Ces paroles sont toujours aussi appropriées 44 ans plus tard, en ce moment critique de l'histoire où nous nous réunissons sous les nuages sombres de l'incertitude et de la désespérance, dans un monde menacé sur les plans écologique, spirituel et moral, afin d'inviter les Eglises et le monde à "se tourner vers Dieu dans la joie de l'espérance ".
2. Des changements sans précédent et de longue portée ont marqué l'histoire de l'humanité depuis notre réunion à Canberra (1991). Des idéologies se sont effondrées, des murs sont tombés, l'apartheid a presque disparu. Pourtant, la fin de la guerre froide n'a pas fait naître une nouvelle ère de justice, de paix et de réconciliation. Le monde demeure brisé, divisé, menacé. Ces changements radicaux et rapides et l'apparition de réalités complexes ont eu des répercussions directes sur la vie et le témoignage des Eglises, sur le mouvement oecuménique et sur les activités du COE.
3. En fait, la période s'étendant de Canberra à Harare a été marquée pour le Conseil par la réalisation de plusieurs programmes importants, une augmentation considérable du nombre des membres du Conseil, une grave instabilité financière et des défis multiples et divers lancés par les Eglises et les sociétés. En dépit de difficultés énormes et imprévisibles, le Conseil a mené à bien son travail avec un sens profond de ses responsabilités, dans le cadre du mandat donné par l'Assemblée de Canberra. Avant que nous nous penchions sur les activités concrètes du Conseil, je vous invite tous à vous souvenir, dans un moment de prière silencieuse, de la grande "nuée de témoins" qui, venus d'Eglises et de régions différentes, ont apporté une précieuse contribution à la promotion des valeurs et des objectifs oecuméniques. Ces témoins demeureront auprès de nous dans notre pèlerinage oecuménique commun. Le travail du Conseil est un tout indivisible auquel chaque personne ou organisme participe activement et fournit un apport spécifique. Au nom des vice-présidents et de moi-même, je tiens à exprimer ici nos remerciements sincères et notre profonde reconnaissance à l'ancien secrétaire général, le pasteur Emilio Castro, au secrétaire général actuel, le pasteur Konrad Raiser, à tous les membres des Comités central et exécutif sortants, aux membres des commissions, comités et groupes de travail et au personnel du Conseil, qui ont tous apporté une contribution significative à la mise en œuvre des programmes et des orientations définis par l'Assemblée de Canberra.
4. Le Comité central a été le pôle autour duquel la vie et les activités de programme du Conseil se sont organisées et développées. Depuis Canberra, le Comité central s'est réuni cinq fois. Un grand nombre de membres ont assisté à ces réunions, dont chacune avait son atmosphère particulière, et la participation a été très active. Le COE est un conseil d'Eglises. Les Eglises membres, par l'intermédiaire de leurs délégués, nous ont élus avec mission de mettre en œuvre leurs décisions. Le rôle du Conseil est d'être au service des Eglises. En conséquence, l'Assemblée est le contexte qui convient pour rendre compte de notre travail et analyser l'intendance du Conseil. En fait, notre cheminement long et complexe de Canberra à Harare ne saurait être condensé dans un bref rapport de président. Le rapport De Canberra à Harare et le Guide de travail de l'Assemblée donnent un compte rendu complet et illustré et une vue d'ensemble utile de la vie et des activités du Conseil au cours des sept ans écoulés. Plusieurs réunions d'information-débat ainsi que le padare vous donneront amplement l'occasion, dans les jours qui viennent, d'évaluer le travail du Conseil dans tous ses aspects, dimensions et manifestations.
5. Mon rapport se compose de deux parties. Dans la première, j'aimerais procéder à une évaluation critique des activités de programme du Conseil en mettant en évidence quelques-uns des principaux domaines d'engagement, en signalant les tendances qui se développent et en exposant leurs effets sur les Eglises membres. Dans la seconde partie, j'aborderai la signification du 50e anniversaire de la fondation du COE, qui coïncide avec le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et j'essayerai de distinguer certains des défis et visions qui découlent de ces deux jubilés pour la vie de nos Eglises et pour l'avenir du mouvement oecuménique. En conclusion, je vous ferai part de quelques réflexions personnelles sur le thème de cette Assemblée, dans la perspective de notre cheminement oecuménique.
6.
Le processus qu'on connaît maintenant sous le titre Vers une conception
et une vision communes du Conseil oecuménique des Eglises (CVC),
lancé en 1989, est devenu la principale entreprise de la période
sous revue. Il a conduit le Conseil à s'engager dans deux grandes
phases de restructuration interne et d'établissement de priorités
de programme. La première restructuration, exécutée
en 1991, juste après Canberra, consista à diviser les activités
de programme du COE en quatre unités : Unité et renouveau
; Les Eglises en mission : santé, éducation, témoignage
; Justice, paix et création ; et Partage et service. Pour des
raisons historiques et méthodologiques, chaque unité fut
subdivisée en groupes appelés, selon les cas, équipes,
lignes-forces ou secrétariats. Les unités furent instamment
priées de travailler en collaboration et de manière intégrée,
tout en conservant leur caractère spécifique. Près
de six ans d'expérimentation approfondie et d'expérience
concrète firent apparaître les lacunes de cette structure,
à la lumière des changements majeurs intervenus dans la vie
des Eglises. Cette réalité, aggravée par une baisse
importante des revenus du Conseil, conduisit le COE à une seconde
phase de restructuration dans le cadre du processus CVC. Lors de sa dernière
réunion en 1997, le Comité central a approuvé les
changements structurels proposés, ainsi que les amendements constitutionnels
correspondants, qui seront soumis à l'approbation de l'Assemblée.
Il est important de noter qu'une question fondamentale motivait ces deux
efforts de restructuration interne : comment le COE, en tant qu'instrument
du mouvement oecuménique, peut-il servir au mieux les Eglises dans
leur recherche permanente de l'unité visible et dans leur témoignage
commun auprès d'un monde en mutation rapide ? La même préoccupation
a aussi déterminé, nourri et orienté les activités
de programme du Conseil.
Vers une koinonia plus complète et plus visible
7.
La recherche de l'unité plus complète et plus visible demeure
au cœur du mouvement oecuménique et constitue toujours un objectif
majeur du COE. A Canberra, l'Assemblée a adopté une déclaration
décrivant l'unité de l'Eglise en tant que koinonia, don et
vocation de Dieu, et considérant l'Eglise comme l'avant-goût
de cette communion des croyants avec Dieu et les uns avec les autres. La
Cinquième Conférence mondiale de Foi et constitution
(Saint-Jacques-de-Compostelle,
1993) a étudié le sens et les implications de la koinonia
pour la vie et le travail de l'Eglise, en centrant son attention sur la
"koinonia dans la foi, la vie et le témoignage". La conférence,
qui réunissait des participants de tous continents et traditions
ecclésiales et qui avait été préparée
par une série de colloques régionaux consacrés au
thème principal, s'est également penchée sur les étapes
menant à l'expression visible de la koinonia dans la vie de l'Eglise,
et a distingué les implications théologiques et pratiques
de la vie en communion.
8.
A la lumière de l'effort en vue de manifester une koinonia plus
complète et plus visible, Foi et constitution a préparé
un document de convergence sur La nature et le but de l'Eglise.2 Cette question est
fondamentale, car nos divergences en ce domaine entravent
la croissance vers une koinonia plus visible. Le document analyse la conception
de la koinonia, qui signifie "avoir part à", "participer", "agir
ensemble" et "se trouver dans une relation contractuelle impliquant des
obligations de responsabilité mutuelle". A l'avenir, Foi et constitution
devrait étudier la manière d'engager les Eglises dans une
action puisant plus largement dans les expressions contextuelles et confessionnelles
de ce que signifie "être l'Eglise". Nous avons aussi le devoir de
nous affermir les uns les autres alors que nous cherchons à être
fidèles à l'Evangile dans des situations diverses. La conception,
développée dans le document CVC, du COE en tant que communauté
d'Eglises est une invitation aux Eglises membres à manifester cette
solidarité et cette responsabilité.
9.
Mais comment les Eglises comprennent-elles et expriment-elles l'Evangile
? Les accents différents, qui ont parfois éloigné
une tradition d'une autre, découlent en partie de manières
différentes de lire l'Evangile et l'histoire de l'Eglise. Dans l'effort
entrepris en vue d'une koinonia plus complète et plus visible, il
est apparu important de chercher à établir une convergence
entre les méthodes d'interprétation, y compris les méthodes
contextuelles de compréhension et d'expression de la foi chrétienne.
La recherche d'une koinonia plus complète présuppose aussi
qu'on évalue la structure, le sens et les symboles du culte. En
fait, durant cette période, Foi et constitution a réfléchi,
en collaboration avec des spécialistes de la liturgie, sur les schémas
de base du culte (eucharistique et non eucharistique) qui sont communs
à un nombre croissant d'Eglises aujourd'hui, sur les questions liées
à l'inculturation du culte dans des contextes locaux, et
sur les implications éthiques du culte, en particulier en
ce qui concerne le baptême. Ce travail aidera certainement différentes
traditions chrétiennes à reconnaître le culte des autres
comme une expression authentique et fidèle de la prière et
de la louange au Dieu trinitaire.
10.
Comme la Cinquième Conférence de Foi et constitution l'a
affirmé, aucune préoccupation pour l'unité de l'Eglise
n'est concevable si elle ne prend pas au sérieux l'engagement dans
les luttes du monde. Conjointement avec l'Unité III, Foi et constitution
a étudié, dans le processus d'étude sur L'ecclésiologie
et l'éthique, les implications de la koinonia pour l'engagement
dans les questions d'éthique sociale. Je crois qu'un tel engagement
fait partie intégrante de la vie de l'Eglise. Mettre en oeuvre notre
foi face aux questions capitales auxquelles sont confrontés l'humanité
et le monde d'aujourd'hui n'est pas un "supplément facultatif "
pour les Eglises, mais une question de fidélité à
l'Evangile. Et, de même que le Christ nous appelle à être
un, il nous appelle à un engagement commun dans les questions
éthiques, sociales et économiques d'aujourd'hui. Cet engagement
commun n'est pas toujours clair ou confortable ; il peut offenser les sensibilités,
susciter des tensions et mettre à l'épreuve notre résolution
de "demeurer ensembl ". Ainsi, " une unité coûteuse exige
un engagement coûteux les uns envers les autres". 3 Cette vision appelle les Eglises
à la
confiance et à la responsabilité
mutuelles. La koinonia doit être sous-entendue et renforcée
par une spiritualité oecuménique affirmant le caractère
central de la prière avec les autres et pour eux, s'étendant
aux autres et admettant leurs différences. Nous devons poursuivre
le développement de cette spiritualité oecuménique
que le Conseil a commencé à explorer.
L'oecuménisme
et le prosélytisme ne peuvent coexister
11.
Au fil des années, le Conseil a mis en évidence à
maintes reprises la relation intrinsèque qui existe entre la mission
et l'unité, le témoignage et l'oecuménisme. Il est
extrêmement grave pour le mouvement oecuménique et le COE
que le prosélytisme continue à être une réalité
douloureuse dans la vie des Eglises. L'oecuménisme et le prosélytisme
ne peuvent coexister. Le prosélytisme est non seulement un contre-témoignage,
il est aussi la négation de convictions théologiques et missiologiques
fondamentales.
12.
Nous savons tous que les événements qui se sont déroulés
en Europe de l'Est et dans les pays de l'ancienne URSS à la suite
de l'effondrement du communisme ont créé une situation de
haute urgence pour le mouvement oecuménique. Dans toutes les grandes
réunions oecuméniques qui se sont tenues depuis 1989, on
nous a rappelé que la nouvelle liberté donnée aux
Eglises d'exprimer et de développer ouvertement leur témoignage
ne crée pas seulement des occasions sans précédent
pour les Eglises locales, mais ouvre aussi la porte à un grand nombre
de groupes missionnaires étrangers et de sectes dont les activités
missionnaires concurrentes s'adressent à des personnes appartenant
déjà à une Eglise de ces pays. La réapparition
de la tension entre les Eglises orthodoxes et l'Eglise catholique romaine
à propos des Eglises catholiques de rite oriental pose un autre
problème. Ainsi, la question de savoir comment réconcilier
notre histoire et surmonter l'ignorance et la méfiance mutuelles
est aussi devenue une préoccupation oecuménique fondamentale
de notre temps. Bien que la situation en Europe de l'Est soit particulière,
elle n'est en aucun cas unique. On assiste depuis quelques années,
dans bien d'autres régions du monde, à un durcissement de
l'évangélisation agressive et de la compétition missionnaire
dans un esprit d'économie de marché. Nous pouvons être
heureux du renouveau de la mission dans de nombreux contextes locaux, mais
nous ne saurions rester aveugles aux préjudices causés à
l'unité de l'Eglise du Christ par différentes expressions
du prosélytisme.
13.
Face à une multitude de situations nouvelles et complexes et à
des plaintes, le Conseil a organisé des visites d'équipes
d'enquête en Europe de l'Est et tenu un important colloque sur l'uniatisme
à Genève. A son tour, le Comité central de 1991 a
recommandé que la question du prosélytisme et du témoignage
commun soit étudiée plus à fond. L'Unité II
a lancé un vaste processus d'étude consultatif qui prenait
en compte les réflexions du Groupe mixte de travail (GMT) et impliquait
la participation d'Eglises, d'institutions missionnaires, de milieux évangéliques,
pentecôtistes et charismatiques, de théologiens, de spécialistes
de la missiologie, et de paroisses locales. De nouveaux élans ont
été donnés à ce processus d'étude par
la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation
(Salvador, Brésil, 1996) et le processus CVC. Le processus a débouché
sur la formulation d'une déclaration intitulée Vers un
témoignage commun :un appel à établir des relations
responsables dans la mission et à renoncer au prosélytisme.
