Conseil oecuménique des Eglises COMITÉ CENTRAL Potsdam, Allemagne 29 janvier - 6 février 2001 |
Document No. GS 2 |
Approuvé
1. Une fois encore, je m’associe au président pour vous souhaiter la bienvenue. C'est pour moi un plaisir tout particulier de vous accueillir aujourd'hui dans mon pays et à Berlin, sa capitale réunifiée. Si, pour des raisons pratiques, notre session se tient à Potsdam, nous sommes tous conscients que son cadre est marqué par le rôle particulier qui est celui de Berlin pour l'Allemagne et pour l'ensemble de l'Europe. Lorsque nous nous sommes réunis à Genève, il y a seize mois, l'invitation à tenir la session du Comité central à Berlin a été formulée par l'évêque Huber, de l'Eglise régionale de Berlin-Brandebourg. A la suite de discussions approfondies et de la décision du Conseil de l'Eglise évangélique d'Allemagne d'appuyer cette invitation par une contribution financière, le Comité exécutif a accepté avec reconnaissance la proposition de nous réunir en ces lieux.
2. Depuis, un grand travail a été accompli à Potsdam et à Berlin, ainsi qu'à Genève, pour préparer la présente session. Nous sommes très reconnaissants à nos hôtes de leur généreux accueil. La réunion du Comité central suscite un intérêt considérable à Berlin, à Potsdam et dans les environs, comme vous avez pu le constater lors du culte d'ouverture d'hier, préparé et animé par des représentants de l'organisme oecuménique national, ainsi qu'à l'occasion de la réception qui l'a suivi. Dans les jours à venir, nos cultes du matin seront animés par des membres des Eglises chrétiennes de Berlin et des environs, qui constituent le Conseil oecuménique de Berlin-Brandebourg. Vous aurez maintes occasions de rencontrer des représentants des milieux ecclésiastiques et politiques allemands. Nous espérons que ces rencontres vous permettront de vous faire une idée de la vie de ce pays, dix ans après sa réunification, et des activités des Eglises allemandes.
3. Dans ce rapport, je vais d’abord m'arrêter sur le contexte dans lequel se déroule notre session, et vous inviter à réfléchir au sens de notre présence dans la capitale réunifiée de l'Allemagne, qui n'est plus le symbole de la division de l'Europe mais de la réconciliation qui est en train de s'y opérer. Cela nous permettra d'examiner la période de la "guerre froide" sous un angle nouveau et peut nous inspirer quelques réflexions sur la lutte contre la violence. Je me pencherai ensuite sur la vie du COE depuis notre réunion de 1999. Enfin, je conclurai par une réflexion sur l'identité ecclésiale des organismes oecuméniques conciliaires, fondée sur le chapitre Etre l'Eglise qui figure dans le rapport préparé par le Comité du programme à l'occasion de notre dernière réunion.
I. Le contexte
4. Ce n'est bien sûr pas la première fois que le Comité central du COE se réunit en Allemagne, mais pour beaucoup d'entre vous, et sans doute pour la majorité, ce séjour en Allemagne et à Berlin est une première. Le rappel des trois premières réunions du Comité central en Allemagne vous aidera peut-être à mieux situer le contexte de notre session, si intimement lié - et à tant d’égards - à la vie du COE au cours des décennies écoulées.
5. Depuis l'Assemblée de 1948 à Amsterdam, qui a vu la fondation du COE, l'histoire oecuménique des 40 années qui ont suivi a été profondément marquée par l’affrontement idéologique et militaire des blocs pendant la guerre froide, affrontement symbolisé par le "rideau de fer", érigé en plein coeur de l'Allemagne. Nulle part ailleurs, cette histoire n'a été vécue et reflétée avec autant d'intensité que dans la ville divisée de Berlin. Pendant des décennies, les Eglises allemandes de l'Est et de l'Ouest ont été les seules institutions à jeter un pont par dessus ce fossé, et leurs relations n'ont pas cessé avec la construction du mur de Berlin en 1961. Les liens du COE avec les Eglises des deux Etats allemands ont servi de pierre de touche au mouvement oecuménique dans sa détermination à surmonter l'esprit d'affrontement qui caractérisait la guerre froide, et à bâtir des ponts entre les deux camps.
6. Les sessions antérieures du Comité central en Allemagne ont donc été marquées par les tensions et les ambiguïtés liées à la situation de ce pays. En 1974, le Comité central s'est réuni pour la première fois à Berlin (Ouest). Tel était en effet le nom officiel de la partie occidentale de cette ville coupée en deux, dont le statut faisait l'objet de nombreuses dissensions entre les quatre puissances qui, aux termes du droit international, détenaient l'autorité suprême sur elle. La venue du Comité central à Berlin exigea de délicates négociations et fut un véritable casse-tête pour le Gouvernement de la RDA (République démocratique allemande). La réalité politique de l'Allemagne divisée se reflète dans le fait qu'au début de cette même année 1974, le Comité exécutif du COE se réunit à Bad Saarow, à l'est de Berlin, invité par la Fédération des Eglises évangéliques de la RDA. L'évaluation récente des archives de l'ex-RDA a montré à quel point les réunions de Berlin et de Bad Saarow firent l'objet d'une surveillance attentive, tandis qu'aucun effort n'était épargné pour exercer une influence politique. On ne retrouve, bien sûr, rien de tout cela dans le procès-verbal du Comité central, qui accorde une large place aux efforts faits pour déplacer la Cinquième Assemblée de Djakarta à Nairobi. Dans une autre perspective, la réunion de Berlin restera celle où, après avoir examiné le Programme de lutte contre le racisme – objet de controverses au sein des Eglises des deux Etats allemands et entre elles –, on a décidé de le poursuivre.
