huitième assemblée et cinquantenaire

Faisons route ensemble
Visions pour l'avenir
Philip Potter



Cette allocution a été prononcée le 13 décembre 1998 à la célébration du cinquantenaire du COE.

VISIONS POUR L'AVENIR

On m'a demandé de retracer le pèlerinage du Conseil oecuménique des Eglises au cours de ces cinquante dernières années en tentant de discerner des visions pour l'avenir. Je suis maintenant un homme âgé et je ne puis qu'espérer rêver - tout en reconnaissant que j'ai toujours eu de la peine à dormir. A Amsterdam, les délégués avaient un âge moyen de 61 ans, alors que nous autres, jeunes délégués, avions en moyenne à peu près 25 ans. Mais un grand nombre de ces personnes plus âgées avaient gardé vivante la vision qu'ils avaient reçue dans les Associations chrétiennes d'étudiants, les Unions chrétiennes de jeunes gens et les Unions chrétiennes féminines. J'ai dit dans l'allocution que j'ai prononcée devant l'Assemblée que jeunes et vieux ont besoin les uns des autres, dans la communion de l'Esprit, pour mener à bien les tâches qui sont devant eux.


L'ancien secrétaire général du COE, Philip Potter en compagnie de Sithembiso Nyomi (Zimbabwe) et de sa fille Mvuselelo, 15 ans, qui lui avait été tendue en un geste symbolique lors de l'Assemblée de Vancouver en 1983 (© COE/photo par Chris Black, no. 7178-22)

Ce qui nous a frappés le plus à Amsterdam, nous autres jeunes, c'est l'audace et la qualité prophétique du Message de l'Assemblée, et tout particulièrement l'appel à être des témoins et des serviteurs du Christ auprès de notre prochain. Ce message disait notamment :
Il faudra nous rappeler à nous-mêmes et rappeler à tout homme que Dieu a renversé les puissants de leur trône et élevé les humbles. Il faudra réapprendre à parler ensemble hardiment au nom du Christ à ceux qui détiennent l'autorité comme à ceux qui lui sont soumis, à combattre toute terreur, toute cruauté et toute discrimination raciste ; à porter assistance aux méprisés et aux parias, aux prisonniers et aux réfugiés. Il faudra que l'Eglise, partout, soit la voix de ceux qui ne peuvent élever leur voix dans le monde, la maison où tout homme trouve avec joie sa place. Il faudra, ensemble, rechercher le contenu des devoirs chrétiens de chacun, homme ou femme, dans l'industrie, l'agriculture, la politique, le métier et au foyer. Il faudra demander à Dieu d'inspirer les " oui " et les " non " que nous devons dire ensemble en toute vérité ; non, à tout ce qui foule aux pieds l'amour de Christ, à tout système, tout programme, toute personne qui traitent n'importe quel homme comme une chose irresponsable ou comme une source de gain ; non, à tous ceux qui défendent l'injustice au nom de l'ordre ; non, à ceux qui sèment des semences de guerre en la déclarant inévitable ; - oui, à tout ce qui est conforme à l'amour du Christ ; oui, à ceux qui cherchent la justice en procurant la paix ; oui, à ceux qui espèrent, luttent et souffrent pour la cause de l'homme ; oui, à quiconque - même sans le savoir - aspire aux nouveaux cieux et à la nouvelle terre où la justice habitera. " Première Assemblée du COE, Amsterdam 1948, Rapport officiel, p. 9s.
Ces paroles sont aussi neuves et aussi pertinentes aujourd'hui qu'elles l'étaient en 1948. Nous avons commencé notre parcours de cet après-midi par la lecture de ce passage de l'épître aux Hébreux (12,1) qui évoque la nuée de témoins. N'oublions pas que l'auteur dit au chapitre 2, verset 5, que sa vision est celle de l'" oikoumene qui vient " - l'oikoumene de Dieu, dans laquelle habiteront la justice, la paix et l'intégrité de la création.

On a dit de notre siècle qu'il est " le siècle des extrêmes ", et le 21ème siècle pourrait bien n'être pas différent. Assurément, c'est au cours de notre siècle qu'ont été produites et utilisées des armes capables de détruire définitivement l'humanité, dans notre siècle aussi que la pollution de notre environnement naturel est devenue une réelle menace. Au cours des cinquante dernières années, l'" oikoumene ", toute la terre habitée, a été transformée en une ville planétaire grâce à diverses technologies de pointe dans le domaine de la communication, que seule toutefois une infime minorité de la population du monde contrôle. A la fin de ce siècle, le monde est divisé, dans le domaine de l'économie, entre le Nord et le Sud et, du point de vue des cultures et des religions, en de nombreuses factions hostiles les unes aux autres.