Ce document, adopté par le Comité central en 1997, reconnaît,
certes, le rôle du COE dans l'orientation du processus, mais souligne
que la responsabilité principale de son application relève
des Eglises elles-mêmes.
14.
Une analyse de ces questions affectant notre vie commune doit nous rappeler
que l'une des principales tâches toujours inscrites à l'ordre
du jour du mouvement oecuménique est, en fait, la formation oecuménique
à tous les niveaux. L'équipe "Formation théologique
oecuménique" (FTO) du Conseil a accompli un travail important à
cet égard. Non seulement la formation et l'apprentissage oecuméniques,
l'amour et le respect des autres Eglises devraient devenir de nouvelles
priorités pour les Eglises membres, mais il est aussi d'une importance
vitale que les Eglises diffusent, discutent, s'approprient et soutiennent
les déclarations sur l'urgence du témoignage commun qui ont
été adoptées par le COE. Peut-être le temps
est-il venu d'encourager les Eglises à vérifier dans quelle
mesure elles connaissent et appliquent les principes et directives auxquels
elles souscrivent au sein de la communauté
oecuménique.
Le pluralisme, nouveau contexte de la formation
chrétienne
15.
Une autre question urgente qui exige une réponse oecuménique
concertée est la réalité du pluralisme. Partout dans
le monde, des communautés chrétiennes locales se trouvent
entourées de voisins d'autres religions, de diverses traditions
culturelles ou convictions idéologiques, ou sans religion du tout.
Pour certaines Eglises, le pluralisme est un phénomène relativement
nouveau, suscité principalement par l'arrivée des migrants
et des réfugiés. D'autres, dont la vie est caractérisée
par la coexistence entre les religions depuis des siècles, font
l'expérience de nouvelles tensions dues tant à des déplacements
de l'équilibre du pouvoir entre les groupes religieux qu'à
l'émergence du fondamentalisme.
16.
La réalité du pluralisme et les défis qui en résultent
pour la formation chrétienne doivent faire l'objet de l'attention
prioritaire du Conseil et des Eglises. Comment les Eglises peuvent-elles,
par des processus d'apprentissage et de formation, exprimer plus pleinement
la réconciliation de Dieu et son accueil sans exclusive dans le
contexte des sociétés pluralistes ? Comment peut-on aider
les paroisses locales à surmonter les craintes et les préjugés
qui conduisent à l'exclusion des étrangers ? Comment peut-on
aider les chrétiens à mieux connaître les traditions
religieuses de leurs voisins, dans une attitude de respect et d'ouverture
? Quelles ressources sont disponibles pour améliorer les relations
entre les religions ?
Dans
ce contexte, la formation chrétienne des laïcs demeure une
priorité permanente pour les Eglises. En fait, l'Eglise est le peuple
de Dieu, la communauté des hommes et des femmes. Les Eglises doivent
élaborer des méthodes de formation qui tiennent compte des
gens et permettant aux paroisses locales de s'engager dans un processus
d'apprentissage dans leurs contextes respectifs.
17.
Durant cette période, le Conseil, par les soins de l'équipe
"Communauté sans exclusive" de l'Unité I et des programmes
"Evangile et cultures", "Formation" et "Mission rurale et urbaine" (MUR)
de l'Unité II, a joué un rôle majeur en stimulant la
réflexion et le partage concernant ces questions, et en encourageant
la collaboration pratique entre croyants de différentes religions.
A partir de questions précises, il a encouragé de nouvelles
approches de la formation chrétienne dans un contexte pluraliste,
dans le cadre d'un programme développé selon deux axes :
l'un s'adressait aux moniteurs d'écoles du dimanche, enseignants
de religion dans les écoles, spécialistes de la formation
des adultes, collaborateurs paroissiaux, rédacteurs de programmes
d'études et animateurs de séminaires ; l'autre était
destiné aux femmes engagées dans différentes activités
auprès des femmes, aux femmes exerçant une profession, et
aux femmes au foyer vivant dans des contextes interreligieux. Un travail
fructueux a été effectué lors d'un séminaire
mondial tenu à Salatiga, Indonésie, dans le but de mettre
au point une documentation éducative de base destinée à
faciliter l'apprentissage de la vie chrétienne en communauté
avec d'autres religions. Une réunion novatrice a également
eu lieu à Tachkent, où des responsables religieux chrétiens
et musulmans se sont réunis pour la première fois afin de
discuter des moyens d'apprendre à connaître la religion des
autres et de mettre en place un processus d'éducation et de formation.
Une tâche importante reste à accomplir, celle de créer
des occasions permettant aux chrétiens de progresser dans la convivialité
en partageant la vie quotidienne de leurs voisins, et de d'élaborer
des approches et des modèles éducatifs
interreligieux.
Mission contextuelle
18.
Partout dans le monde, les Eglises sont appelées à rendre
témoignage de l'Evangile de manière authentique, tant au
sens de la fidélité à ce que Dieu a fait en Christ
que du point de vue de l'enracinement dans la culture locale. Au cours
de ces dernières décennies, la revendication d'authenticité
et de pertinence de la mission a été fréquemment formulée
comme une priorité urgente dans les discussions oecuméniques.
L'Assemblée de Vancouver a invité le COE à aider les
Eglises membres à élaborer une conception des relations entre
l'évangélisation et la culture tenant compte aussi bien de
la proclamation contextuelle de l'Evangile dans toutes les cultures que
de la puissance transformatrice de l'Evangile dans toute culture. Canberra
a affirmé avec force que l'Evangile du Christ doit s'incarner dans
toute culture, et a parlé de la nécessité pour les
Eglises de reconnaître comment les cultures elles-mêmes nourrissent
et enrichissent l'Evangile.
19.
Au cours des sept ans écoulés, le Conseil a entrepris des
efforts résolus pour encourager la réflexion et l'action
en direction de la mission contextuelle, comprise tant comme inculturation
authentique que comme proclamation contextuelle. Plusieurs colloques régionaux
sur la mission et l'évangélisation contextuelles ont été
organisés. Ces réunions ont constitué des occasions
importantes de discerner le contexte et d'examiner les motifs, le contenu
et les méthodes de mission et d'évangélisation dans
les cultures. La solidarité avec les pauvres et les exclus et la
participation à leurs luttes pour la justice et la plénitude
de la vie sont depuis longtemps des éléments centraux de
la mission des Eglises. Ces efforts ont été développés
et soutenus par la MUR.
20.
L'Etude sur l'Evangile et les cultures et le pôle d'intérêt
qu'elle a constitué pour la Conférence mondiale sur la mission
et l'évangélisation ont aidé les Eglises à
rendre un témoignage plus authentique dans leurs cultures respectives.
Cette étude, entreprise par des Eglises, institutions oecuméniques,
groupes spéciaux, institutions théologiques et personnes
intéressées dans plus de soixante pays, a jeté une
lumière nouvelle sur les relations dynamiques et créatrices
entre l'Evangile et les cultures, et fourni des critiques précieuses
en même temps que des affirmations importantes sur la mission contextuelle
des Eglises. Là où il n'y a pas d'interaction suffisamment
profonde entre l'Evangile et les cultures locales, les Eglises sont encouragées
à prendre des mesures pour incarner plus concrètement l'Evangile.
Dans les situations où la voix de l'Evangile a été
étouffée par des forces puissantes, ou lorsque l'Evangile
a été vécu de manière trop confortable, trop
tolérante à l'égard de l'individualisme sans frein
et des valeurs du consumérisme, ou encore quand l'Evangile a été
relégué à la sphère privée, les Eglises
sont instamment priées de retrouver le défi du message chrétien.
En fait, l'Etude sur l'Evangile et les cultures nous a aidés
non seulement à préciser les symboles et les valeurs de nos
cultures en relation avec l'Evangile, mais aussi à examiner les
réalités structurelles qui, dans les cultures, répriment
et nient la présence de l'Evangile. Elle nous a rappelé avec
vigueur que les Eglises doivent lutter contre les forces du racisme et
de la marginalisation sociale, économique et politique et contre
les effets destructeurs de la mondialisation en rendant un témoignage
résolu de la nouvelle libératrice de l'amour de Dieu sans
exclusive, source de réconciliation pour tous les êtres humains
et toute la création. Je suis convaincu que la mondialisation,
la contextualisation et le pluralisme, avec toutes leurs
implications pour la mission et l'évangélisation, devront
continuer à faire l'objet d'études sérieuses dans
les années à venir.
Vers
un ministère de guérison de la personne tout
entière
21.
Les Eglises reconnaissent qu'elles sont appelées par Dieu, par l'exemple
de leur Seigneur et la puissance de l'Esprit Saint, à être
des communautés de guérison et à s'impliquer dans
le ministère de guérison. Dans un monde fragilisé
par la guerre, l'injustice, la pauvreté, l'exclusion et la maladie,
elles ont reçu le don de pouvoir trouver la guérison, le
pardon et la plénitude et d'en faire bénéficier la
société. Cet appel se fait de plus en plus insistant à
l'heure actuelle où les déplacements de population dus à
la violence et à l'injustice se poursuivent et prennent une ampleur
sans précédent, où la dégradation de l'environnement
détruit la qualité de la vie et où l'économie
de marché, alliée à l'abandon de la santé comme
priorité d'intérêt public, menace la survie et le bien-être
de la communauté humaine. Par son programme CMC - Action des
Eglises pour la santé, le Conseil a rempli la tâche spécifique
qui lui était confiée et qui consistait à fortifier
les Eglises et à leur donner les moyens de participer sans réserve
à ce ministère de guérison. Il s'est acquitté
de son mandat, convaincu que la spiritualité, la théologie
et l'éthique, la justice et la défense des causes, les droits
de l'homme et les points de vue des femmes et des groupes vulnérables,
l'autonomisation et le développement du potentiel local étaient
étroitement liés. Pendant la période considérée,
des travaux extrêmement intéressants ont été
menés à bien par des séminaires tels que celui sur
le thème "Médecine et théologie : une alliance
est-elle possible ?", par une série d'ateliers sur les approches
communautaires et sur la santé et la guérison selon les cultures,
ainsi que par des réunions spéciales consacrées à
des questions telles que les droits de l'homme et la situation vulnérable
des femmes.
22.
Le Conseil s'est également employé à favoriser la
coopération entre Eglises, à traiter de la question du développement
des ressources humaines, à défendre les points de vue des
Eglises dans les conférences mondiales où il était
question de la santé et où étaient analysés
les facteurs de viabilité des équipements de santé
rattachés aux Eglises et à faire part de ses idées
sur la nature de leur ministère en matière de santé
et de guérison. L'étude de grande envergure que le Conseil
a réalisée pendant trois ans sur le VIH/SIDA l'a amené
à approfondir dans une perspective globale les questions de santé
et de maladie, de fragilité et de guérison. Pour répondre
à l'appel à l'aide des Eglises désemparées
devant la souffrance, la peur et l'ignorance touchant au SIDA, un groupe
consultatif réuni spécialement à cette fin s'est livré
à une étude qui recoupe les domaines de la théologie,
de l'éthique et de la pastorale et associe de manière spécifique
l'idée de l'Eglise conçue comme communauté thérapeutique,
la justice et les droits de l'homme. S'appuyant sur des travaux déjà
réalisés par les Eglises et sur les relations établies
dans les régions, notamment avec des organismes d'experts, l'étude
a débouché sur l'élaboration d'un guide extrêmement
précieux pour les Eglises, intitulé Face au SIDA : l'action
des Eglises, et sur une déclaration sur le SIDA. Ce guide, qui
arrivait à point nommé, a été adopté
par le Comité central en 1996. Les Eglises, institutions et réseaux
se l'approprient peu à peu, discutant, traduisant, adaptant et critiquant
ses conclusions. Les travaux du COE sur le ministère de guérison
de l'Eglise sont très étendus et interdépendants.
Témoins de cette vie en abondance que Dieu désire pour tous,
les Eglises doivent engager tout l'éventail de leurs ressources
pour se porter au secours de l'être humain meurtri. Bien qu'il ne
soit pas possible de continuer à réaliser des programmes
dans ce domaine comme on le faisait naguère, le ministère
de guérison de l'Eglise, qui est une dimension essentielle de la
vocation missionnaire des Eglises, devrait rester l'un des principaux champs
d'action du Conseil.
Une
décennie qui a fait ressortir la dignité et la
justice
23.
La Décennie oecuménique des Eglises solidaires des femmes
a été lancée en 1988. Ces dix années devaient
donner aux Eglises le temps de traduire en actes les engagements qui avaient
été pris envers les femmes depuis le début du mouvement
oecuménique. Le champ de la Décennie était assez large
pour permettre à chaque Eglise de greffer sur elle ses préoccupations
et ses problèmes et ceux du milieu dans lequel elle vivait. L'accent
a été mis sur l'Eglise à l'échelon local et
national afin que chaque Eglise et même chaque paroisse devienne
une communauté vraiment ouverte à tous. Il est regrettable
que les Eglises n'aient pas été aussi réceptives qu'on
l'espérait. Il y a eu toutefois des signes marquants, des actes
de solidarité visibles de leur part. Nous avons assisté à
certains changements remarquables au cours des dix dernières années.