7. Sept ans plus tard, le Comité central siégeait de nouveau en Allemagne, cette fois-ci à Dresde, à l'invitation de la Fédération des Eglises évangéliques de la RDA. Après la session de Galyatetö (Hongrie) en 1956, c'était la seconde fois seulement que le Comité central se réunissait dans un pays de l'Europe de l’Est sous un régime communiste. Le procès-verbal de cette session, avec les messages des représentants des Eglises et du Gouvernement de la RDA et les rapports du président et du secrétaire général, donne un reflet de l'aspect exceptionnel de cette rencontre. C'est seulement entre les lignes, et notamment dans la déclaration sur les questions d'actualité intitulée "Les tâches des Eglises face à l'aggravation des menaces qui pèsent sur la paix"1 que le procès-verbal laisse deviner l'intensité du débat entre les Eglises de ce pays sur leur responsabilité à l'égard de la paix et notamment sur la possibilité de remplacer le service militaire par un service social en faveur de la paix. Les débats de Dresde furent, entre autres choses, à l'origine du processus conciliaire "Justice, paix et sauvegarde de la création", lancé par l'Assemblée de Vancouver. Pour d'autres, le Comité central de Dresde est lié au souvenir de la discussion du rapport et des recommandations du Colloque de Sheffield sur la communauté des femmes et des hommes dans l'Eglise, qui avait eu lieu peu de temps auparavant.
8. Après un nouvel intervalle de sept ans, le Comité central se réunit une fois encore en Allemagne, cette fois-ci à Hanovre, en République fédérale d'Allemagne, ville qui abrite les bureaux de l'Eglise évangélique d'Allemagne. Contrairement à ce qui s'était passé lors des deux réunions précédentes, la situation particulière de l'Allemagne divisée ne tint pas une grande place dans les débats. Toutefois, lors de cette session, qui vit la célébration du 40e anniversaire de l'Assemblée d'Amsterdam et qui consacra beaucoup de temps à l'examen du thème et du programme de la Septième Assemblée, on put noter les premiers signes des changements qui allaient intervenir en Europe. Dans la "Déclaration sur l'évolution nouvelle des relations internationales"2 , le Comité central constate avec satisfaction "que commence à s'instaurer, semble-t-il, un nouveau climat international que les Eglises appellent depuis longtemps de leurs prières et vers lequel tendent leurs efforts. Bien qu'il ne faille pas s'abandonner à un optimisme excessif, les signes d'amélioration sont encourageants."3 Le Comité central estimait notamment qu'il convenait "d'accorder une attention particulière à l'étude et à l'examen des signes de changement qui se manifestent dans les sociétés marxistes, en particulier dans les domaines politiques et économiques, ainsi que des nouvelles approches possibles des questions idéologiques et philosophiques. Cette évolution a de profondes répercussions sur la vie et le témoignage des Eglises dans ces sociétés et sur la communauté oecuménique."4 Dans les discussions, on se référa notamment aux changements en cours en URSS, tandis que les opinions divergeaient sur l'attitude à adopter face à la situation en Roumanie.
9. Nous voici réunis aujourd'hui en Allemagne pour la quatrième fois. Les douze années écoulées depuis la session de Hanovre ont vu s'opérer en Europe et dans le monde des changements radicaux, particulièrement apparents ici, à Berlin. Le mur qui coupa la ville en deux pendant 28 ans a disparu. L'Allemagne est unifiée et l'Europe est en train de surmonter rapidement ses divisions en appliquant la Charte pour l'Europe, signée à Paris en 1991, qui marqua définitivement la fin de la guerre froide. Les signes d'espérance manifestés en 1988 sont devenus une réalité nouvelle et dynamique, qui lance aux Eglises des interpellations inédites et parfois difficiles. En nous penchant sur la nouvelle situation européenne, nous ne devons pas oublier que la Corée et Chypre continuent d’être divisées et que le conflit au sujet de Jérusalem est loin d'être résolu. Ces préoccupations figuraient déjà à l'ordre du jour de notre première réunion de Berlin en 1974 et n'ont cessé de retenir l'attention des Eglises depuis cette date.
10. La division de l'Allemagne et de l'Europe à la suite de la Deuxième Guerre mondiale n'a pas seulement érigé une frontière idéologique, elle a aussi amputé la mémoire historique des populations touchées et la guerre froide a transformé cette séparation en hostilité ouverte. Depuis 1990, l'Allemagne et l'Europe en général sont mises en demeure de se réconcilier avec les éléments de leur histoire et de leur identité qu’elles ont refoulés ou qui leur sont étrangers. Pour l'Allemagne, Potsdam et le Berlin réunifié incarnent des moments importants de son histoire nationale, qu'elle doit se réapproprier. Potsdam, résidence des rois de Prusse, évoque à la fois la discipline militaire et la tolérance, manifestée par la création des quartiers français, bohémien, néerlandais et russe dès le 18e siècle. Berlin, capitale du nouvel Empire allemand depuis 1871, est le symbole des éléments les plus créateurs et les plus destructeurs de l'histoire allemande moderne. Le dimanche 4 février, nous serons invités, dans le cadre du lancement de la Décennie "vaincre la violence", à effectuer un bref pèlerinage commémoratif, destiné à nous faire prendre conscience du défi commun lancé à tous les Européens d'aujourd'hui: rassembler les fragments de notre histoire.
11. Aujourd'hui, Berlin est redevenu la capitale de l'Allemagne et, depuis l'année dernière, le siège du gouvernement. La transition s'est effectuée sans grand problème et le processus d'unification du pays est achevé, au moins sur le plan politique. Mais l'éloignement qui s’est opéré entre les mentalités et les identités pendant 40 ans n'est pas facile à abolir. C'est là une tâche qui s'impose à l'Europe tout entière. Berlin est plus proche de la Pologne et de la République tchèque que de la France ou du Royaume-Uni. C'est pourquoi le choix de Potsdam et de Berlin est particulièrement approprié pour cette session du Comité central, où l'on se propose de mettre l'accent sur l'Europe. Le Comité exécutif a suggéré le thème "réconciliation, vérité et justice" pour cet échange et cette réflexion où l’on s'efforcera de mettre en lumière les expériences historiques et les réactions actuelles des chrétiens d'Europe. Nous entendrons des témoignages sur la manière dont les chrétiens et les Eglises font face à l'héritage du nazisme et du fascisme, aux fractures des mémoires collectives et à la recherche de la vérité dans les sociétés postcommunistes, sur la manière dont ils luttent contre le racisme et la discrimination, font face aux situations actuelles de violence, et abordent la guérison et la réconciliation. Les questions communes à tous ces échanges seront les suivantes: Quand la recherche de la vérité fait-elle obstacle à la réconciliation? D'où proviennent les mémoires collectives, les expériences ou les témoignages écrits qui définissent l'histoire que nous racontons à notre sujet et au sujet des autres? Comment la foi chrétienne modifie-t-elle notre conception de la justice? Cette dernière doit-elle viser à punir ou à restaurer? Comment les Eglises peuvent-elles apprendre à ne plus faire partie des problèmes mais à devenir des éléments de solution? Ces questions préoccupent également les Eglises d'Afrique du Sud, d'Argentine, du Chili, du Guatemala et du Salvador. Les expériences qu’elles font dans le cadre des "commissions de la vérité" peuvent être aussi utiles à l'Europe dans ses efforts pour surmonter les séquelles de la guerre froide.