Quel héritage le mouvement oecuménique a-t-il à transmettre après ce demi-siècle, et quelles expériences avons-nous acquises, que nous devons poursuivre en vue de l'unité et de la communauté du peuple de Dieu, signe du dessein de Dieu pour tous les peuples qu'il veut mener à l'unité et à la communion sur une terre habitable ? Nous venons de passer brièvement en revue, au cours des deux heures écoulées, le travail accompli par le Conseil oecuménique des Eglises pendant ces cinquante ans, et quelques éléments ressortent et donnent le ton pour l'avenir.

  1. Tout d'abord, les chrétiens sont prêts aujourd'hui à reconnaître ouvertement les divisions qui ont eu lieu, notamment au cours du dernier millénaire. Toutes les Eglises historiques communiquent les unes avec les autres. Durant les 40 années écoulées, on a assisté à des rassemblements et des dialogues remarquables entre les grandes familles d'Eglises orthodoxes et orthodoxes orientales, l'Eglise catholique romaine et les Eglises issues de la Réforme et leurs ramifications. Grâce aux efforts persévérants de la Commission de Foi et constitution, nous avons été en mesure de formuler des moyens de parvenir à l'unité visible et de faire de petits pas vers une communion fraternelle plus profonde dans les domaines de la foi, du culte et de la vie.

    En Amérique du Nord et du Sud, en Afrique et ailleurs surgissent plusieurs communautés pentecôtistes indépendantes, mais on ne les considère plus publiquement avec suspicion et intolérance. Oui, la liberté religieuse est mieux respectée. Cet état de choses est dû dans une large mesure à la contribution que les Eglises liées au Conseil oecuménique ont apportée à l'élaboration des articles concernant la liberté religieuse dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par les Nations Unies le 10 décembre 1948, et aux efforts incessants du Conseil pour défendre cette liberté en tous lieux.

  2. Le COE a poursuivi et intensifié sa tâche centrale qui est de faire progresser la mission de l'Eglise dans tous les continents et de proclamer l'Evangile dans le cadre de cultures diverses, et cela également au travers du ministère de guérison. On a aussi assisté à un développement du dialogue avec les personnes appartenant aux grandes religions non chrétiennes, dans le respect mutuel et l'ouverture. Dans certains cas, une coopération fructueuse s'est instaurée dans des domaines relatifs aux droits de la personne humaine, à l'entraide et au désarmement. Tout cela doit continuer.

    Toutefois, au cours des vingt dernières années, le nombre des conflits ethniques et religieux s'est accru de manière regrettable, ce qui nous appelle, au plan oecuménique, à accorder une plus grande attention à ce problème et à nous concerter davantage encore que par le passé. Malheureusement, de même que la pression qu'exerce la mondialisation de l'économie et des communications s'accélère, de même les réactions violentes de groupements ethniques et religieux s'intensifient dans de nombreux pays. Là encore, le Conseil oecuménique des Eglises ainsi que d'autres groupements chrétiens et religieux se trouvent face à la tâche impérative, mais très difficile, de renforcer le dialogue et l'action et de chercher comment vaincre la violence et encourager la coopération en vue de la qualité de la vie humaine.

  3. Le mouvement oecuménique, et le Conseil oecuménique des Eglises en particulier, ont mis en oeuvre de nombreux programmes d'études et des activités qui ont apporté des changements dans divers domaines de la condition humaine, et qui continueront à le faire en vue du bien commun. Ces activités ont pour but de réaliser l'un des objectifs du Conseil qui est de " servir tous ceux qui sont dans la détresse, de renverser les barrières qui séparent les êtres humains, de promouvoir l'avènement d'une seule famille humaine dans la justice et dans la paix, et de sauvegarder l'intégrité de la création".

    Je souhaite ici nommer quelques-unes des grandes préoccupations qui figurent à notre ordre du jour pour aujourd'hui et pour demain, et qui requièrent toute notre réflexion et toute notre énergie.

    • Le travail auprès des réfugiés, des personnes déplacées et des migrants a été et sera l'un des grands domaines d'activité dans ce monde déchiré par la guerre et les conflits.

    • Le Programme de lutte contre le racisme a mis en lumière l'un des fléaux qui affectent la famille humaine - la discrimination et l'exclusion de personnes en raison de leur race, la marginalisation des peuples autochtones, comme c'est le cas dans les Amériques et le Pacifique. Nous devons défendre et affirmer résolument et avec passion le caractère sacré et la pleine humanité des personnes de toutes les races.

    • La discrimination séculaire dont les femmes sont victimes dans l'Eglise et la société a été vigoureusement mise en question dès l'Assemblée d'Amsterdam. Grâce à la Décennie des Eglises solidaires des femmes, dont la fin coïncide avec cette Assemblée, nous sommes parvenus à une étape nouvelle, que nous espérons plus créatrice, où nous reconnaissons et favorisons l'égalité des hommes et des femmes, don de Dieu.