Bien que tous ne puissent pas être attribués à la seule
Décennie, il n'est guère contestable qu'elle a contribué
à encourager les Eglises à agir. En fait, le rôle proactif
qu'elles ont joué en réclamant des changements, la participation
croissante des femmes dans tous les domaines et à tous les niveaux
de la vie de l'Eglise et de la communauté, y compris celui de la
prise de décision, le regain d'intérêt des associations
féminines pour les questions de justice sociale et économique,
l'inquiétude qui se manifeste de plus en plus envers les femmes
victimes de violence et le lancement d'initiatives et d'actions similaires
dans de nombreuses Eglises et sociétés témoignent
concrètement de l'incidence que la Décennie a eue sur la
vie et le témoignage des Eglises.
24.
Quelques-uns des constats que les équipes oecuméniques ont
pu faire, lorsqu'elles ont rendu visite aux Eglises membres vers le milieu
de la Décennie, méritent d'être
relevés:
1)
Dans le monde entier, les femmes ont compris que la Décennie leur
offrait une chance de mieux s'organiser et de nouer des liens oecuméniques
entre elles, au niveau national et mondial. De nombreux exemples montrent
que les femmes ont un sens grandissant de la solidarité
mondiale.
2)
Les visites rendues à mi-parcours ont donné aux femmes la
possibilité de dire tout haut quels problèmes les préoccupaient
vraiment. Quatre questions ont particulièrement retenu l'attention
: a) ce qui fait encore obstacle, dans tous les domaines, à la participation
des femmes à la vie des Eglises; b) la crise économique mondiale
et ses graves répercussions sur la vie des femmes;
3)
Les questions relatives aux femmes ont été souvent un facteur
de division et ont menacé de faire éclater le mouvement oecuménique
et les Eglises. Trop souvent, lorsque les femmes s'expriment, on considère
que c'est pour s'opposer à l'Eglise établie ou revendiquer
une représentation symbolique aux postes de direction. Une autre
lecture de la participation des femmes dans l'Eglise révèle
qu'en fait les femmes réclament une Eglise plus réceptive,
et une communauté participative et ouverte à tous. 4
25.
Les femmes ont vu dans la Décennie un espace où leurs contributions
et leurs dons pourraient être accueillis par les Eglises. Mais celles-ci
ont-elles vraiment entendu cette demande? Le COE a investi énormément
de ressources humaines et financières dans le projet de la Décennie.
Quelle en a été la valeur pour les Eglises et le mouvement
oecuménique ? Malgré les acquis de la Décennie et
du mouvement oecuménique, les femmes ne sont pas encore pleinement
acceptées et intégrées dans l'oeuvre et la vie des
Eglises. Ce que la Décennie a réalisé n'est que le
début d'un long processus. L'Assemblée discutera d'une déclaration
sur ce sujet et ne manquera pas d'appeler les Eglises à prendre
au sérieux les questions posées par la Décennie et
à y répondre de manière responsable à
l'avenir.
Pour
l'intégration et l'engagement des jeunes
26.
Le souci d'intégrer les jeunes et leurs préoccupations dans
la vie et les travaux du Conseil est présent dans toute l'histoire
du mouvement oecuménique. La Cinquième Assemblée l'a
exprimé en ces termes : "Les activités de jeunesse doivent
avoir un caractère relativement autonome et se rattacher, sur le
plan des structures, à une Unité particulière tout
en ayant des liens avec toutes les Unités, de manière à
insérer pleinement la présence et les intérêts
de la jeunesse dans la vie du mouvement oecuménique". Depuis lors,
la section jeunesse a été rattachée à une unité
de travail du COE, son mandat restant de veiller à ce que les activités
de jeunesse imprègnent tous les aspects des programmes du Conseil
afin de ne pas laisser celui-ci céder à la tentation d'isoler
les préoccupations de la jeunesse.
27.
Le programme des stagiaires s'est révélé un
trait d'union entre l'équipe "jeunesse" et l'unité ou le
programme auquel était affecté(e) le(la) stagiaire. Il a
aidé les diverses unités qui ont accueilli des stagiaires
à découvrir les ressources que les jeunes avaient à
leur offrir, à les intégrer dans leurs activités,
mais aussi à les former et à développer leurs compétences
de telle sorte qu'ils sont devenus à leur tour des ferments de l'oecuménisme
dans leur localité ou leur pays.
L'étude
sur l'Evangile et les cultures a amené les équipes "Evangile
et cultures" et "Jeunesse" à coopérer étroitement
pendant deux ans et à associer d'autres unités à leurs
travaux. Les jeunes ont été intégrés à
cette étude en participant a) à un groupe préparatoire
international et à deux ateliers spécifiquement conçus
pour les jeunes; b) au groupe chargé de la rédaction des
conclusions de l'étude "Evangile et cultures" qui a rattaché
les diverses manifestations de jeunes à l'étude dans son
ensemble; c) à la conférence des jeunes préparatoire
à la Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation,
qui a rassemblé un grand nombre de jeunes participant à l'étude
et leur a permis d'optimiser leur apport à la
Conférence.
28.
Le passé récent a montré que chaque fois que l'équipe
"Jeunesse" a coopéré avec d'autres équipes (les femmes,
le PLR, la CEAI, la section "Economie, écologie et société
viable") l'expérience s'est révélée profitable
pour tous les intéressés et pour leurs publics respectifs.
On mentionnera tout particulièrement à cet égard le
travail de Foi et constitution avec la "jeune théologie", relation
qu'il faudra encourager dans les années à venir. Sur la recommandation
de l'Assemblée de Canberra, le Conseil s'est engagé à
intégrer les points de vue des jeunes dans l'ensemble de ses travaux.
Un examen critique des activités des unités révèle
qu'elles ne se sont pas totalement acquittées de ce mandat, hormis
l'Unité III à laquelle est rattachée administrativement
la section "Jeunesse". Il faudra corriger cette anomalie à l'avenir
pour permettre aux jeunes de contribuer plus largement à la richesse
du mouvement oecuménique. Le Conseil doit prendre cette responsabilité
au sérieux s'il veut qu'il y ait encore une génération
de jeunes engagés dans les Eglises et que l'esprit oecuménique
se perpétue en eux. Il faut que nous travaillions avec les jeunes
pour susciter de nouvelles vocations. C'est seulement en les laissant cheminer
à nos côtés que nous verrons cette interaction créatrice
et féconde qui permettra peut-être de jeter un pont entre
leurs attentes et la nouvelle vision oecuménique en train de
naître.
Une
création durable grâce à une société
viable
29.
L'Assemblée de Canberra a été marquée par une
conscience nouvelle des souffrances infligées à la création
de Dieu. Le rassemblement mondial de Séoul sur la justice, la paix
et la sauvegarde de la création (1990) avait déjà
appelé les Eglises à une relation nouvelle avec la création.
Le Sommet de la terre de Rio de Janeiro a fait naître l'espoir qu'un
développement durable saurait amener les nations à coopérer
et donner à l'humanité une orientation nouvelle. La conférence
de l'ONU tenue l'an dernier, Rio 5,
a toutefois révélé que sur le terrain de la lutte
contre la pauvreté, de la consommation et de la protection de l'environnement,
aucun progrès n'avait été accompli. L'état
de l'environnement mondial ne s'est pas amélioré depuis 1992;
au contraire, les niveaux de pollution, les émissions de gaz à
effet de serre et les déchets solides sont en augmentation. La consommation
des ressources non renouvelables se maintient à des niveaux qui
ne sont manifestement pas viables. L'évolution des biotechniques
et du génie génétique ajoute encore au souci à
l'égard de la création divine. L'ouverture de nouveaux marchés
aux sociétés transnationales et les questions de biotechnologie
sont en bonne place à l'ordre du jour des négociations et
des accords sur le commerce international; ces activités affaiblissent
souvent les droits des agriculteurs et des populations autochtones. De
toute évidence, l'incidence de la mondialisation et du commerce
sur le développement humain et l'environnement pose un grave problème
de viabilité dans bien des domaines à ceux et celles qui
tentent de faire évoluer la société dans le sens de
la justice et de la viabilité.
30.
Les travaux du Conseil sur la théologie de la vie et les changements
climatiques nous ont permis de mieux comprendre les rapports entre la viabilité
de la création de Dieu et la recherche d'une société
juste et viable. Eglises et chrétiens jouent un rôle important
en entretenant ce lien, en célébrant le don divin de la vie
et en redécouvrant combien leur foi peut les aider, par la richesse
de ses ressources, à être des intendants responsables. Les
leçons tirées entre Canberra et Harare ont été
résumées dans la déclaration faite par le COE en 1997
à la Cinquième session de la Commission du développement
durable de l'ONU : "Dans notre travail, nous remettons régulièrement
en question l'expression de développement durable... Notre conception
d'une économie juste et morale est telle que nous estimons de notre
devoir de mettre et de maintenir en place une économie qui donne
la priorité aux êtres humains et à l'environnement...Nous
parlons de plus en plus de "communauté viable", ce qui suppose des
relations équitables tant entre les membres de la famille humaine
qu'entre l'humanité et le reste de la communauté écologique,
autrement dit l'instauration de la justice dans l'ensemble de la création
divine." 6 En fait la vision de la Terre oecuménique que le Conseil s'est mis
à explorer par son programme sur la théologie de la vie
peut apporter une contribution vitale à l'avenir de la vie sur la
Terre.
31.
La guerre froide est terminée mais la guerre n'a pas disparu pour
autant. La principale cause d'instabilité n'est plus la guerre traditionnelle
entre Etats, mais une guerre de faible intensité qui s'éternise
à l'intérieur d'un Etat. Ces conflits violents viennent souvent
de profondes divisions entre communautés ethniques et religieuses.
La violence elle-même s'est déplacée : elle a quitté
le champ de bataille pour gagner nos rues, nos cités, nos foyers
et nos familles. La violence n'est pas une nouveauté pour l'humanité.
Ce qui est nouveau dans ce siècle, c'est sa nature et son ampleur.
Dans le monde entier, des gens souffrent de la violence structurelle. L'image
de la violence envahit tous les domaines de la vie, y compris la création.
La culture mondiale est imprégnée de violence. Le vingtième
siècle se caractérise par l'expansion de cette "culture de
la violence". Par delà les barrières politiques et sociales,
les gens sont plus liés par la peur et leur expérience commune
de la violence que par leurs aspirations et leurs espoirs
communs.
32.
Depuis ses débuts, le COE cherche quelle réponse les Eglises
peuvent donner à la question de la violence, comme en témoigne
cette déclaration de l'Assemblée inaugurale : "La guerre
considérée comme moyen de résoudre les conflits entre
nations, est inconciliable avec l'enseignement de notre Seigneur Jésus
Christ. Le rôle joué par la guerre dans la vie internationale
est un péché contre Dieu et une dégradation de
l'homme". 7 On a toujours eu l'espoir que, les Eglises évoluant vers l'unité,
la religion cesserait d'être un facteur de guerre. La construction
d'une unité solide reste un défi crucial lancé au
mouvement oecuménique. En 1994, le Comité central a créé
un programme intitulé Vaincre la violence dont le
but était de défier la culture mondiale de la violence et
de la transformer en une culture de la juste paix. Cette initiative courageuse
a marqué une étape dans l'histoire du mouvement
oecuménique.
33.
C'est dans le cadre du processus conciliaire d'engagement en faveur de
la justice, de la paix et de la sauvegarde de la création (JPSC)
qu'a été créé ce programme Vaincre la violence.
"Séoul a vu la concrétisation de l'acte d'Alliance en faveur
du processus JPSC dans l'engagement" pour une culture de la non-violence
active et tournée vers la vie, qui ne soit pas une démission
face à la violence et à l'oppression, mais un chemin vers
la justice et la libération." 8 Le programme repose sur les
idées suivantes, qui se sont précisées
au cours des 50 dernières années : a) la paix et la justice
sont inséparables; b) à l'époque de la menace nucléaire,
on ne peut plus voir dans la guerre un instrument légitime de politique
internationale et de règlement des conflits; c) nous sommes appelés
à chercher tous les moyens possibles d'instaurer la justice et la
paix et de résoudre les conflits par une non-violence
active.
34.
Afin de donner au programme Vaincre la violence une orientation plus précise,
le Comité central de 1996 a lancé la campagne Paix dans
la ville qui est une première pour le COE. Il s'agissait en
effet de conclure des pactes actifs avec des groupes (chrétiens,
interreligieux, laïcs) qui ne faisaient pas partie du mouvement oecuménique
mais dont les activités visaient à établir la paix
et à limiter ou à vaincre la violence. A l'heure où
le fatalisme et la résignation paralysent encore beaucoup de gens
et où d'autres recourent à la violence pour régler
leurs conflits et ne voient aucun moyen d'échapper à la culture
de la violence, cette campagne a été un signe d'espoir, un
espoir fondé non pas sur la proclamation, mais enraciné dans
l'exemple vivant de communautés humaines. Face à l'omniprésence
de la violence dans la société, et avec les ressources limitées
du COE, ce programme doit à n'en pas douter rester l'une des entreprises
les plus ambitieuses du COE dans la période à
venir.
Partager
et agir ensemble
35.
Les réflexions théologiques sur la diaconie jouent depuis
40 ans un rôle clé en rapprochant les préoccupations
relatives à foi et constitution de celles de la mission et de l'évangélisation.
Les changements profonds qui se sont opérés dans l'Eglise
et la société et les réalités nouvelles que
l'on voit poindre ont amené le Conseil à considérer
la diaconie dans une perspective globale et intégrée. La
nature et le but de la diaconie ont été redéfinis
et de nouveaux modèles et méthodes ont vu le jour. La période
considérée a été marquée par une évolution
importante de la théologie et de la pratique du Conseil en matière
de diaconie.
1)
De l'entraide des Eglises au partage et à l'action
commune
36.