12. Il y a peu d'endroits en Europe où ces séquelles soient aussi présentes qu'à Berlin. C'est pourquoi, en ces lieux, la recherche de la vérité et les efforts faits pour réconcilier les mémoires collectives sont loin d’être un simple exercice intellectuel : ils sont une nécessité vitale pour asseoir la vie en communauté sur des bases durables. Cet effort doit être accompli par la société tout entière certes, mais tout spécialement par les Eglises, qui doivent examiner le rôle qu’elles ont joué pendant la guerre froide. Pris par les tâches urgentes imposées par les bouleversements politiques, économiques et structurels qui ont suivi la fin des régimes communistes en Europe centrale et orientale, nous n'avons guère eu le temps d'accorder l'attention qu'elles auraient méritée aux expériences et aux diverses formes de témoignage chrétien vécues dans l’Europe divisée. Non seulement en Allemagne mais sur tout le continent, les perspectives et les expériences occidentales semblent être devenues la norme, et l'on constate peu d'empressement à considérer l'Europe et le rôle des Eglises dans l'optique des régions du centre et de l'Est du continent. Il est vrai que les Eglises de ces pays ont recouvré leur liberté, mais force leur est de constater à quel point la sécularisation a progressé sous le régime communiste. Comment doivent-elles définir leur position lors des négociations avec les gouvernements concernant les garanties juridiques et constitutionnelles de la liberté religieuse, l'éducation chrétienne dans les écoles, la restitution des biens ecclésiastiques, etc.? Dans la diaspora idéologique où elles vivaient, les Eglises ont dû apprendre à se passer de privilèges. Quelle est actuellement la valeur de cette expérience? Elles ont dû s'accommoder des réalités du socialisme étatique et de ses systèmes de contrôle omniprésents, sans oser espérer qu'un changement s'accomplirait. Que peuvent-elles nous enseigner sur la manière de défendre l'intégrité d'une Eglise dans un milieu hostile?
13. Et quel a été le rôle des organisations oecuméniques durant la longue période de la guerre froide? Etant donné le climat d'affrontement idéologique et l'isolement dans lequel s'était retranchée la partie communiste de l'Europe, l'établissement de relations oecuméniques était devenu une question de vie ou de mort pour bien des Eglises d'Europe centrale et orientale. Le prix payé pour établir et maintenir de telles relations par l'intermédiaire du Conseil oecuménique, de la Conférence des Eglises européennes et de la Conférence chrétienne pour la paix a-t-il été trop élevé? Les voix de ceux qui étaient devenus des "dissidents" dans leurs Eglises et leurs sociétés auraient-elles dû être entendues, reconnues et encouragées plus clairement?
14. Il ne faut pas s'étonner que ces questions se posent de manière particulièrement pressante ici, en Allemagne, et qu'elles soient adressées aussi au COE. Cela est dû en partie aux circonstances particulières qui ont largement ouvert les archives officielles de l'ex-RDA aux recherches historiques. L'an dernier, on a publié en Allemagne une étude volumineuse consacrée au Conseil oecuménique, aux Eglises américaines et à la Conférence chrétienne pour la paix pendant la guerre froide. Son analyse très critique des orientations et des initiatives du COE a suscité les réactions circonstanciées de responsables d'Eglises engagés de l'Est et de l'Ouest, et notamment une réponse approfondie de l'évêque Heinz Joachim Held, ancien président du Comité central. Au coeur de cette analyse figure l'attitude des organisations oecuméniques face aux violations des droits de l'homme, et notamment de la liberté religieuse, commises dans les pays d'Europe centrale et orientale. Il s'agit là d'une optique légitime, que l’on retrouve également dans le dialogue avec d'anciens dissidents, comme les membres de la Charte 77 en République tchèque. Cependant, on peut aussi examiner cette période de l'histoire de l'Eglise et de la société européennes sous d’autres angles. On pourrait se demander par exemple dans quelle mesure les Eglises, grâce à leur témoignage en faveur de la paix et de la justice, ont contribué à la révolution non violente qui a eu lieu en Europe centrale et orientale. Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette expérience pour l'engagement du mouvement oecuménique à vaincre la violence? Il est devenu évident que, pour l'Europe comme pour le mouvement oecuménique, la relecture de cette période cruciale de l'histoire constitue une étape essentielle du processus actuel de réconciliation des mémoires collectives et d'élimination des divisions sur le continent. Le COE et la Conférence des Eglises européennes participent à ces efforts. Nous espérons que cette session du Comité central ouvrira de nouvelles perspectives et fera ressortir l'importance de cette démarche pour tout le mouvement oecuménique mondial.
