration ethnique et de la situation
désespérée des réfugiés contraints de quitter le Kosovo. Les
médias occidentaux ayant un accès limité aux régions du Kosovo font peu
état du conflit armé qui règne dans la province et de ses causes complexes. D'une
façon générale il est peu fait mention des positions alternatives et
modérées du mouvement démocratique yougoslave et des Églises. La
pression délibérée exercée par tous les partis sur les médias et le
nouveau pouvoir d'information directe par l'internet ont créé une guerre " live " dans
laquelle l'image et la perception l'emportent parfois sur le contenu et la direction des actions
menées de tous côtés.
7. RECOMMANDATIONS A L‘ATTENTION DES
ORGANISATIONS ECCLESIASTIQUES INTERNATIONALES
La communauté oecuménique devrait encourager la pratique d'une prière
internationale pour la paix, par exemple chaque mercredi après-midi, en solidarité
avec les Églises de Novi Sad. Une prière internationale pour la paix en Yougoslavie est
également proposée par les Églises yougoslaves pour la journée du 16
mai.
Les organisations ecclésiastiques internationales devraient encourager un partage plus
systématique de l'information avec les Églises membres de la RFY, y compris sur
le conflit, la crise des réfugiés du Kosovo et les réactions des Églises au
niveau international.
La réponse oecuménique aux besoins en aide humanitaire de toutes les
victimes, des personnes déplacées et des réfugiés doit se poursuivre et
être renforcée par l'ACT (Action by Churches Together). L'alerte préventive
face à la catastrophe constitue une priorité et une rencontre de coordination devrait
être organisée avec des partenaires serbes. L'accent doit être mis sur le
renforcement de la capacité des Églises locales et des organisations de la RFY à
venir en aide à ceux qui en ont besoin.
L'aide pour le renouveau du Conseil oecuménique des Églises yougoslaves est
importante et nécessaire; elle a été demandée par les responsables de
l'Église protestante.
Il serait bon d'encourager le networking et la mobilisation des Églises de par le monde pour
débattre de la crise ainsi que des positions respectives, et pour promouvoir un
règlement juste passant par la négociation. La préoccupation des Églises
européennes pourrait prendre la forme d'un appel conjoint à l'instauration d'un
cessez-le-feu, à l'arrêt des bombardements et à l'établissement d'un couloir
humanitaire au Kosovo.
Des visites identiques à d'autres Églises et partenaires dans la région des
Balkans pourraient être organisées le plut tôt possible en vue de promouvoir une
collaboration entre Églises de régions différentes.
Afin de vaincre l'isolement et de renforcer la couverture par les médias du mouvement
oecuménique, un investissement accru de la part des Églises de la RFY dans les
activités et la vie des organisations ecclésiastiques internationales devrait être
encouragé.
Rencontres à l'Église orthodoxe serbe:
18 avril Audience avec S.S. le Patriarche Pavle, chef hiérarchique de l'Église
orthodoxe serbe.
La délégation a rencontré les responsables des Églises minoritaires
protestantes (réformée, luthérienne et méthodiste) à Novi Sad
(Vojvodina) dans le Nord de la Serbie. D'importantes minorités ethniques hongroises et
slovaques ont élu domicile dans cette région. L'arrivée du groupe coïncida
avec la première nuit depuis le début des frappes aériennes où Novi Sad ne
fut pas visée. Les responsables d'Églises se sont réjouis de la solidarité et
de la compréhension dont la grande famille chrétienne témoignait par sa visite; ils
ont particulièrement apprécié les lettres et l'appel pascal à la paix des
instances internationales ecclésiastiques.
La délégation a été reçue par l'Archevêque Perko, chef
hiérarchique de l'archidiocèse de Belgrade. L'Archevêque a accueilli la
délégation dans la même salle à manger où un ultimatum
présenté à la Serbie par les puissances occidentales avait conduit à
l'éclatement de la première guerre mondiale. L'Église catholique romaine et le
nonce du Pape délégué en Yougoslavie sont intervenus vigoureusement pour
tenter de mettre un terme aux bombardements internationaux sur la Serbie décidés en
réponse à la crise du Kosovo, et continuent à promouvoir activement des
solutions diplomatiques. Selon l'Archevêque Perko, les Églises sont toutes unies contre
les frappes de l'OTAN et ne doivent jamais cessé de lutter en faveur du dialogue et des
négociations entre les belligérants du Kosovo. Le résultat inévitable des
bombardements de la Yougoslavie par l'OTAN est une réaction forte du peuple serbe
vis-à-vis de l'occident, précise-t-il: " Nous sommes pour le dialogue, mais ce qui est
tragique c'est que le dialogue est impossible maintenant" (...) il semble n'y avoir aucun consensus
envisageable sur une solution possible du conflit ". L'Archevêque reste pessimiste quant
à l'avenir immédiat. Il pense que l'aggravation des événements autour du
Kosovo est " une tragédie et un désastre " pour le peuple serbe et il fait un
parallèle avec la situation désespérée qu'a connu le peuple juif au temps du
prophète Jérémie. Il est partisan du " devoir moral " des Églises
européennes de faire cesser les bombardements de l'OTAN qui ne peuvent qu'empirer la
situation, d'une part, et de contribuer à l'ouverture d'un dialogue et à la recherche de
solutions pacifiques, d'autre part. Mais il craint que cela ne soit un " cri dans le désert ".