Le partage des ressources n'est pas simplement une appellation nouvelle
donnée à la diaconie. Il dénote un changement important
: le passage du modèle donateur-bénéficiaire
à celui du partenariat. Le partenariat est resté au
coeur des initiatives et des activités de programme du Conseil,
dans lesquelles le service tient une large place. L'Unité IV n'a
cessé de réexaminer le partage des ressources sous ses aspects
institutionnels, fonctionnels et contextuels et de le réactualiser;
les réseaux oecuméniques ont confirmé l'importance
du système de table ronde comme mécanisme d'action. Il existe
certes des cas dans lesquels le système n'a pas bien fonctionné
mais, dans l'ensemble, la table ronde a été un lieu de rencontre
oecuménique où les partenaires ont pu réfléchir,
analyser, prendre des décisions en commun et se rendre des comptes.
Parallèlement, des groupes régionaux se sont réunis
chaque année pour que les partenaires d'une même région
puissent réfléchir ensemble aux priorités et aux stratégies
de la diaconie oecuménique. Ces groupes ont été formateurs
en ce sens qu'ils ont permis aux partenaires d'entamer le dialogue sur
les questions du partage.
37.
Pendant la période considérée, le Conseil s'est efforcé
d'analyser d'un oeil critique la qualité de l'intervention oecuménique
dans les situations d'urgence. Il a élargi le champ de l'intervention
d'urgence, rattachant l'aide aux victimes à la lutte pour la justice,
qui suppose une stratégie à plus long terme. Ce but de la
justice a guidé la diaconie du Conseil dans les situations les plus
complexes. Le Rwanda et la Yougoslavie sont des exemples concrets d'intervention
oecuménique couvrant tous les aspects de la vie dans une situation
d'urgence complexe. Ces situations nous ont fait comprendre qu'adopter
une approche globale et intégrée, ce n'est pas attendre de
chacune des parties intéressées qu'elle fasse tout. Nous
nous sommes rendu compte que nous avions besoin de coordonner soigneusement
notre action pour que chacun puisse jouer le rôle qui lui est attribué.
Et c'est pour parvenir à un degré élevé de
coordination que nous nous sommes livrés à cet exercice de
gestion interne qui a débouché sur la création d'une
nouvelle équipe genevoise d'intervention en cas d'urgence, l'Action
commune des Eglises (ACT), où le COE unit ses forces à
celles du Service luthérien d'entraide. ACT traduit la volonté
d'évoluer ensemble dans le partenariat. Bien des Eglises et partenaires
oecuméniques y voient un bon modèle de
co-entreprise.
2)
Vers une diaconie aux dimensions et aux centres
multiples
38.
Le partage et l'action commune supposent des efforts méthodiques
et organisés pour renforcer les capacités et l'autonomie
au niveau local. Ce ministère d'accompagnement fait maintenant partie
intégrante de la diaconie du Conseil. Les femmes, les enfants, les
personnes endettées, déracinées et marginalisées
ont été les groupes cibles de ce type de service. En septembre
1995, le Comité central a adopté une nouvelle déclaration
d'orientation générale sur les personnes déracinées.
Il reconnaît dans cette déclaration le triste sort commun
aux réfugiés, aux migrants et aux personnes déplacées
à l'intérieur de leur propre pays. Il prie instamment les
Eglises de se renseigner sur les circonstances nouvelles et complexes qui
mettent les gens dans ce genre de situation et de relire la Bible, qui
prône des valeurs telles que l'hospitalité, l'accueil de l'étranger
et le respect de sa dignité. Le Comité central les a aussi
invitées à observer en 1997 l'année oecuménique
de la solidarité des Eglises avec les personnes
déracinées.
39.
En 1996, le Comité central a décidé que le COE continuerait
à soutenir la cause des enfants et le travail accompli pour défendre
leurs droits avec la participation directe d'organisations pour l'enfance
dans le monde. Le COE n'envisageait pas d'apporter davantage d'aide aux
enfants victimes puisque c'est la raison d'être de nombreuses organisations
dans le monde. Son rôle, là encore, était d'exploiter
le potentiel de coopération de ses Eglises membres, qui sont implantées
localement mais ont des relations dans le monde entier.
L'une
des causes profondes de la pauvreté est la charge de la dette. En
1997, l'inquiétude suscitée par cette question a amené
le Comité central à appeler les Eglises membres à
s'engager plus résolument dans les campagnes en faveur de l'annulation
de la dette. Le Conseil s'est inquiété de l'endettement lorsqu'il
a appris que de plus en plus de gens devenaient des marginaux et des exclus
parce que leur pays devait renoncer à s'équiper pour servir
sa dette. Cette Assemblée débattra du problème de
la dette et prendra position sur cette question
d'actualité.
Relations
avec l'Eglise catholique romaine
40.
Le Conseil et l'Eglise catholique romaine ont continué à
renforcer leurs relations et leur collaboration oecuméniques et
ont confirmé leur attachement au seul mouvement oecuménique.
L'encyclique papale Ut Unum Sint, qui souligne que l'Eglise catholique
romaine s'est "engagée de manière irréversible" dans
le mouvement oecuménique "comme partie intégrante de sa vie
et de son action", devrait faire date dans l'histoire récente du
mouvement oecuménique. Organisée autour de la notion clé
de "dialogue", l'encyclique prévoit et encourage "un dialogue continu
et approfondi" qui ne peut être conçu que comme un "dialogue
des consciences" et un "dialogue de la conversion". L'encyclique rappelle
clairement l'importance de Foi et constitution - rappel particulièrement
important pour le COE et le mouvement oecuménique - , reconnaît
que "le ministère d'unité de l'évêque de Rome
représente une difficulté pour la plupart des autres chrétiens"
et exhorte "les responsables ecclésiaux et leurs théologiens"
à instaurer un "dialogue... patient" concernant "l'exercice de ce
ministère" nécessaire. Outre l'encyclique, deux documents
faisant autorité ont exposé le fondement théologique
de l'oecuménisme de l'Eglise catholique romaine et de ses relations
avec les autres Eglises et organisations oecuméniques, et donné
des directives pastorales en la matière. Ces documents sont le Directoire
pour l'application des principes et des normes sur l'oecuménisme
(1993) et la Dimension oecuménique dans la formation au travail
pastoral (1997). Bien que ces documents concernent la vie oecuménique
interne de l'Eglise catholique romaine, leurs répercussions potentielles
dépassent largement le cadre de cette Eglise. Ce sont des sources
d'inspiration pour toute la communauté oecuménique. L'une
des réponses les plus intéressantes à l'étude
sur la conception et la vision communes a été celle du Conseil
pontifical pour l'unité des chrétiens, qui s'est exprimé
au nom de l'Eglise catholique romaine. Sa réponse, qui s'inspire
de l'encyclique papale Ut Unum Sint, met en évidence le terrain
d'entente de l'oecuménisme, qui repose sur "le seul mouvement oecuménique",
la vision commune qui fait que la foi, la vie et le témoignage des
Eglises forment un tout cohérent, et la vocation commune qui, elle-même,
s'appuie sur la koinonia réelle mais imparfaite existant entre les
Eglises. Elle insiste en conclusion sur la valeur du cheminement commun
et sur les fruits d'une collaboration soutenue entre l'Eglise catholique
romaine et le COE: "La conception et l'engagement oecuméniques de
l'Eglise catholique romaine sont généralement en accord avec
les affirmations actuellement énoncées par les Eglises membres
du COE et le COE lui-même dans leur projet de déclaration
sur la vision."
41.
C'est sur la toile de fond de cette évolution positive et d'un attachement
sans équivoque à un dialogue constructif que le Groupe mixte
de travail (GMT) a présenté son septième rapport comme
le compte rendu de relations fructueuses entre l'Eglise catholique romaine
et le COE. Aussi relate-t-il diverses formes de collaboration entre cette
Eglise et le COE, ainsi que dans le cadre plus large du seul mouvement
oecuménique. Le GMT recommande pour examen trois documents d'étude
particulièrement importants pour le débat oecuménique
actuel : a) La formation oecuménique: réflexions et suggestions
oecuméniques, b) Le défi du prosélytisme et l'appel
au témoignage commun, et c) Le dialogue oecuménique sur les
questions morales : sources potentielles de témoignage commun ou
de divisions.
42.
Grâce au GMT, à Foi et constitution, à la CME et à
d'autres, notre collaboration avec l'Eglise catholique romaine s'est considérablement
renforcée au cours des sept dernières années. Il reste
un certain nombre de questions à étudier de façon
plus approfondie et méthodique, telles que la nature, le but et
les méthodes du dialogue, la nature et la structure de l'"autorité"
et du "magistère" dans l'Eglise, la relation entre l'Eglise "locale"
et l'Eglise "universelle" l'importance des instruments oecuméniques
régionaux et nationaux, etc. Je suis convaincu qu'au moment où
nous nous préparons à entrer dans une période particulièrement
importante de la vie du COE, une période pendant laquelle des questions
fondamentales posées par nombre de partenaires oecuméniques,
notamment par les Eglises orthodoxes, seront à notre ordre du jour,
il importera, d'une part, de s'appuyer sur l'expérience de discussions
antérieures tenues dans le cadre du GMT et, d'autre part, de tenter
de trouver avec l'Eglise catholique romaine des moyens encore mieux adaptés
d'approfondir notre collaboration et d'en étendre le
champ.
Vers
la stabilité financière
43.
Le Conseil est en proie depuis sept ans à de graves convulsions
financières. Les changements récents survenus dans le monde
de l'économie - la récession en Europe, la mondialisation
et la libéralisation des marchés - ont profondément
modifié le contexte financier dans lequel le Conseil doit fonctionner
aujourd'hui. Non seulement certaines de nos sources de revenu traditionnelles
se sont terriblement amenuisées, mais de nouveaux règlements
visant les organisations "sans but lucratif", des conditions de financement
restrictives et des exigences de plus en plus sévères en
matière de rapports ont tous contribué à rendre plus
difficiles les conditions de travail du Conseil et de son personnel. Ses
partenaires traditionnels du Nord et de l'Ouest de l'Europe l'ont amplement
averti qu'ils ne pourraient pas continuer à financer ses activités
à l'avenir dans la même mesure que par le passé. Pour
faire face à cette situation et selon l'évaluation de notre
Comité des finances, le Conseil doit concentrer ses efforts sur
deux domaines précis: premièrement, il doit développer
ses investissements et ses revenus immobiliers afin d'être moins
tributaire des contributions extérieures de ses partenaires traditionnels,
soumis aux mêmes contraintes financières que lui. Deuxièmement,
il doit diversifier géographiquement ses sources de revenus, s'employer
à resserrer ses liens anciens avec les partenaires oecuméniques
d'Amérique du Nord et sonder les Eglises et autres partenaires d'Extrême-Orient
et d'ailleurs pour déterminer s'ils ne peuvent pas accroître
leur participation financière. Troisièmement, l'expérience
a montré que le Conseil devait prendre ses décisions à
plus brève échéance et adapter continuellement ses
dépenses aux rentrées de contributions, ce qui l'oblige à
modifier ses méthodes de contrôle financier.
44.
Dans tous ces efforts, l'engagement financier des Eglises membres reste
un facteur fondamental. Outre leur contribution de membre, les Eglises
sont instamment priées de participer au financement des activités
de programme du Conseil; sinon, celui-ci ne sera pas en mesure de recouvrer
sa stabilité financière dans un proche avenir. Il est hors
de doute que les ressources spirituelles, intellectuelles et humaines sont
essentielles à l'avancement du mouvement oecuménique. Je
crois que les ressources matérielles sont tout aussi importantes
et qu'elles détermineront dans une large mesure le cours futur de
l'oecuménisme. En fait, il faut que nous examinions avec le plus
grand sérieux l'aspect financier de nos activités oecuméniques.
Nous ne pouvons prendre aucune mesure concrète pour avancer dans
notre cheminement oecuménique sans les donateurs qui sont nos partenaires,
ceux qui soutiennent notre travail, coopèrent avec nous et conçoivent
avec nous la vision du mouvement oecuménique.
45.
Du vaste et complexe terrain des activités oecuméniques du
Conseil, nous n'avons éclairé que quelques points. Inutile
de dire que le travail qui a été accompli entre les Assemblées
de Canberra et de Harare est beaucoup plus important que ne le suggèrent
ces quelques pages. J'aimerais conclure cette partie de mon rapport en
faisant quelques commentaires:
1)
Les programmes et activités du Conseil doivent correspondre aux
fonctions essentielles énoncées dans sa Constitution,
à savoir les buts de l'unité visible, du témoignage
commun, de la mission et du service. Ils doivent répondre aux besoins
et aux attentes des Eglises. C'est dans cette perspective que le Conseil
a réorganisé ses activités de programme. Il a aussi
cherché à renforcer les liens existant entre ses priorités
de programme. Cet engagement et cette vision lui ont apporté une
méthodologie et un style de travail nouveaux, mais il doit persévérer
dans ce sens.
2)
Ce souci de relier ses activités les unes aux autres a amené
le Conseil à rechercher une plus grande cohérence
dans ses travaux, à les intégrer davantage. En fait,
sous tous leurs aspects ou presque, les activités de programme du
Conseil dénotent la recherche incessante d'une approche globale.
A mon avis, des progrès considérables ont été
accomplis et une grande expérience acquise à cet égard.
Mais il reste encore beaucoup à faire à
l'avenir.
3)
Les programmes du Conseil doivent être générateurs
de relations et inciter à participer; sinon ils deviennent
de simples activités. Je crois qu'après Harare il faudra
prendre plus au sérieux cette dimension vitale du travail du Conseil.
En fait, l'étude sur la conception et la vision communes a accordé
beaucoup d'attention à ces questions en insistant sur la participation
active des Eglises et de leurs conseils nationaux et régionaux aux
travaux du Conseil.