15. Mais le problème de la réconciliation, de la vérité et de la justice et le devoir de réconcilier les mémoires collectives ne concernent pas seulement l'Europe et son passé troublé. Ils touchent également la manière dont nous réagissons aux tensions et aux antagonismes qui se manifestent dans l'Europe d’aujourd’hui. Les changements qui ont affecté l'Europe après 1990 ont fréquemment pris un tour violent; il suffit de penser aux conséquences de la dissolution de l'Union soviétique dans la région du Caucase ou aux guerres qui ont opposé les différentes communautés ethniques et religieuses de l'ex-Yougoslavie. Face à ces événements, les Eglises se sont trouvées entraînées dans de graves affrontements qui reproduisaient parfois les antagonismes de la guerre froide. De nouvelles manifestations de racisme, d'antisémitisme et de xénophobie agressive se font jour dans de nombreux pays d'Europe, à l'Ouest comme à l'Est. Nous sommes toujours en présence de cette mentalité exclusive, défensive et agressive qui diabolise l’autre et réagit par l'intolérance à tout ce qui semble étranger ou hors norme, alors que nous vivons dans une société de plus en plus pluraliste et culturellement diverse. Au cours de la présente session, plusieurs réunions padare vont évoquer ces nouvelles situations de conflit en Allemagne et en Europe et définir la manière dont les Eglises doivent réagir. Cela nous offrira l'occasion de faire le lien avec les situations de conflit racial, ethnique ou national auxquelles on assiste dans d'autres régions.
16. Suite à ces remarques sur le contexte de notre réunion, on comprendra que les défis qui se posent au témoignage chrétien en Europe concernent aussi l'ensemble du mouvement oecuménique. C'est pourquoi il est opportun que ce soit dans ce contexte qu'ait lieu le lancement de la Décennie oecuménique "vaincre la violence". Les synodes de l'Eglise évangélique de Berlin-Brandebourg et de l'Eglise évangélique d'Allemagne, ainsi que le Conseil des Eglises chrétiennes d'Allemagne ont accueilli favorablement cette Décennie et pris des mesures pour la soutenir. L'évêque Huber, dans une lettre pastorale évoquant cette session du Comité central, souligne que le lancement de la Décennie aura lieu le jour même où Dietrich Bonhoeffer aurait célébré son 95e anniversaire. Bonhoeffer n'est pas seulement lié étroitement à Berlin et au contexte de cette réunion, il est aussi considéré comme un véritable prophète oecuménique de paix et de réconciliation, de vérité et de justice. Dans l'esprit de Bonhoeffer, comme l'écrit l'évêque Huber, "nous sommes appelés une fois encore, dans cette ville et dans ce pays, bien que ce soit dans des conditions différentes, à arrêter le bras de ceux qui commettent des violences, à nous opposer à tout mépris de la dignité humaine et à toute brutalité organisée et à défendre tous ceux qui vivent sous la menace de la violence. La Décennie soutiendra nos efforts pour vaincre la violence, comme elle viendra en aide à tous ceux qui, dans le monde entier, vivent quotidiennement des situations de conflit."
II. Vie et activités récentes du COE
17. Plus de deux ans se sont écoulés depuis l'Assemblée de Harare. En 1999, l'ordre du jour du Comité central nouvellement constitué comportait l'évaluation de l'Assemblée et la définition des grandes lignes du programme pour les sept années à venir. Sur la recommandation du Comité du programme, le Comité central a décidé de grouper les activités du Conseil autour de quatre grands thèmes: (1) être l'Eglise; (2) servir la vie; (3) accomplir un ministère de réconciliation; (4) rendre un témoignage et un service communs dans le contexte de la mondialisation. Le Comité central de 1999 a également nommé les membres des commissions et des groupes consultatifs chargés des divers domaines d'activités et a pris note des principaux éléments d'un plan triennal allant jusqu'au Comité central de 2002. Entre-temps, toutes les commissions et tous les groupes consultatifs ont tenu leur première réunion et ont examiné et affiné les plans d'activités proposés. Ceux-ci ont été intégrés dans un document général intitulé « From Vision to Action », qui a servi de base de négociations avec les partenaires de financement et de cadre de référence pour lancer et suivre les activités des équipes et des groupes.
18. Pour préparer la présente session, vous avez reçu le "Rapport du Bureau du Comité central" (doc. GS 1.1), qui résume les principales décisions prises par le Comité exécutif lors de ses deux réunions de mars et de septembre 2000, ainsi que par le Bureau en décembre 1999 et en juin et novembre 2000. Les rapports d'activité détaillés ont été soumis au Comité du programme, qui s'est réuni pendant les trois jours précédant notre session et qui vous présentera un rapport préliminaire demain après-midi. Les documents préparatoires comprennent également un Rapport explicatif sur les finances (doc. FSA 1) et un Rapport préliminaire sur les questions d'actualité (doc. PI 1). Partant de l'idée que vous êtes au courant des principaux événements de la vie du COE au cours des seize derniers mois, tels qu'ils sont évoqués dans les rapports susmentionnés, je me bornerai à souligner quelques éléments dignes de retenir votre attention.
19. Pour commencer, permettez-moi de revenir sur l'évaluation de l'Assemblée. Le Comité central de 1999 a décidé de demander "au secrétaire général de lancer un processus de réflexion sur la nature et le but de l'Assemblée, en s'appuyant sur les résultats issus de la démarche 'CVC' et de l'Assemblée de Harare, et de soumettre un rapport à ce sujet du Comité central en 2001".5 Ce processus de réflexion devait s'étendre à de larges milieux, et notamment aux délégués de l'Assemblée ne faisant pas partie du présent Comité central. Un certain nombre de préoccupations plus urgentes nous ont empêchés de lancer une réflexion de cette ampleur. Par ailleurs, les discussions au sein du Groupe de direction du personnel ont débouché sur la conclusion que la réflexion devait aller au-delà d'un simple examen du processus, de la forme et du style de travail des assemblées pour porter sur l'ensemble des structures dirigeantes du COE, à la lumière de l'accent mis par la démarche "CVC" sur le COE en tant que "communauté fraternelle d'Eglises". Jusqu'à présent, on n'a guère accordé d'attention aux conséquences de la démarche "CVC" pour le cadre constitutionnel et les structures dirigeantes du COE, qui, pour l'essentiel, n'ont pas changé depuis les débuts du Conseil oecuménique.