    • L'option préférentielle en faveur des pauvres et des démunis a également été maintenue avec une énergie particulière au cours des trente ans écoulés. Dans un monde où la pauvreté et le chômage augmentent de façon spectaculaire aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays riches, nous avons le devoir, en nous joignant à toutes les personnes de bonne volonté, de démasquer les causes des inégalités économiques et sociales et d'oeuvrer sans relâche en vue d'une communauté mondiale plus juste.

    Je tiens ici à vous raconter l'un des nombreux épisodes témoignant du rôle important qu'ont joué les jeunes dans la discussion et l'action oecuméniques. Upsal a été la plus passionnante des Assemblées du COE, grâce notamment aux lieux de rencontre où l'on prenait le café et discutait, et au journal que fournissaient les étudiants suédois. Les jeunes qui participaient s'étaient bien préparés pour les travaux de l'Assemblée, et tout au long de celle-ci, ils ont passé bien des nuits en discussions sur la stratégie, discussions auxquelles je participais. Ces jeunes participants ont exercé une influence sur certaines des résolutions proposées à l'Assemblée. L'un d'eux était un jeune spécialiste en économie venant des Pays Bas, Jan Pronk. Six ans plus tard, devenu ministre de l'économie dans le gouvernement néerlandais, il a présidé une grande conférence des Nations Unies, qui a élaboré une Charte importante sur un nouvel ordre économique international. Lors de notre Assemblée de Nairobi, j'ai été de ceux qui ont cité des extraits de cette charte tandis que nous élaborions avec peine notre programme "Vers une société juste et viable, fondée sur la participation". Jan Pronk a également pris la parole devant notre Assemblée de Vancouver en tant que directeur adjoint de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).

    • Ce siècle des extrêmes, qui a été témoin des guerres les plus dévastatrices de l'histoire, transmettra en héritage au 21ème siècle son lot de prolifération d'armes de destruction massive, de guerres civiles et de conflits régionaux et internationaux. Ici encore, le COE, les autres organismes chrétiens, ainsi que les organisations internationales telles que l'ONU, ont le devoir d'agir, avec une vigilance incessante, afin de créer et de maintenir un climat de paix sur la terre et de bonne volonté entre les peuples.

    • Au cours de ces cinquante dernières années, nous avons assisté à une prise de conscience de plus en plus nette des " limites de la croissance " et de celles qu'il faut mettre au gaspillage des ressources de la terre. Il est devenu toujours plus évident que la terre et l'atmosphère doivent être protégées et préservées de la pollution. Ironiquement, on constate que ce sont les pays les plus riches et les pays les plus pauvres qui, pour des raisons totalement opposées, sont les plus réticents et les plus impuissants à affronter cette menace croissante qui pèse sur l'humanité et sur la création tout entière. Plus que jamais, les chrétiens sont appelés à proclamer la bénédiction de Dieu - " cela est très bon " - sur la création tout entière, et à la traduire en actes.
Il ne fait aucun doute que le COE, communauté fraternelle d'Eglises et instrument du mouvement oecuménique, garde pour raison d'être la tâche de déclarer, en paroles et en actes, l'unité de tout le peuple de Dieu, d'être témoin de la grâce de salut et de la puissance de renouvellement de l'Evangile de Dieu par Jésus Christ, dans la communion du Saint Esprit, et de servir et de promouvoir le bien de toutes et tous. J'espère ardemment que les jeunes participants à cette Assemblée seront présent au prochain Jubilé, en 2048, pour témoigner de ce que Dieu a accompli au travers de leur génération en vue de réaliser le dessein d'un Bien destiné à tous.

Nous nous sommes rassemblés pour cette Assemblée en un temps de grands défis, mais aussi de grandes incertitudes concernant notre vie et notre vocation commune, nous qui sommes la communauté fraternelle du peuple de Dieu en Jésus Christ appelée à accomplir l'oeuvre de Dieu dans le monde qui lui appartient. Nous nous sentons bien incapables de remplir les tâches auxquelles nous avons à faire face. Mais l'apôtre Paul nous rappelle que "c'est de Dieu que vient notre capacité" (2 Corinthiens 3,5). C'est pourquoi nous nous sommes dit à nous-mêmes et les uns aux autres : " Tournons-nous vers Dieu dans la joie de l'espérance ". Assurément, cette espérance est un amour qui se traduit en actes, par la grâce de Jésus Christ et la puissance du Saint Esprit. A Dieu seul la gloire !

Philip Potter



Table des matières
Huitième Assemblée et Cinqunatenaire

© 1999 Conseil oecuménique des Eglises | Pour toute remarque concernant ce site:
webeditor