46.
Le COE ne peut exister sans les Eglises. Il doit effectivement répondre
aux besoins prioritaires et aux changements qui se produisent dans la situation
des Eglises. Ce sera toujours un défi majeur pour le Conseil. Aussi
doit-il estimer de son devoir d'examiner constamment son témoignage
oecuménique, de revoir ses priorités, de se restructurer
et de redéfinir la conception de communion qu'il a de lui-même
par rapport aux Eglises locales. Le processus CVC est un signe concret
de ce souci et de cet engagement. C'est à la lumière de cette
façon de voir et dans cette perspective que je vais maintenant essayer
de dégager les conséquences du 50ème anniversaire
du COE et de la Déclaration universelle des droits de l'homme pour
l'idée que le Conseil se fait de lui-même et de sa vocation
au troisième millénaire.
c)
la violence à l'encontre des femmes et la conscience de plus en
plus vive que les Eglises ne doivent rester ni indifférentes ni
passives face à cette question; d) le racisme et la xénophobie
qui déchirent nos sociétés et leurs résultats
sur la vie des femmes.
47.
Il y a 50 ans, à un moment critique dans l'histoire de l'humanité,
des Eglises ont conclu un pacte et se sont engagées à témoigner
et à lutter ensemble pour l'unité de l'Eglise. Voici ce qu'elles
ont dit : "Rassemblés à Amsterdam [par le Christ], nous
sommes un en le confessant Dieu et Sauveur. Nous n'ignorons cependant pas
nos divisions : elles existent en matière de foi, d'ordre ecclésiastique
et de traditions; notre orgueil national, notre orgueil de classe ou de
race y ont aussi leur part. Mais Christ a fait de nous Son peuple et, Lui,
n'est pas divisé. C'est en le cherchant que nous nous trouvons.
Ainsi, à Amsterdam, en constituant le Conseil oecuménique
des Eglises, nous avons contracté envers Lui un nouvel engagement
et nous nous sommes liés les uns aux autres. Nous sommes décidés
à demeurer ensemble." 9
48.
Pendant 50 ans, nous avons voyagé ensemble à bord du navire
oecuménique. Nous avons essuyé bien des tempêtes. Nous
avons connu des périodes de guerre "chaude" et de guerre "froide".
L'affrontement et la peur, l'incertitude et les tensions font désormais
partie de notre vie commune. Aucune de ces épreuves n'a été
assez rude pour détourner le navire oecuménique de son cours.
Nous avons avancé ensemble. Notre voyage porte l'empreinte de la
"martyria". Tant de personnes, d'hommes et de femmes, de jeunes et de vieux
ont sacrifié leur vie pour des causes devenues inséparables
de la vision oecuménique. Dans ce pèlerinage oecuménique,
chaque génération a parlé avec ses mots propres, exposé
ses vues, exprimé ses préoccupations, lancé ses défis
et décrit sa vision oecuménique.
49.
Avons-nous été fidèles à la vision exposée
dans le Message de la Première Assemblée du COE ? Lorsque
nous regardons en arrière, nous avons à la fois beaucoup
de motifs de nous réjouir et bien des raisons de nous repentir.
Le jubilé du Conseil est l'occasion de faire son examen de conscience.
Quels comptes pouvons-nous rendre en toute humilité en ce tournant
décisif de l'histoire du COE ? Que laissons-nous à la génération
suivante ? Le moment est venu de regarder en arrière, autour de
nous et devant nous pour nous livrer à une évaluation et
à une autocritique. Permettez-moi de souligner brièvement
quelques points :
a)
Le Conseil a offert aux Eglises la possibilité de transcender leurs
divisions nationales, ethniques, culturelles, théologiques et politiques
et d'exprimer sous des formes tangibles leur communauté d'esprit.
La méfiance, l'aliénation et le malentendu ont fait place
au rapprochement, à la confiance mutuelle et à une meilleure
entente.
b)
Le COE est devenu une communauté fraternelle où les Eglises
se sont soutenues, remises en question et corrigées les unes les
autres dans un esprit de responsabilité mutuelle. Dans cette communauté,
les Eglises se sont senties liées les unes aux autres, elles ont
exprimé leur identité individuelle et découvert leurs
différences, tout en restant toujours fermement attachées
à la vision oecuménique.
c)
Le COE est devenu une communauté fraternelle où les Eglises
ont réfléchi et agi ensemble, prié ensemble et partagé
leurs ressources spirituelles et matérielles. Les notions de "donateurs"
et de "bénéficiaires" qui ont dominé les premières
années du COE et les méthodes inhérentes à
cette façon de penser se sont, avec le développement incessant
de l'esprit oecuménique et l'expansion de la communauté oecuménique,
transformées en un partenariat véritable. Le Conseil a mis
les Eglises au défi de travailler et de cheminer ensemble vers une
unité visible et entière.
50.
Et maintenant, où allons-nous ? La question est cruciale. Le COE
est un instrument, il n'est pas une fin en soi. Il est au service des Eglises
qui ont pour tâche commune de porter l'Evangile au monde et pour
vocation commune de grandir ensemble dans l'obéissance au commandement
de Jésus Christ. Dès ses débuts, le COE s'est défini
comme "un conseil des Eglises, non le Conseil de l'Eglise indivise"
et comme "une solution d'urgence temporaire, une
étape". 10 C'est ce qu'il est toujours. Le pèlerinage continue avec ses
progrès
et ses revers, ses réussites et ses échecs. Il continue avec
une foi, une espérance et une vision renouvelées. Il est
irrévocable et irréversible. Il ne peut pas s'exposer au
risque de déboucher sur une impasse ou de se diriger vers une destination
inconnue. C'est la vision oecuménique qui guide et détermine
sa vie et son témoignage. Il est donc d'une importance vitale qu'"en
chemin" nous nous arrêtions à chaque panneau indicateur pour
nous assurer de notre route et avancer en toute
sécurité.
1)
CONCEPTION ET VISION COMMUNES DU CONSEIL OECUMENIQUE DES EGLISES
(CVC) : un
processus de redéfinition et de réorientation de la vision
oecuménique
51.
En 1948, lorsque le COE a été fondé, le monde était
en proie à de terribles incertitudes et de profondes angoisses.
En 1998, la situation n'est pas meilleure. Les changements énormes,
les bouleversements qui se sont opérés dans presque tous
les domaines de la société se répercutent sur les
relations à l'intérieur des Eglises, entre elles, et entre
elles et le monde, ainsi que sur la vie et témoignage du Conseil.
Le COE a toujours été accompagné par la crise. C'est
ce que j'appelle une crise de croissance, qui incite le Conseil à
regarder devant lui et à avancer. Toutefois, jamais il n'avait été
aussi sérieusement remis en question. Après 50 ans de vie
commune, avons-nous encore l'intention, comme nous le déclarions
à Amsterdam, de demeurer ensemble et, comme nous l'affirmions
à Evanston, d'aller de l'avant ensemble ? Nous nous sommes
débattus avec cette question pendant tout le chemin de Canberra
à Harare. Interpellés par les Eglises membres et par les
changements du monde contemporain, nous nous sommes lancés dans
cette démarche critique qui consiste à essayer de comprendre
qui nous sommes en tant que Conseil. Quelle est notre nature spécifique
et notre vraie vocation ? Quelle vision oecuménique commune devrait
nous guider ? Le processus CVC a été entrepris dans le but
de trouver, avec les Eglises membres et les partenaires oecuméniques,
une réponse à ces questions pertinentes.
52.
Ce processus va tenir une place centrale à l'ordre du jour de l'Assemblée.
Il est important que nous l'examinions sous le bon angle, en prêtant
la plus grande attention aux événements récents, aux
préoccupations et aux réalités qui commencent à
se manifester, ainsi qu'à l'évolution des paradigmes oecuméniques
dans la vie des Eglises en général et du mouvement oecuménique
en particulier. J'aimerais faire ici quelques observations:
a)
L'oecuménisme institutionnel est en crise. Nous assistons à
une formidable explosion de l'oecuménisme populaire, sous des formes
diverses et dans différentes parties du monde. Beaucoup de chrétiens
dans nos Eglises sont déçus par les institutions qui sont
l'émanation du mouvement oecuménique. Les gens, en particulier
les jeunes, ne veulent pas être prisonniers de structures. Ils ne
veulent plus être enfermés dans des systèmes, des méthodologies,
des procédures et des programmes établis. Ils recherchent
un air frais et un espace plus large où ils puissent vivre et exprimer
leurs préoccupations et convictions oecuméniques. Ils créent
de nouveaux contextes où se réunir, des possibilités
nouvelles de rencontre. Je crois fermement que l'avenir du mouvement oecuménique
dépend de jeunes engagés et visionnaires, et non pas de structures
ou de programmes. Aussi le mouvement oecuménique risque-t-il de
perdre sa vitalité et sa raison d'être si les Eglises ne se
le réapproprient pas et ne trouvent pas un langage nouveau pour
décrire sa vision et la rendre proche de la vie des gens.
b)
Les priorités oecuméniques ont changé. Dans ses années
de formation, le Conseil était surtout préoccupé de
questions théologiques et doctrinales. Après Upsal, l'accent
a été mis sur les préoccupations sociales, économiques
et politiques. Un examen réaliste de la situation oecuménique
actuelle amènera à faire essentiellement deux constats :
premièrement, les questions relatives à l'unité et
celles qui touchent à la société ne peuvent plus être
traitées séparément; il faut les considérer
au travers des relations dynamiques qui les rendent inséparables.
Nous sommes arrivés à cette conclusion au cours de la dernière
décennie et devons en tirer les conséquences. Deuxièmement,
il est très probable que les questions morales et éthiques
prendront dans les années à venir une importance croissante
dans le débat oecuménique. Les Eglises doivent donc se préparer
et mettre au point des méthodes qui permettent de traiter ces questions
avec réalisme, dans une perspective pastorale et un esprit oecuménique,
en respectant les valeurs culturelles et les convictions les unes des
autres.
c)
La situation ecclésiale elle-même dans laquelle nous nous
trouvons est nouvelle. Dans bien des régions et des familles confessionnelles,
les Eglises établies voient diminuer le nombre de leurs membres
et l'influence qu'ils exercent dans la société. Les gens
désertent les Eglises établies parce qu'ils ne les croient
pas en mesure de faire face aux réalités nouvelles. En Afrique
et en Asie, comme parmi les populations autochtones, les chrétiens
redécouvrent leur foi chrétienne dans leurs propres cultures.
En Europe de l'Est et dans les pays de l'ancienne URSS où la chute
du communisme a permis d'instaurer la liberté de culte, les Eglises
cherchent les moyens de répondre à la situation nouvelle.
De plus, dans diverses parties du monde, on voit apparaître des mouvements
et des communautés chrétiennes d'un genre nouveau, des formes
nouvelles de vie religieuse, qui remettent en question les Eglises, structures
et théologies traditionnelles. De nombreux facteurs, extérieurs
et intérieurs, religieux et non religieux, sont sources de schismes
et de tensions dans bien des Eglises. Dans certaines régions, les
relations entre l'Eglise et l'Etat prennent un tour critique car les Eglises
éprouvent un sentiment de frustration grandissant à devoir
travailler sous la houlette de l'Etat. Tous ces facteurs vont certainement
amener les Eglises à réexaminer et à réévaluer
leur rôle dans la société.
d)
La mondialisation, dans une mesure croissante, affecte en profondeur le
mouvement oecuménique et la théologie, la spiritualité
et la mission des Eglises. Elle impose aux peuples et aux nations des structures,
des valeurs et des relations humaines nouvelles, à la fois source
d'harmonisation et de fragmentation. Le contexte dans lequel les Eglises
sont appelées à rendre témoignage est en passe de
devenir plus multiculturel et multireligieux. En outre, de nombreuses raisons
font que le mouvement oecuménique, de plus en plus, a des centres
multiples et une multitude de facettes et de dimensions diverses. Il s'exprime
de manière nouvelle, sous des formes inédites. Toutes ces
réalités vont exercer une énorme influence sur la
conception que les Eglises ont d'elles-mêmes et de leur engagement
missionnaire et les mettra en demeure d'articuler plus clairement leurs
priorités et d'élaborer de nouvelles normes et stratégies
pour la mission.
53.
Le mouvement oecuménique ne saurait prétendre détenir
les réponses à toutes ces questions ou la solution de tous
ces problèmes. Il doit reconnaître ses faiblesses, se réjouir
des possibilités qui sont les siennes, tout en reconnaissant ses
limites. Aujourd'hui plus que jamais, le mouvement oecuménique constitue
le cadre dans lequel les Eglises sont appelées à répondre
ensemble à ces nouvelles préoccupations, en priant ensemble,
rendant ensemble témoignage, se mettant ensemble au service du monde
et en oeuvrant en vue de l'unité visible. Le contexte de l'oecuménisme
et son image sont en pleine mutation, de même que la nature et la
portée de la vision oecuménique. C'est pourquoi le mouvement
oecuménique doit maintenant trouver une conception nouvelle et de
nouveaux moyens d'expression, ainsi qu'une orientation claire au seuil
du nouveau millénaire. Je pense que le tournant critique que connaît
aujourd'hui l'histoire du mouvement oecuménique est pour nous une
occasion et un défi, et que c'est dans ce sens que le COE doit
l'aborder.
54.
C'est dans ce contexte que le processus CVC a été lancé.