20. La nécessité d'un tel réexamen a été confirmée par les travaux de la Commission spéciale et les échanges avec des organismes oecuméniques partenaires, notamment les organisations oecuméniques régionales et les communions chrétiennes mondiales. Sur la base des considérations issues de ces divers milieux, on a rédigé un document de discussion intitulé "Considérations relatives aux structures dirigeantes du COE" qui a d'abord été soumis au Bureau et, après révision, au Comité exécutif. Avec les commentaires et avis formulés par ce dernier, la question sera reprise par le Comité d'examen III, qui formulera, au cours de cette session, des recommandations sur la manière de poursuivre cette réflexion. La principale question qui ressort de l'analyse critique des structures dirigeantes du COE concerne le poids accordé à la "fonction législative" qui doit destinée maintenir le COE dans sa dimension institutionnelle. Le document « CVC », en revanche, souhaitait une forme de "gouvernement" qui donne la priorité "à la réflexion et à la délibération sur les grands problèmes auxquels les Eglises ont à faire face dans le monde"6 et qui encouragerait les Eglises membres et leurs responsables "à faire un travail oecuménique dans leur situation locale, au lieu de perpétuer l'impression que le COE et le mouvement oecuménique sont quelque chose à part et se situent hors des Eglises "7 . En fait, l'affirmation que le COE est "une communauté fraternelle d'Eglises » est vide de sens tant qu'elle n'est pas étayée par une véritable pratique de relations fraternelles entre les Eglises membres "en chaque lieu". Les conséquences du document "CVC" pour les structures dirigeantes du COE doivent encore être définies, et j'espère que le présent Comité central donnera les conseils requis sur la manière d'accomplir cette tâche.
21. En plus de définir le COE comme une "communauté fraternelle d'Eglises", le document "CVC" souligne que la tâche du Conseil est de "maintenir la cohérence du seul mouvement oecuménique dans ses diverses manifestations".8 C'est pourquoi le dernier chapitre de ce document est consacré aux "relations avec les partenaires du mouvement oecuménique, les Eglises non membres du COE et d’autres organisations". Depuis la dernière session du Comité central, une activité très intense s'est déroulée dans ce domaine. Des rapports détaillés seront présentés au Comité d'examen I sur les sujets suivants: les activités du Groupe mixte de travail avec l'Eglise catholique romaine, qui a tenu sa première réunion postérieure à l'Assemblée à Antelias en mai 2000, consacrée notamment à "la nature du dialogue oecuménique"; la première réunion du nouveau Groupe consultatif mixte avec la communauté pentecôtiste mondiale; le groupe de liaison avec la FLM (et l'ARM); les progrès réalisés dans l'examen de la proposition de créer un "Forum d'Eglises et d'organisations oecuméniques chrétiennes (cf. doc. REL 2); la Commission spéciale (cf. doc. GS 4). Je reviendrai sur le rapport intérimaire de la Commission spéciale.
22. Dans ce contexte, je tiens cependant à mentionner une initiative qui pourrait ouvrir la voie à une nouvelle forme de relations et de collaboration avec les partenaires oecuméniques; il s'agit de la création, en décembre 2000, de l'Alliance oecuménique "agir ensemble". Cette Alliance, coordonnée par le COE, rassemble dans une structure de coopération unique les organisations et communautés oecuméniques régionales, les agences des Eglises, notamment du Nord, les réseaux spécialisés du Sud, les communions chrétiennes mondiales, ainsi que des organisations internationales oecuméniques et catholiques romaines. Elle est conçue comme "un instrument souple et ouvert, qui permet à ses organisations membres, issues de la grande famille oecuménique, de faire porter leurs efforts concertés sur les priorités perçues comme communes à notre témoignage et à nos activités" (communiqué final). La réunion de fondation a retenu deux domaines prioritaires pour les prochaines années: (1) la justice économique mondiale, et notamment le commerce mondial; (2) l'éthique de la vie, et notamment la question du VIH/SIDA. Bien entendu, la défense des causes de paix et de justice et l'action prophétique ont toujours fait partie des objectifs et des activités du COE et des autres partenaires de l'Alliance. Ce qui est nouveau, c'est la volonté de parler d’une voix plus prophétique et de renforcer la portée du témoignage oecuménique sur les grandes questions sociales, politiques et économiques de notre temps en mettant en commun les ressources et l’expérience des institutions partenaires du mouvement oecuménique.
23. A bien des égards, cette Alliance est une réaction à la nouvelle situation créée par la mondialisation. Face aux structures et aux processus de décision mondiaux, les partenaires oecuméniques doivent franchir les limites de leurs champs et de leurs modes d'action traditionnels et s'efforcer de créer un cadre de collaboration et de soutien mutuel efficace. L'Alliance s’efforce d’être un espace oecuménique ouvert auquel tous les partenaires du mouvement oecuménique peuvent participer sur un pied d’égalité. Elle se démarque de la logique institutionnelle qui régit la plupart des organisations oecuméniques fondées sur l'appartenance formelle d'Eglises ou de communautés, et cherche au contraire à encourager la participation volontaire, motivée par la volonté d'agir dans des domaines précis. L'Alliance pourrait ainsi offrir un nouveau modèle de coopération oecuménique et devenir une source d'inspiration et d'encouragement, montrant que le mouvement oecuménique est en mesure de formuler une solution de rechange à la mondialisation, solution fondée sur la solidarité et la coopération plutôt que sur la concurrence et la rivalité. Les efforts du COE pour affronter les problèmes de la mondialisation économique feront l'objet d'une réunion plénière spéciale qui se tiendra demain.