La délégation a été reçue par le chef hiérarchique de
l'Église orthodoxe serbe, le Patriarche Pavle, et séparément, par deux
évêques diocésains, Irinej de Backa et l'évêque Ignatije de
Branivevo. La visite a été chaleureusement accueillie comme une " manifestation visible
de la préoccupation et de la solidarité témoignée à l'égard des
Églises de Yougoslavie et de la cause de la paix " a déclaré le Patriarche Pavle. Il
a par ailleurs souligné que cette visite intervenait à un moment où à la fois
les serbes et les albanais connaissaient de graves difficultés et de grands malheurs. Il a
réitéré sa dénonciation de la guerre et de la violence ainsi que l'appel qu'il
avait lancé publiquement en faveur d'un arrêt des actions militaires de la part de toutes
les forces en présence, afin de pouvoir garantir le retour de tous les civils dans leurs foyers et
de rendre possible une solution de coexistence pacifique. " Dès le départ j'ai
exhorté les autorités de l'État, les forces militaires et les leaders laïques
à tout mettre en oeuvre pour éviter une intensification du conflit " a-t-il ajouté.
" Toute guerre est un fléau " a-t-il encore affirmé, " mais la guerre civile est doublement
funeste, dans la mesure où elle pousse à combattre ses propres voisins ".
Au cours d'entretiens avec les représentants d'Église, la situation critique sur le plan
social, humanitaire et politique engendrée par les bombardements, ainsi que la violence
persistante et les actions militaires au Kosovo, ont été débattues.
L'étendue de l'impact humanitaire reste difficile à mesurer d'autant plus qu'il
évolue chaque jour. Les déplacements massifs de réfugiés au Kosovo et
l'arrivée de 500'000 autres kosovars albanais dans les pays limitrophes, l'Albanie et la
Macédoine, ont entraîné un désastre humanitaire considérable et
d'énormes souffrances. A l'époque de notre visite la situation précise qui
régnait au Kosovo et l'étendue de la catastrophe humanitaire et matérielle
n'étaient pas encore connues. Les organisations humanitaires internationales et les agences
des Nations Unies estiment que quelques centaines voire milliers de personnes sont toujours
déplacées dans la province même, et n'ont qu'un accès limité
à des vivres et à un abri.
La visite oecuménique conjointe fut chaleureusement accueillie par les Églises
comme une manifestation de réelle préoccupation et de solidarité alors
qu'elle était organisée à un moment critique et tendu de l'histoire de la
République fédérale de Yougoslavie.
Les organisations oecuméniques internationales devraient continuer à aider les
Églises de Yougoslavie à exprimer et communiquer leur expérience et leur
compréhension de la crise actuelle.
16 avril Vol jusqu'à Budapest où la
délégation a passé la nuit.
17 avril Voyage par minibus de Budapest jusqu'à la République
fédérale de Yougoslavie. Rencontres à Novi Sad avec les dirigeants de l'Eglise
protestante et de l'Organisation humanitaire oecuménique:
Repas de midi et visite des sites endommagés par les bombardements à Novi Sad.
Voyage jusqu'à Belgrade.
Rencontre avec l'Archevêque Franc Perko, Archidiocèse catholique romain de
Belgrade.
Dîner et nuit passée à Belgrade.
Visite du monastère de Rakovica, Belgrade.
Célébration du culte et visite de monastères endommagés par les
bombardements de l'OTAN.
Retour par minibus de Belgrade à Budapest.
Église luthérienne: 48'000 membres, 27 paroisses, 13 autres communautés, 21
pasteurs (dont 4 femmes)
Église réformée: 18'000 membres, 16 pasteurs, 16 paroisses, 34
communautés filles (sans ministre du culte)
Église méthodiste: 1000 membres, 16 paroisses, 8 pasteurs ordonnés
prêtres, 6 pasteurs laïques
Église catholique romaine: Archevêché de Belgrade: 10'000 membres (excl.
Vojvodina et Kosovo)
Église orthodoxe serbe: 6.5 millions de membres, 35 évêques