Il serait donc erroné de le considérer comme un effort entrepris
dans le seul but d'apporter des changements structurels internes et des
modifications de programme. Ce processus est une tentative sérieuse
et globale, visant premièrement, à donner une expression
renouvelée d'une vision oecuménique fidèle à
l'Evangile et adaptée aux circonstances actuelles ; deuxièmement,
il veut remettre en lumière la nécessité urgente de
l'unité visible en tant qu'objectif principal du mouvement oecuménique
; troisièmement, il veut affirmer l'importance décisive de
l'unité, de la mission, de la diaconie et de la justice en tant
que fondement de toute reformulation de la vision oecuménique ;
quatrièmement, il vise à ce que la cohérence et l'intégralité
inhérentes au mouvement oecuménique se reflètent dans
la collaboration entre les Eglises, les relations entre les Eglises membres
et dans les programmes et ordres du jour du Conseil ; et cinquièmement,
il veut encourager la participation active et responsable des Eglises membres
à tous les aspects de la vie du Conseil. En d'autres termes, le
processus CVC nous rappelle que le Conseil doit s'enraciner davantage dans
la vie des Eglises et se laisser inspirer par elles, tout en encourageant
des relations de partenariat toujours plus étendues, à tous
les niveaux de l'Eglise et dans tous les domaines de notre communauté
oecuménique. Il nous aide également à considérer
la vision oecuménique et les priorités de programme du Conseil
dans une perspective plus large, plus globale.
2) Grandir ensemble dans la responsabilité : le grand
défi
55.
Le COE n'est pas une organisation autarcique, centrée sur elle-même,
se suffisant à elle-même. Il est constitué par l'ensemble
des Eglises. C'est pourquoi il n'a pas le droit d'insister sursa propre
auto-compréhension ou sur son ordre du jour. Ce sont les Eglises
qui doivent dire ce qu'il est, ce qu'il doit devenir et ce qu'il doit faire.
Le processus CVC n'a pas été une affaire purement interne.
Il a été une initiative des Eglises. Eglises membres,
Eglise catholique romaine et partenaires oecuméniques y ont participé
activement. En outre, il avait pour objectif de devenir un processus
permanent, et non pas une tentative limitée dans le temps, ne concernant
que certains domaines concrets de la vie et des activités du Conseil.
Le processus CVC doit être considéré comme le commencement
d'un effort sérieux et global visant à inciter les Eglises
à entreprendre ensemble le cheminement difficile qui les conduira
à réévaluer et à reformuler leur vision oecuménique
commune.
56.
Dans le cadre du processus CVC, les Eglises membres ainsi que l'Eglise
catholique romaine ont tout particulièrement souligné l'importance
du COE. Toutefois, certaines Eglises ne sont pas entièrement satisfaites
des changements que propose le document CVC. Elles désirent aller
plus loin. D'autres souhaitent remettre le Conseil sur la bonne voie car,
à leurs yeux, il s'éloigne de sa vocation centrale. Les problèmes
survenus récemment dans les relations entre le COE et les Eglises
orthodoxes doivent être vus sous cet angle. Toute tentative visant
à réévaluer objectivement le malaise qui règne
actuellement entre le COE et les Eglises orthodoxes doit prendre en compte
l'évolution de leurs relations dès les débuts du Conseil,
ainsi que la situation particulière qui s'est développée
dans la vie des Eglises orthodoxes depuis la chute du communisme. Ni le
temps qui m'est imparti, ni la nature de ce rapport ne me permettent d'examiner
ces questions dans tous leurs détails. Je souhaite toutefois faire
quelques remarques à ce sujet.
a)
Les Eglises orthodoxes ont joué un rôle important dans la
formation et la croissance du COE. Elles ont contribué de manière
significative à la pensée et à la spiritualité
oecuméniques ; mais elles ne se sont pas intégrées
totalement dans l'ensemble de la vie et du témoignage du Conseil.
Cet état de choses, qui est devenu l'un des traits caractéristiques
des relations entre le Conseil et les Eglises orthodoxes, est dû
premièrement à certaines tendances et pratiques du COE qui
sont incompatibles avec la tradition orthodoxe ; deuxièmement, à
la position minoritaire de ces Eglises au sein du Conseil, ce qui apparaît
clairement lorsque l'on considère la composition des organes directeurs
et les processus de décision; il est dû, troisièmement,
au fait que la manière d'être et l'ordre du jour du Conseil
sont restés fondamentalement protestants et occidentaux, malgré
la présence des orthodoxes et la participation d'Eglises venues
d'autres régions. Ces facteurs, ces préoccupations, ont créé
une distance entre les Eglises orthodoxes et le Conseil. Ces Eglises ont
exprimé leur mécontentement et leurs souhaits dans ce que
l'on a appelé des " Déclarations orthodoxes", rédigées
au sujet de points importants de l'ordre du jour ou à certaines
occasions particulières. On a respecté le caractère
unique de la théologie et de la spiritualité orthodoxes,
mais on n'a pas fait des efforts suffisants pour leur permettre d'être
en interaction créatrice avec la théologie protestante, qui
continue à dominer le langage théologique du Conseil, sa
pensée et ses méthodologies.
b)
L'effondrement du communisme et la réapparition d'Etats indépendants
ont ajouté une Dimension critique à la participation des
Orthodoxes au sein du mouvement oecuménique. Le déferlement
de sectes et de nouveaux mouvements religieux en Europe orientale et dans
les pays de l'ancienne URSS, les efforts accrus visant à réaffirmer
l'intégrité et l'identité de l'orthodoxie, le souci
qu'a l'Eglise de trouver sa place et son rôle dans la société,
d'une part, et, de l'autre, la nature controversée de certaines
activités du Conseil et ce qui est perçu comme leur éloignement
de ce qui fait la vie des Eglises orthodoxes ont élargi le fossé
qui se creuse entre les Eglises orthodoxes et le mouvement oecuménique.
Ces Eglises en sont venues à considérer le Conseil comme
un mouvement occidental, protestant et libéral qui fait intrusion
dans un milieu où l'orthodoxie s'est efforcée de réaffirmer
son identité en revenant à ses racines
authentiques.
57.
Le COE a fini par percevoir la frustration croissante des orthodoxes et
leurs sentiments anti-oecuméniques et il a pris un certain nombre
de mesures concrètes : la restructuration du Conseil (1991), la
création d'un programme spécial de formation religieuse chrétienne
pour l'Europe centrale et orientale et les pays de l'ancienne URSS (1991),
le Colloque sur l'uniatisme (1992), la déclaration du Comité
central sur le prosélytisme (1993), etc. Cependant, ces initiatives
du Conseil n'ont pas amené de changements substantiels dans les
relations entre le COE et les orthodoxes. En réalité, les
questions fondamentales que soulevaient les Eglises orthodoxes touchaient
aux racines mêmes de l'existence du Conseil. Ces Eglises ont exprimé
des doutes sérieux quant à la possibilité qu'offre
le processus CVC d'éliminer les causes profondes de leur frustration
et ont appelé à une "restructuration radicale" du Conseil.
Les autorités du COE ont réagi sans tarder à la déclaration
de Thessalonique (avril 1998) des Eglises orthodoxes (chalcédoniennes)
en invitant les Eglises orthodoxes chalcédoniennes et non chalcédoniennes
à participer avant l'Assemblée à une réunion
de la "Commission théologique mixte", dont la déclaration
mentionnée proposait la création. Les Eglises orthodoxes
ont demandé plus de temps pour se préparer.
58.
Je ne puis pas ici donner le détail des préoccupations et
des exigences des orthodoxes. Je souhaite toutefois en résumer la
substance en deux points. Premièrement : le Conseil doit chercher
de nouvelles formes de représentation, de participation, de prises
de décisions, pour permettre aux Eglises orthodoxes de sortir de
leur situation de minorité et de jouer un rôle plus actif
dans tous les aspects de la vie du Conseil. Deuxièmement : en élaborant
le cadre de ses programmes, son ordre du jour ainsi que les divers aspects
de ses structures et de sa constitution, le Conseil doit trouver le moyen
de refléter les convictions et les sensibilités, les traditions
et les attentes de toutes les Eglises membres, sur un pied
d'égalité.
59.
Je voudrais souligner le fait que, même s'il n'y a pas de crise proprement
dite dans les relations entre le COE et les orthodoxes, la situation est
réellement critique. Si l'Assemblée ne la prend pas au sérieux,
je crains bien que la participation des orthodoxes n'aille en diminuant.
J'espère ardemment qu'après cette Assemblée, les responsables
du Conseil et les représentants de toutes les Eglises orthodoxes
se mettront ensemble à traiter de manière approfondie toutes
les questions et tous les problèmes qui font obstacle à une
participation plus organisée et plus efficace des orthodoxes aux
activités du Conseil. A mon avis, les orthodoxes doivent y contribuer
avec un ordre du jour précis et un esprit ouvert. Les Eglises des
traditions protestante et anglicane, de leur côté, doivent
aider les orthodoxes à s'intégrer complètement à
la vie du Conseil en leur offrant l'espace et les occasions leur permettant
d'accroître leur participation. Il est temps que les Eglises orthodoxes
passent du monologue au dialogue, de la réaction à l'action,
de la contribution à la participation, du statut d'observateur à
celui de partenaire à part entière au sein du
COE.
60.
A Amsterdam, les pionniers de l'oecuménisme ont déclaré
: "Il n'est pas toujours facile de concilier fidélité
confessionnelle et fidélité oecuménique. D'autre part,
nous avons beaucoup à gagner du choc des vieilles traditions chrétiennes
déjà bien établies avec les jeunes Eglises dont les
traditions sont en train de se former. Ces difficultés et toutes
celles qui subsistent entre nous, nous les apportons au Conseil oecuménique
des Eglises, afin de les aborder ensemble."
11
Les divergences d'opinion, les désaccords, les tensions, et même
les conflits existeront toujours au sein de cette communauté mondiale
composée de traditions ecclésiales, de doctrines théologiques,
de sensibilités culturelles, d'identités nationales et ethniques
multiples. C'est ce que nous avons appris au cours des 50 ans que nous
avons passés ensemble. Nous devons à la fois nous réjouir
de nos différences et en payer le prix.
61.
Il faut comprendre la frustration des orthodoxes dans la perspective de
leur engagement envers le mouvement oecuménique. Ce n'est pas être
anti-oecuménique que critiquer le COE. Ils ne mettent pas en question
l'importance et la crédibilité de ce mouvement, mais ils
éprouvent des difficultés à reconnaître la pertinence
de son ordre du jour, ses formes d'expression, ses méthodes et procédures.
Certaines de nos Eglises membres orthodoxes ne sont pas présentes
à cette Assemblée. D'autres ne le sont pas de la même
manière qu'auparavant. Nous avons certainement tous conscience qu'il
y a un problème, et que ce problème n'est pas de nature orthodoxe,
mais oecuménique. Je pense que nous sommes devenus suffisamment
adultes, au cours de notre cheminement oecuménique, pour envisager
les problèmes qui nous préoccupent dans une plus large perspective
et voir qu'ils sont liés à nos relations mutuelles. La situation
actuelle devrait nous aider à mieux nous connaître les uns
les autres et à nous faire mutuellement confiance. Je pense que
notre communauté fraternelle au sein du COE ne peut plus se fonder
sur une relation entre minorité et majorité. Si l'on ne porte
pas remède à cette situation, les orthodoxes se sentiront
toujours menacés et marginalisés. Je pense aussi que nous
ne pouvons pas imposer nos convictions et nos ordres du jour en nous opposant
les uns aux autres. Nous ne pouvons pas non plus dire notre malaise en
nous élevant les uns contre les autres lorsque nous voulons nous
exprimer sur des questions que nous estimons vitales. Il appartient au
Conseil de ménager un espace ouvert dans lequel les Eglises s'engagent
à agir les unes avec les autres de manière créative,
dans le respect mutuel, la confiance et la responsabilité.
63. A l'occasion de cette Assemblée, nous sommes aussi invités à redéfinir et à reformuler notre engagement pour la justice, la paix et la réconciliation. C'est un fait que les droits de la personne humaine demeurent un facteur central dans tout processus, toute tentative dont l'objectif est la justice, la paix et la réconciliation. Ils font partie intégrante du témoignage oecuménique. Coïncidence pleine de signification, au cours de cette Assemblée qui a lieu dans le contexte du 50ème anniversaire de notre témoignage oecuménique commun au sein du COE, nous célébrons aussi le 50ème anniversaire de notre engagement oecuménique commun dans la lutte pour les droits de l'homme.
64.
Le 10 décembre 1948, les Nations Unies, en adoptant la Déclaration
universelle des droits de l'homme, ont formellement reconnu et affirmé
que "la reconnaissance de la dignité inhérente à
tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux
et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de
la justice et de la paix dans le monde." 12 Au cours des 50 ans
écoulés, l'ONU a cherché à
appliquer cette déclaration historique en adoptant des pactes internationaux
relatifs à un certain nombre de domaines spécifiques des
droits de la personne humaine. La Déclaration universelle n'a toutefois
pas empêché des millions d'êtres humains de devenir
les victimes de traitements inhumains tels que la torture, les exécutions,
les atrocités, la répression, le génocide. Dans le
monde entier, des hommes et des femmes ont fait de grands sacrifices et
sont même allés au martyre pour promouvoir et protéger
les droits de la personne. L'ONU, tout en faisant des déclarations
éloquentes en faveur de ces droits et du règlement pacifique
des conflits, a démontré sa faiblesse face aux violations
de ces droits. Dans bien des cas, les engagements stipulés par la
Charte des Nations Unies ont été négligés ou
contournés par des actes unilatéraux. 50 ans après
la Déclaration universelle, les cris des victimes des violations
des droits de l'homme se font encore entendre. La fin de la guerre froide
a mis un terme à la confrontation bipolaire, mais elle n'a pas marqué
le début d'un "nouvel ordre mondial" fondé sur la paix et
la justice. Là encore, l'ONU a de la peine à remplir ses
obligations et à être un instrument de paix et de maintien
de la paix. Malgré le fait que les grandes puissances ont établi
de temps en temps une paix fragile par des menaces et des interventions
militaires, l'incertitude, la confusion et des situations explosives persistent
dans de nombreuses régions, et des violations flagrantes des droits
de l'homme se commettent encore. Outre ces préoccupations croissantes,
la question des droits de l'homme se trouve face à trois grands
défis :
a)
Les effets de la mondialisation sur les droits de l'homme sont considérables.