24. La fondation de l’Alliance n’est qu’une de ces nouvelles réponses oecuméniques qu’exige la mutation du monde. Deux autres exemples méritent une brève mention. En juin dernier, une session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies s’est tenue à Genève pour donner suite au Sommet mondial du développement de Copenhague, en 1995. Le COE a accompagné et suivi activement cette session en mobilisant une équipe oecuménique importante. Le rôle que peut jouer le COE au niveau mondial, aux côtés d’autres ONG et organisations internationales de la société civile est apparu en pleine lumière à l’occasion de notre Lettre ouverte au secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Cette lettre mettait en question son soutien inconditionnel au document « Un monde meilleur pour tous », qui se faisait l’écho des positions des institutions financières internationales et de leurs vues concernant le développement social. Depuis lors, le COE a été invité par divers organismes, dont le Fonds monétaire international et le Forum économique mondial, à prendre part aux discussions sur des questions éthiques et sur un ensemble de valeurs communes destinées à fournir une orientation pour le processus de mondialisation. Le Sommet du millénaire pour la paix des responsables et chefs religieux, constitue une initiative semblable. Il s’est tenu en août dernier au siège de l’ONU à New York, suite à une proposition du secrétaire général de l’organisation. Ce sommet n’a débouché sur aucune conclusion spécifique, si ce n’est une déclaration commune en faveur de la paix, mais il démontre, lui aussi, que le processus de la mondialisation soulève des interrogations nouvelles sur le rôle de la religion et des communautés religieuses dans la vie publique et sur les objectifs du dialogue interreligieux.
25. A côté du thème central du ministère de la réconciliation, du témoignage et du service dans le contexte de la mondialisation, le rapport du Comité du programme, en 1999, a proposé de placer l’ensemble des activités du Conseil sous le thème « Servir la vie ». Ce rapport recommande de « prêter une attention renouvelée aux dimensions spirituelles de ce thème, surtout dans la mesure où l’on touche aux problèmes éthiques liés à la biotechnologie, à la régulation des naissances, à l’avortement et à la sexualité humaine »9 . Il mentionne en particulier le chapitre sur « La sexualité humaine » du rapport du Comité d’orientation du programme de Harare. Dans ce chapitre, on suggérait qu’une étude oecuménique de cette question devrait établir un lien entre l’anthropologie chrétienne, l’herméneutique biblique, l’éthique et l’analyse culturelle. Pour donner suite à cette suggestion, une réflexion exploratoire sur la sexualité humaine a été entamée sous la direction d’un petit groupe d’orientation présidé par Mme Erlinda Senturias, ancienne directrice de la Commission médicale chrétienne. Il est apparu que toute étude oecuménique de cette question doit réunir les points de vue et les compétences de différents programme et équipes du COE : « Foi et constitution », qui met l’accent sur l’anthropologie chrétienne, « Justice, paix et création » ainsi que la Décennie « vaincre la violence », « Mission et évangélisation », dont l’une des préoccupations principales est le VIH/SIDA, « Education et formation oecuménique », de même que l’Institut oecuménique de Bossey qui a organisé une série de séminaires sur la sexualité humaine. Un groupe formé de membres du personnel de ces différents secteurs s’est constitué pour coordonner le travail. Le groupe d’orientation s’est réuni pour la première fois au mois de novembre de l’année dernière et a élaboré un plan de travail. Dans une première étape, il est prévu de réunir les déclarations officielles des Eglises, ainsi que leurs documents d’étude sur la question de la sexualité, et de les analyser. Ce plan prévoit en outre de préparer un petit guide d’étude et de faire un tour d’horizon sur la littérature théologique, sociale, scientifique et biomédicale concernant la sexualité humaine, afin d’établir des bibliographies commentées. Les membres du groupe d’orientation et les participants au séminaire de Bossey qui avait eu lieu à la veille de cette réunion étaient bien conscients que toute discussion de la sexualité humaine doit être abordée avec la plus grande prudence et beaucoup d’humilité. Espérons que le COE sera en mesure d’offrir un espace oecuménique où une qualité nouvelle de dialogue pourra se dérouler en toute sécurité.
III. Etre l’Eglise dans une communauté conciliaire
26. Vous avez sans doute remarqué que mon rapport s’articule autour des quatre grands sujets de préoccupation définis par le Comité du programme. Je vais maintenant regrouper la fin de ce rapport autour du thème « Etre l’Eglise ». Mon intention ici est d’attirer votre attention sur certains développements importants intervenus au sein de certaines Eglises membres et d’organismes oecuméniques partenaires, et d’examiner leur signification pour le COE. Je me réfère ici aux travaux de la Commission spéciale sur la participation des orthodoxes au COE, mais aussi à la déclaration intitulée «Les principes fondamentaux de l’attitude de l’Eglise orthodoxe russe à l’égard des autres confessions chrétiennes », adoptée le 14 août 2000 par le Concile du Jubilé des évêques, au document « Dominus Iesus » publié au Vatican le 5 septembre par la Congrégation pour la doctrine de la foi, ainsi qu’aux discussions qui se sont déroulées avec un grand nombre de nos partenaires oecuméniques et entre eux, aux échelons national ou régional, sur l’identité ecclésiale d’organismes conciliaires. A cet égard, je pense notamment aux débats qui ont eu lieu récemment, lors de l’assemblée générale du Conseil national des Eglises du Christ des Etats-Unis. Il m’apparaît que ces faits contribuent à renforcer la proposition faite par le Comité du programme, à savoir que le thème « Etre l’Eglise » constitue une question-clé pour la période à venir. Cette proposition, entre temps, a été retenue pour une étude intitulée « Nouvelles manières d’être l’Eglise : perspectives de femmes », et « Foi et constitution »en tient compte dans le révision de son projet de déclaration sur « La nature et le but de l’Eglise ».