Elle a modifié sensiblement les relations politiques, sociales et
économiques et a provoqué une altération radicale
des valeurs et des structures de la société. Ce processus
qui touche presque tous les domaines de la vie humaine offre des possibilités
immenses, mais dans le même temps, il a fait apparaître de
nouvelles formes d'injustice et d'insécurité sociales et
économiques. Des organismes transnationaux et des institutions financières
internationales empêchent les gens de participer à l'économie
et accélèrent la croissance du chômage, du déracinement
et de l'exclusion. L'Afrique, continent où nous nous réunissons,
nous rappelle de manière existentielle certains des grands problèmes
auxquels nous faisons face. La violence, la pauvreté, la vague des
déracinés, le génocide, les catastrophes écologiques
et d'autres effets de la mondialisation encore font partie intégrante
de la vie quotidienne des Africains.
b)
La liberté religieuse, qui est l'un des droits fondamentaux
de la personne humaine, a resurgi à notre époque de l'après-guerre
froide comme l'une des grandes questions qui affectent les relations nationales
et internationales. Dans un certain nombre de pays, la religion est utilisée
pour promouvoir des objectifs nationalistes étroits et crée
de la sorte des divisions et des polarisations. Dans d'autres, la constitution
donne à la religion des pouvoirs et des privilèges qui sapent
les bases séculières et pluralistes de ces Etats. L'intolérance
et les restrictions dans le domaine de la religion, le fondamentalisme
et l'exclusion caractérisent la vie de nombreuses sociétés.
Par ailleurs, les méthodes agressives dont font usage certains mouvements
religieux venus de l'étranger pour pratiquer le prosélytisme
ont aussi créé une situation complexe par rapport aux droits
de l'homme.
c)
Le retour du nationalisme ethnique a compliqué la question
du droit des peuples à l'autodétermination. Vu sous son aspect
positif, ce retour constitue une recherche de la justice et du respect
de soi. Les gens cherchent la sécurité au sein du groupe
ethnique, religieux et national. Dans ce sens, le nationalisme est une
force créatrice lorsqu'il exige le respect de l'identité
et contribue à la construction d'une nation. Mais lorsqu'il prend
la forme d'une idéologie, il peut devenir la source de grands maux
et empêcher que l'on vive ensemble dans la justice et dans la paix.
Les conflits ethniques menacent la tolérance interreligieuse. Ils
détruisent les fondements mêmes des sociétés
pluralistes et créent des situations dans lesquelles les droits
de l'homme sont bafoués. Au cours de la décennie écoulée,
le nationalisme ethnique a conduit des sociétés à
la fragmentation, à des conflits internes, à la purification
ethnique et à l'émigration, portant ainsi gravement atteinte
aux droits des personnes.
65.
La question des droits de l'homme demeure donc un point permanent et l'une
des principales priorités de l'ordre du jour du Conseil ; elle fait
partie intégrante de la vocation même de l'Eglise. Le COE
s'est engagé dans ce domaine en condamnant les violations
de ces droits, en surveillant la manière dont ils sont respectés
et appliqués, en soutenant les Eglises et les groupes
engagés dans la lutte en faveur de ces droits et en promouvant les
valeurs qui leur sont liées par l'éducation et la
communication.
66.
Je pense que face aux changements révolutionnaires qui ont déstabilisé
l'ordre politique, social et économique, et à la lumière
de l'expérience oecuménique que nous avons acquise au cours
du combat en faveur des droits de l'homme durant ces cinquante dernières
années, il faut que le Conseil, premièrement, accorde dans
le cadre de ses programmes une attention plus soutenue à la mondialisation,
à la liberté religieuse et au nationalisme ethnique ainsi
qu'à leurs retombées sur les droits de l'homme; deuxièmement,
en élaborant une politique et une stratégie oecuméniques
nouvelles dans le domaine des droits de l'homme, il doit poursuivre ses
efforts pour élaborer une pensée sociale oecuménique
et des stratégies visant à promouvoir et à défendre
les valeurs liées à ces droits en recourant à la prévention
et aux actions en justice lorsqu'il y a violation ; ainsi il posera les
fondements d'une nouvelle éthique universelle, en coopération
avec d'autres religions.
Cette
Assemblée sera invitée à adopter une politique oecuménique
des droits de l'homme remise à jour. A ce sujet, je souhaite vous
faire part de quelques idées et perspectives.
1) Prévention et sanctions
67.
Face aux conflits inter-ethniques actuels et à l'accroissement des
violations des droits de l'homme, la prévention et le règlement
pacifique des conflits demeurent des priorités internationales urgentes.
Aucun mécanisme international n'est actuellement en mesure de garantir,
d'assurer et de sauvegarder les droits de la personne humaine, ni d'établir
des procédures de prévention ou de résolution des
conflits. Avant et pendant la guerre froide, les grandes puissances considéraient
l'intervention militaire comme le moyen le plus efficace d'assurer la paix.
A l'âge de l'après-guerre froide, l'édification de
la paix se révèle être un processus long et complexe.
Jusqu'à présent, les Eglises ont plus souvent réagi
face aux violation des droits de l'homme, qu'agi pour les prévenir.
Comment le mouvement oecuménique peut-il les aider à élaborer
une nouvelle stratégie de lutte pour ces droits et à créer
pour cela des réseaux locaux, régionaux et internationaux
? Il est possible de régler ou de prévenir les conflits par
différentes formes de surveillance publique et par des médiations
compétentes, et le meilleur moyen de prévenir les violations
des droits de l'homme est l'éducation à la responsabilité
civique et l'action au niveau des causes profondes.
68.
Il est également essentiel que la loi prévoie des sanctions
pour prévenir les violations des droits de l'homme. L'impunité
perpétue l'injustice qui, à son tour, engendre des actes
de vengeance et une violence sans fin. Ceux qui violent ces droits doivent
rendre des comptes à l'humanité. Le dicton populaire "tu
peux courir, mais tu ne peux pas te cacher" a été inversé.
Nombreux sont les coupables (Etats, nations, individus) de massacres, de
génocides, de crimes de guerre et d'injustices qui jouissent de
l'impunité en vertu des "intérêts vitaux et stratégiques"
de pouvoirs régionaux ou mondiaux et qui ne sont pas cités
en justice. Il est urgent de traduire en justice et de demander des comptes
aux responsables de politiques qui conduisent aux violations des droits
et de la dignité des femmes et des enfants, des communautés
et des nations; l'entreprise de justice et de responsabilité devrait
aussi inclure des mesures de réparation et de restitution, et de
compensation aux victimes. Après des années d'un travail
acharné, une cour pénale internationale a été
établie. Cette instance, ainsi que d'autres mécanismes, aideront
l'ONU à faire appliquer les droits de l'homme. Le COE doit coopérer
avec les Eglises, les partenaires oecuméniques, les fidèles
d'autres religions et les ONG pour traiter les situations et les cas dans
lesquels l'impunité engendre l'injustice et la violence. Ces deux
aspects, la prévention et les sanctions, doivent aller de
pair.
2) A la recherche d'une éthique universelle
69.
L'Eglise voit la société dans une perspective qualitativement
différente. Elle ne peut pas abandonner les valeurs de l'Evangile
au profit de celles, ambiguës, du progrès et de la technologie.
Elle ne saurait approuver des valeurs qui sont incompatibles avec l'Evangile.
Elle a pour objectif une société responsable, soutenue et
guidée par des valeurs éthiques et des normes conformes aux
droits de la personne humaine. Pendant de nombreuses années, l'Eglise
s'est préoccupée des défis que constituaient pour
elle la sécularisation et le matérialisme. Il est temps qu'elle
parle et agisse de manière à remettre en question toutes
les idéologies et tendances qui mettent en doute la crédibilité
de l'Evangile et la dignité et l'intégrité de la personne
humaine.
70.
Nous appartenons à une seule oikos ou oikouméné
(maisonnée). Nous nous préoccupons de l'économie
(oikos-nomos), de la gestion de notre maisonnée commune. Nous sommes
responsables de l'élaboration d'une éthique fondamentale
commune susceptible de conduire les sociétés de la simple
existence à une réelle coexistence, de la confrontation à
la réconciliation, de la dégénérescence des
valeurs morales à la restauration d'une qualité de la vie
qui rétablit la présence de la transcendance dans la vie
humaine. Une culture mondiale doit pouvoir se fonder sur une éthique
universelle, propre à aider les nations à gérer leurs
relations les unes avec les autres et avec la création et à
oeuvrer ensemble à l'édification d'une communauté
mondiale authentique. Une telle éthique universelle, dont l'idée
a été lancée en 1993 par le Parlement des religions
mondiales (Parliament of World Religions) ne devrait pas seulement refléter
les valeurs du christianisme occidental, mais se fonder sur une grande
diversité d'expériences et de convictions. Avec d'autres
religions, l'Eglise doit être à la recherche d'une éthique
universelle fondée sur des valeurs éthiques communes qui
transcendent les croyances religieuses et les définitions étroites
d'intérêts nationaux. Les droits de l'homme doivent être
sous-tendus par des principes éthiques. C'est pourquoi le dialogue
entre les religions et les cultures revêt une importance décisive
et forme la base d'une plus grande solidarité en vue de la justice
et de la paix, des droits et de la dignité de la personne humaine.
Les religions doivent coopérer afin de définir dans quels
domaines et comment ils peuvent ensemble se faire les défenseurs
des droits de l'homme. En réfléchissant à l'élaboration
d'une éthique universelle, on sera attentif aux points suivants
:
a)
Nous devons créer une culture de non-violence active en transformant
les structures génératrices de violence et d'injustice. Le
programme "vaincre la violence" du COE s'est engagé ces dernières
années au service de la redoutable tâche consistant à
défier et à vaincre l'esprit, la logique et la pratique de
la violence par la transformation de la culture universelle de la violence
en une culture de la paix juste. La campagne Paix dans la ville est un
exemple concret de personnes travaillant en partenariat authentique avec
différentes religions et d'autres groupes et mouvements. Dans le
travail qu'il accomplit dans le domaine des droits de la personne humaine,
le COE doit être aux côtés des communautés qui
luttent en les encouragean dans leur action et en établissant des
réseaux leur permettant d'agir ensemble. Pour vaincre la violence,
nous devons nous attaquer à la fois à ses causes et à
ses symptômes.
b)
Edifier la paix dans la justice doit devenir une stratégie à
l'échelle du monde. Les droits de la personne humaine constituent
le fondement essentiel d'une paix juste et durable. Nous devons créer
des mécanismes et des réseaux aux échelons local,
régional et international qui favorisent le règlement pacifique
des conflits. Nous devons chercher comment faire passer le travail relatif
aux droits de l'homme de la phase réactive , où l'on défend
les personnes dont les droits sont violés, à une phase pro-active,
où l'on construit des communautés et les rend capables de
promouvoir et de défendre leurs propres droits. La sécurité
nationale doit faire place à la sécurité de tous,
les intérêts nationaux aux intérêts communs à
tous : la justice pour tous, la paix pour tous, la sécurité
pour tous. Cet effort ne devrait pas constituer une simple stratégie,
mais un principe éthique fondamental. Lors du Rassemblement JPSC
de Séoul, le COE s'est engagé à rechercher tous les
moyens susceptibles d'établir la justice, de bâtir la paix
et de résoudre les conflits par la non-violence active. Grâce
à leurs ressources spirituelles propres, les religions peuvent offrir
des occasions de repentance, de pardon et de
réconciliation.
c)
Nous devons créer une culture des droits de la personne humaine
qui permettra de gérer le pouvoir de manière constructive
et responsable. Souvent, les institutions démocratiques légitiment
le pouvoir au lieu d'être au service des besoins du peuple. Toute
expression, tout usage du pouvoir qui n'implique pas la responsabilité
et l'obligation de rendre des comptes est source de malheur. Le pouvoir
devient une force libératrice lorsqu'il cherche à établir
la justice, qu'il encourage la participation des gens aux institutions
sociales, économiques et politiques et lorsqu'il favorise l'ouverture
à tous et la démocratie dans les structures de
gouvernement.
71.
Dans l'oikouméné de Dieu, il ne peut exister ni exclusion,
ni violations des droits et de la dignité de la personne humaine.
Nous devons oeuvrer en vue d'une éthique qui offre une vision nouvelle
de convergence universelle, afin de mettre en échec les conséquences
destructrices de la mondialisation, de la technologie et de la sécularisation,
une éthique qui se fait l'avocat d'une culture de la solidarité
et du partage équitable des ressources, une éthique qui ne
se fonde pas sur la seule philanthropie, mais sur la justice. C'est pourquoi,
"tournons-nous vers Dieu" qui, en Christ, a recréé l'humanité
et l'a libérée pour qu'elle devienne une communauté
unie sous son règne, lui qui attend de cette humanité qu'elle
vive en une société cohérente, juste et responsable
dans la perspective du Royaume.