27. En proposant de mettre en lumière cette question, le Comité du programme s’est inspiré du rapport du Comité d’orientation du programme de l’Assemblée de Harare, qui mentionnait, parmi les thèmes généraux autour desquels les travaux du COE devraient s’articuler, un « oecuménisme du coeur » et la recherche d’une « communauté sans exclusive »10 . Vous vous souvenez certainement que ce Comité terminait son rapport par un paragraphe intitulé « Cadre et accents des activités futures du Conseil », dans lequel on lit notamment :
28. Etre l’Eglise signifie être en relation. Cela est vrai de la vie de chaque Eglise locale et de leur vie ensemble. Pour être véritablement l’Eglise, elles ont besoin les unes des autres. Former une communauté fraternelle est un élément constitutif de l’être ecclésial. Cette affirmation, qui constitue le fondement de la communauté fraternelle des Eglises au sein du mouvement oecuménique, a été formulée dans la déclaration bien connue de la Nouvelle Delhi sur l’unité, où il est question d’une « communauté fraternelle pleinement engagée ». Depuis lors, elle s’est peu à peu développée dans une théologie de la koinonia (communion) et grâce à la redécouverte de la conciliarité, dimension fondamentale de l’ecclésialité. On en trouve une formulation longuement mûrie dans la déclaration de l’Assemblée de Canberra sur « L’unité de l’Eglise en tant que koinonia : don et vocation », qui affirme : « Le but de notre recherche d’une pleine communion sera atteint lorsque toutes les Eglises seront en mesure de reconnaître dans chacune des autres l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique dans sa plénitude. Cette plénitude de communion s’exprimera aux niveaux local et universel dans des formes de vie et d’action conciliaires. Dans une telle communion, les Eglises sont liées les unes aux autres dans tous les domaines de leur vie commune, à tous les niveaux, par la confession de la même foi, dans la célébration et le témoignage, dans les délibérations et l’action. »13
29. Toutefois, c’est précisément sur ce point que notre travail, au sein du COE et des autres organismes conciliaires, se voit confronté aux plus grandes interpellations. D’une part, nous avons les positions officielles de l’Eglise catholique romaine et de l’Eglise orthodoxe russe, la plus grande de nos Eglises membres orthodoxes, qui toutes deux considèrent que leur propre communion est l’Eglise une, catholique et apostolique telle qu’elle a été instituée par notre Seigneur et Sauveur. Toutes deux déclarent que, par fidélité à la tradition apostolique, elles ne peuvent pas reconnaître dans d’autres Eglises l’Eglise une, catholique et apostolique, bien qu’elles pensent que la restauration de l’unité de l’Eglise est un impératif donné par l’Evangile. Elles sont même prêtes à reconnaître qu’une certaine communion, incomplète, existe entre elles-mêmes et les communautés séparées qui, pour reprendre les termes du Concile des évêques de l’Eglise orthodoxe russe, représente « une promesse de retour à l’unité de l’Eglise, un retour à la plénitude et à l’unité catholiques ». D’autre part, nous avons la grande majorité des Eglises membres constituant chacune l’une des dénominations de la tradition protestante. Celles-ci n’éprouvent aucune difficulté à se reconnaître mutuellement en tant qu’Eglises, mais leur attachement à leur autonomie en tant que dénomination et/ou à leur intégrité confessionnelle est en tension avec l’affirmation de la catholicité de l’Eglise. Elles se sont ouvertes de manière croissante, il est vrai, à l’invitation à entrer en communion fraternelle avec d’autres Eglises, mais leur participation à cette communion n’affecte pas fondamentalement leur manière d’être l’Eglise.
30. Les organismes conciliaires oecuméniques, c’est-à-dire les conseils ou conférences d’Eglises tels que le COE, se situent entre ces deux pôles : l’ecclésiologie exigeante des catholiques et des orthodoxes d’une part et le pluralisme dénominationnel des Eglises protestantes de l’autre. Les conseils d’Eglises comme le COE reflètent dans leurs structures et leur fonctionnement le style des dénominations protestantes historiques. Cela signifie qu’en général, elles ont fonctionné comme des instruments de service et de coopération entre Eglises qui, aujourd’hui, se trouvent en concurrence avec des organisations non gouvernementales laïques. Celles-ci sont souvent en mesure de rendre des services plus efficaces et plus professionnels et recueillent par conséquent des fonds, parfois même en provenance de sources qui, autrefois, soutenaient les organismes oecuméniques. Le développement croissant des communautés évangéliques et pentecôtistes, qui s’adaptent plus facilement que les dénominations structurées à la dynamique concurrentielle de la société civile, a pour conséquence que l’engagement des membres des organismes oecuméniques se réduisent souvent à une coexistence pure et simple et ces Eglises consacrent leurs énergies à la consolidation de l’identité confessionnelle. Pour de nombreuses dénominations protestantes, le fait d’être membres d’un organisme conciliaire - et donc, en principe, en communion fraternelle les unes avec les autres - ne signifie malheureusement pas qu’elles « agissent ensemble dans tous les secteurs où de profondes différences de convictions ne les contraignent pas à agir séparément » (principe de Lund). Je pourrais étayer ces remarques, trop brèves, je le concède, par les rapports d’innombrables dialogues et échanges de vues avec les responsables de conseils d’Eglises et d’organisations oecuméniques régionales.
31. L’autre interpellation à laquelle l’oecuménisme conciliaire doit faire face provient des Eglises orthodoxes et catholique romaine. J’examinerai plus particulièrement dans ce contexte l’analyse critique que fait la Commission spéciale sur la participation des orthodoxes au COE des structures, du fonctionnement et du style du COE. Comme vous avez pu le voir dans le Rapport intérimaire de la Commission (doc. GS 4), celle-ci articule son analyse autour de cinq domaines de préoccupation : « questions relatives à la qualité de membre ; examen des mécanismes de prise de décisions ; célébration / prière commune ; questions ecclésiologiques ; mise au point de méthodes oecuméniques permettant d’aborder les questions sociales et éthiques » (par. 2.8). Je n’ai pas à résumer ici les points principaux de ce rapport intérimaire ; vous l’avez entre les mains. Evidemment, ces remarques sont une esquisse qui doit être développée. Mais on note en filigrane, dans les propositions de la Commission spéciale, et tout particulièrement dans le premier domaine de préoccupation, une interpellation fondamentale adressée au dénominationalisme protestant, à ses principes et à la manière dont ceux-ci se reflètent dans les structures du COE.