Nous
tourner vers Dieu signifie que nous avons à nous tourner vers notre
prochain animés par un amour agissant, en recherchant la justice
et la réconciliation. Nous sommes un peuple missionnaire, non pas
pour dominer les autres et leur imposer nos valeurs et nos cultures, mais
pour partager la "bonne nouvelle" avec tous. Le dialogue que nous engageons
avec notre prochain ne diminue en rien l'engagement total qui nous lie
à notre foi. Dans la relation de dialogue avec les autres, notre
foi s'enrichit, s'affine et se fortifie. Dialoguer signifie témoigner,
c'est à dire vivre l'événement du Christ au coeur
des ambiguïtés, des incertitudes et des polarités du
monde. Cela signifie aussi écouter et chercher à comprendre
la foi et les perspectives des autres. Le dialogue est un garde-fou contre
le syncrétisme, il est la recherche d'une communauté
élargie.
Dans
un monde où la culture technologique et la mondialisation provoquent
la déshumanisation, où les nouvelles idéologies de
la sécularisation nient la présence de la réalité
ultime et s'emploient à promouvoir des valeurs matérialistes
et consuméristes, l'Eglise, en collaboration avec les autres religions,
est appelée à remodeler, à renouveler et à
réorienter la société en renforçant son fondement
sacré. Dans les sociétés pluralistes d'aujourd'hui,
nous partageons avec nos voisins une responsabilité commune en vue
d'un avenir commun.
La
création est devenue un objet livré à l'exploitation
humaine. Nous tourner vers Dieu implique que nous nous repentions de ce
que nous avons commis et continuons à commettre contre la création,
notre oikos (la maison que Dieu nous a donnée). La création
appartient à Dieu, l'humanité en est l'intendante. C'est
pourquoi tout processus ou développement qui compromet la viabilité
de la création doit être remis en question. L'humanité
doit retrouver des relations justes avec la création.
L'Eglise
ne peut pas adhérer aux compromis qu'offre le monde. Elle doit incarner
l'Evangile dans sa propre vie et dans celle des sociétés.
J'ai encore dans la mémoire la voix d'une jeune personne que j'ai
entendue s'écrier : "Où donc est mon Eglise ? Que fait-elle
?" Les fidèles ont besoin d'une Eglise qui les écoute et
qui prend soin d'eux. Ils veulent une Eglise qui trouve son accomplissement
en devenant une réalité missionnaire. L'Eglise doit sortir
de sa captivité institutionnelle et devenir une "Eglise pour les
autres". Nous tous, ensemble, nous sommes l'Eglise, l'Eglise des gens ;
ensemble, nous accomplissons notre vocation. Les Eglises qui vivent ensemble
en un même lieu doivent former une communauté renouvelée,
un exemple vivant de communauté conciliaire. Le monde nous écoutera
si nous demeurons ensemble et agissons ensemble dans l'obéissance
à l'Evangile et la fidélité au commandement du Christ.
Ensemble, les Eglises doivent devenir un signe d'espérance dans
un monde en proie à l'absurdité et au
désespoir.
En
fait, nous nous sommes plus souvent tournés vers la haine et la
violence, vers l'injustice et le pouvoir. Nous nous sommes tournés
vers nous-mêmes et avons ignoré tout le reste et nous avons
prétendu maîtriser notre propre destin. Nous avons fait du
monde un lieu égoïste, replié sur lui-même et
privé d'espérance et de transcendance. Nous tourner vers
Dieu signifie que nous devons reconnaître en toute consciece que
nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes, mais à Dieu.
Cela implique que nous nous détournions de toutes les valeurs, idéologies
et manières de vivre qui évacuent de notre vie la réalité
ultime. L'humanité ne survivra pas sans la dimension eschatologique.
Nous devons reconnaître que toutes les ressources humaines, toutes
les réalisations miraculeuses de la technologie, sont inadéquates
et relatives, et nous tourner vers Dieu dans un esprit d'humilité
et de repentance. Nous devons renoncer à l'aliénation pour
nous réconcilier avec Dieu, nous détourner de nos propres
voies pour prendre celle de Dieu et nous tenir sous son
jugement.
77.
A Amsterdam (1948), nous avons reconnu le désordre de l'humanité
face au
A Evanston (1954), nous avons proclamé le Christ, seul espoir
du monde.
Se tourner vers Dieu représente une nouvelle qualité de relation
avec Dieu, avec les autres, avec l'humanité et avec la
création.
L'espérance
chrétienne s'enracine dans la vie nouvelle donnée au monde
par la croix et la résurrection. Notre espérance n'est pas
une réalité théorique, une eschatologie non encore
réalisée. Elle est de l'ordre de l'incarnation. Nous sommes
le peuple de l'espérance (Romains 5, 4-5), peuple pèlerin
en route vers le Royaume.
78. Le Jubilé est un appel à la réconciliation et à
un nouveau départ. Nous approchons d'un tournant de l'histoire.
Sommes-nous prêts à vivre l'Evangile, à l'apporter
au monde et à le proclamer, par notre "martyria" dans la vie et
même dans la mort, comme source de libération, de réconciliation
et de transformation ? Sommes-nous prêts à réaffirmer
notre engagement en faveur de l'unité visible ? Au terme du long
processus de réflexion théologique et de convergence sur
le baptême, l'eucharistie et le ministère (BEM), aurons-nous
le courage de nous reconnaître mutuellement la validité du
baptême de nos Eglises respectives, comme pas concret sur le chemin
de l'unité visible, pleine et entière ? En 2001, selon les
deux computs actuellement en usage, c'est-à-dire les calendriers
grégorien et julien, Pâques tombera sur la même date
(15 avril). Cet événement ne pourrait-il pas marquer le commencement
d'une célébration commune de Pâques ?
79.
Cette Assemblée est assurément décisive. Nous sommes
venus ici, le coeur à la fois plein d'espérance et lourd
de désespoir, avec de l'enthousiasme et des frustrations. Ce paradoxe
ne fait-il pas partie de notre vie commune ? Nous sommes différents
les uns des autres et nous le resterons à bien des égards.
Mais ce qui nous rassemble, c'est la vision commune de l'unité et
le fait que nous sommes fermement engagés à oeuvrer ensemble
pour y parvenir. Le 13 décembre, lors de la célébration
du cinquantenaire du COE, nous serons invités à réaffirmer
notre engagement en ces termes :
ARAM
I
CATHOLICOS
DE CILICIE
Notes
"Tournons-nous
vers Dieu dans la joie de l'espérance"
72.
A Amsterdam, les Eglises ont fixé leur attention sur "Désordre
de l'homme et dessein de Dieu". Ne sommes-nous pas, 50 ans plus tard, confrontés
à un désordre humain encore plus complexe dont les conséquences
seront encore plus considérables ? Pouvons-nous modifier le cours
de l'histoire ? Sommes-nous en mesure de proposer des alternatives nouvelles
aux systèmes et aux structures idéologiques et socio-polittiques
qui engendrent l'injustice, déshumanisent les sociétés
et compromettent l'intégrité et la viabilité de la
création ? Nous devons être des signes indicateurs du Royaume
de Dieu comme 13 le déclarait Karl Barth lors de l'Assemblée d'Amsterdam,
et nous "tourner vers Dieu" pour discerner son dessein pour le monde d'aujourd'hui.
Se tourner vers Dieu et être signe de son Royaume n'est jamais une
attitude passive ou défensive. Cela exige un engagement dans la
mission de Dieu qui peut aller jusqu'au sacrifice et qui est essentiel
pour transformer l'ensemble de l'humanité et de la création
dans la perspective du Royaume. C'est pourquoi
Tournons-nous
vers Dieu, et en lui, tournons-nous vers les êtres humains, nos
semblables
73. Nous
sommes tous devenus proches les uns des autres dans le "village planétaire",
noirs et blancs, riches et pauvres, chrétiens, musulmans, bouddhistes,
fidèles d'autres religions ou athées. Déchirés
par nos divergences et nos tensions, nous ne savons pas encore vivre ensemble
dans un monde où nous n'avons pourtant que le choix de vivre en
une seule communauté.
Tournons-nous
vers Dieu et en lui, tournons-nous vers sa
création
74. Nous
vivons au sein d'une création fragile qui va rapidement vers un
destin inconnu. De graves menaces pèsent sur l'écosystème
mondial ; la population du monde est menacée de dégénérescence
morale, de décadence spirituelle et d'anéantissement physique.
Des statistiques alarmantes font état de l'ampleur actuelle de la
pauvreté et de la faim, de la destruction de l'environnement et
de la violence. L'Assemblée d'Evanston déclarait que l'homme
est devenu "ennemi de soi-même. Il cherche la justice, et
l'oppression règne. Il veut la paix, et la guerre se déchaîne.
Le pouvoir même qu'il acquiert sur la nature menace de le
détruire." 14
Tournons-nous
vers Dieu, et en lui, tournons-nous vers
nous-mêmes
75. Nous
ne pouvons transformer le monde que si nous sommes nous-mêmes transformés.
Quelle Eglise voulons-nous pour le 21ème siècle ? Une Eglise
confinée dans les limites des Etats-nations ou des groupes ethniques
et préoccupée seulement de se perpétuer elle-même,
ou une Eglise missionnaire ouverte au monde et prête à affronter
ses défis ? L'avenir du mouvement oecuménique sera déterminé
dans une large mesure par nos perceptions et nos convictions ecclésiologiques.
Il ne saurait survivre sans une vision que sous-tend une conception globale
de l'Eglise, de l'humanité et du monde.
Enfin, tournons-nous vers Dieu qui
s'est
révélé
en Jésus Christ.
76. Il
est la source de notre être et de notre existence, de notre espérance
et de notre joie. Nous croyons en un Dieu qui, le premier, s'est tourné
vers l'humanité en la personne du Christ et qui nous invite à
nous tourner vers lui. Il se tourne toujours vers nous dans sa grâce,
même si nous ne sommes pas prêts à nous tourner vers
lui dans la foi et la repentance. Il est demeuré fidèle à
son Alliance (Genèse 9,11 ; Deutéronome 4, 25-31). La question
qui nous est adressée au cours de cette Assemblée est la
suivante : Sommes-nous fidèle à l'Alliance que Dieu a conclue
avec nous ?
dessein de Dieu pour le monde.
A la Nouvelle Delhi (1961), nous avons confessé le Christ,
lumière du monde
A Upsal (1968), nous avons entendu l'appel du Christ : "Voici,
je fais toutes choses nouvelles"
(Apocalypse 21,5)
A Nairobi (1975), nous avons affirmé, face à l'oppression
et aux divisions du monde,
que Jésus Christ est source de
libération et de réconciliation.
A Vancouver (1983) nous avons célébré le Christ,
vie du monde, de ce monde où règnent
le mal et la
mort.
A Canberra (1991), nous avons prié l'Esprit Saint : renouvelle
toute la création.
Et maintenant, à Harare, nous nous tournons vers Dieu dans
la joie de l'espérance."Nous
sommes décidés à demeurer ensemble,
Il n'y
a pas de croissance possible sans risques. Pourtant, nous devons croître
ensemble de manière responsable, en nous interrogeant et en nous
respectant les uns les autres. C'est à cela que Dieu nous appelle.
Telle est la tâche sacrée qui est devant nous. Je souhaite
profondément que nos prières et nos méditations, nos
réflexions et nos décisions de ces prochains jours soient
affermies ennrichies et guidées par cette vision et cet engagement.
Avec cette espérance au coeur, "Tournons-nous
vers Dieu dans la joie de l'espérance".
Ni
l'absence de progrès, ni les revers,
Ni
les échecs, ni les incertitudes,
ni
la peur, ni les menaces n'entameront notre volonté de continuer
à marcher ensemble vers l'unité,
accueillant
ceux qui souhaitent nous rejoindre en chemin,
élargissant
notre vision commune,
découvrant
des façons nouvelles de témoigner et d'agir ensemble dans
la foi."
Novembre
1998
Antelias
- Liban
1.
L'Espérance Chrétienne dans le monde d'aujourd'hui, message
et rapports de la Deuxième Assemblée du Conseil Oecuménique
des Eglises, Evanston 1954, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel
et Paris, 1955, p.7
2.
The Nature and Purpose of the Church: A Stage on the Way to a Common
Statement, Faith and Order Paper No 181, à paraître, §52,
p. 25
3.
Thomas F. Best and Martin Robra, editors, Costly Commitment in Ecclesiology
and Ethics: Ecumenical, Ethical Engagement, Moral Formation and the Nature
of the Church, WCC Publications, Geneva, 1997, §17, p.
28
4.
Lettres Vivantes : Un compte-rendu des visites aux Eglises à l'occasion
de la Décennie oecuménique des Eglises solidaires des femmes,
WCC Publications, Genève, 1998
5.
Cf, Nairobi 1975, 1 Doc France, l'Harmattan, Paris, 1976, p.
436s.
6.
Building a Just and Moral Economy for Sustainable Communities: Statement
to the High-Level Segment of the 5th Session of the UN-Commission on Sustainable
development, by the Commission of the Churches on International Affairs
of the World Council of Churches, April 10, 1997, New York, pp.
1-2.
7.
La Première Assemblée du Conseil Oecuménique des Eglises;
Amsterdam 1948, Rapport officiel, ed. W.A. Visser't Hooft, Delachaux et
Niestlé, Neuchâtel-Paris, 1948, p. 113
8.
L'Heure est venue : Rassemblement mondial sur la justice, la paix et
la sauvegarde de la Création, Séoul, 1990, Publications
COE, Genève 1990, p. 29.
9.
Amsterdam 1948, p. 7
10.
Ibid., p. 33-34.
11.
Ibid., p. 73.
12.
Préambule de la Déclaration universelle des Droits de
l'homme.
13.
Amsterdam 1948, p. 39.
14.
Evanston 1954, p. 7.
Table des matières
Huitième Assemblée et Cinquantenaire