32. Le fait que le rapport intérimaire expose, dans un chapitre consacré à l’ecclésiologie, sa conception de ce que signifie être l’Eglise dans une communauté conciliaire, revêt une signification particulière. « L’adhésion à un conseil d’Eglises implique que l’on accepte de se rendre compte mutuellement de ce que signifie être l’Eglise et de formuler ce que l’on entend par l’unité visible de l’Eglise » (par. 6.1). Cette affirmation est alors considérée par rapport aux contradictions internes de l’oecuménisme conciliaire. La Commission adresse aux Eglises appartenant aux familles orthodoxes la question suivante : « Y a-t-il dans l’ecclésiologie orthodoxe une place pour d’autres ‘Eglises’? Comment définir cette place et ses limites ? » (par. 6.2) C’est là précisément le défi ecclésiologique que l’existence même du COE adresse à ses Eglises membres : la communion fraternelle des Eglises au sein de ce Conseil a-t-elle une signification au-delà de sa valeur pratique, qui est de favoriser la coopération ? Dans quel sens pouvons-nous continuer à parler d’une « communauté fraternelle d’Eglises » aussi longtemps que la qualité ecclésiale des communautés séparées demeure incertaine ? Par ailleurs, le même paragraphe interpelle les Eglises issues de la Réformation en leur posant cette question incisive: « Comment votre Eglise comprend-elle votre appartenance à l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique? » Même si la question ne se réfère pas explicitement à la conception que les Eglises protestantes ont d’elles-mêmes en tant que dénominations, c’est là tout le sens de la question : comment une conception authentique de la catholicité de l’Eglise peut-elle être maintenue dans le contexte des dénominations protestantes ? Il n’est pas étonnant que la Commission spéciale, conformément aux convictions orthodoxes, ne revendique aucune signification ecclésiale pour le COE ou tout autre conseil d’Eglises en tant qu’institutions. Mais il est tout aussi évident que les Eglises ne doivent pas attendre d’un conseil d’Eglises qu’il accomplisse ce que seules les Eglises peuvent faire, en communion les unes avec les autres. Etre l’Eglise dans une communauté conciliaire signifie que l’on accepte de placer l’engagement mutuel au centre de l’identité ecclésiale. Cette distinction entre le conseil en tant qu’organisation et les Eglises en communion les unes avec les autres est importante, et il sera nécessaire de la formuler plus pleinement, de manière plus délibérée (cf. par. 8.2).
33. Le Rapport intérimaire de la Commission spéciale confirme donc, à partir d’une perspective très différente, les conclusions qui se dégagent des dialogues menés avec les organismes oecuméniques régionaux et les conseils nationaux concernant l’évaluation critique de l’oecuménisme conciliaire au seuil du 21ème siècle. De part et d’autre, on demande avec insistance que soit clarifiée et renforcée la notion d’identité ecclésiale, s’agissant d’un organisme conciliaire, et de distinguer ainsi entre de tels organismes et la grande diversité des organisations non gouvernementales et autres organismes de la société civile. Les expériences de ce genre indiquent de manière cohérente que le niveau local constitue le contexte décisif dans lequel on peut Etre l’Eglise.
34. De nombreux organismes oecuméniques partenaires du COE sont actuellement engagés dans des débats difficiles pour décider s’il faut donner la priorité à l’approfondissement de liens communautaires existants, ou élargir l’espace des relations pour inclure des communautés qui, jusqu’ici, sont restées en-dehors du mouvement oecuménique institutionnel. D’un côté, on est convaincu que le sens de l’obligation et de la responsabilité mutuelles doit être renforcé au sein de la communauté oecuménique et que les membres des organismes oecuméniques doivent se reconnaître mutuellement en tant qu’Eglises. Par ailleurs, on est également convaincu que la communauté conciliaire ne doit pas devenir exclusive et qu’elle doit offrir un espace à tous ceux qui sont prêts à participer à la recherche de l’unité. La Commission spéciale n’examine pas directement cette tension, mais en lisant le chapitre final du rapport intitulé « La future forme du Conseil », on constate qu’elle ne semble pas considérer qu’un approfondissement et un élargissement de la communauté fraternelle s’excluent mutuellement. Au contraire, la Commission « a la vision d’un Conseil où les Eglises demeureront ensemble dans un espace oecuménique où la confiance puisse se construire, (et) où les Eglises puissent élaborer et mettre à l’épreuve leur lecture du monde, leurs pratiques sociales et leurs traditions liturgiques et doctrinales en présence les unes des autres, approfondissant la qualité de leur rencontre » (par. 8.4).
34. C’est autour de cette métaphore d’un espace oecuménique que cette vision se cristallise. Ce devrait être un espace sûr, permettant un débat ouvert où tous peuvent être entendus, où la recherche d’un consensus puisse se dérouler loin des pressions et de l’obligation de remporter un débat ou un vote. Ce devrait être un espace sacré ou spirituel, sans cesse reconstitué et protégé dans la prière et la célébration communes, où l’on reconnaît que la communauté fraternelle est fondée sur le don de communion que Dieu offre en Christ et qui nous parvient au travers d’un processus incessant de tradition et de réception. Ce devrait enfin être un espace durable, doté de structures de gouvernement ouvertes et souples, qui protègent l’intégrité de l’espace oecuménique, et d’une pratique d’éducation et de formation qui préparent continuellement de nouvelles générations de responsables. Si la Commission spéciale et, avec son aide, le Comité central et enfin les Eglises membres parviennent à formuler cette vision de manière plus complète, ils ne donneront pas seulement au Conseil oecuménique des Eglises une vitalité renouvelée, mais insuffleront une inspiration nouvelle aux efforts faits pour être l’Eglise au sein d’une communauté conciliaire.
Notes :
Le processus « Vers une conception et une vision communes du COE » appelle le Conseil oecuménique des Eglises à approfondir et à élargir résolument la communauté à laquelle nous avons part en tant qu’Eglises. Notre témoignage et notre service dans le monde, plus nécessaires aujourd’hui que jamais, dépendent de notre capacité à renforcer spirituellement l’engagement et la responsabilité qui nous lient. Comme nous l’avons promis à Harare, nous devons « construire ensemble ».
A cette fin, dans la période qui suivra la Huitième Assemblée et à l’aube du 21ème siècle, la communauté du COE doit engager directement chaque Eglise membre à se poser quatre questions qui touchent de manière essentielle aux objectifs du Conseil oecuménique des Eglises :
Notre Comité du programme, en commentant l’importance qu’il accorde au thème « Etre l’Eglise », se réfère explicitement à ces quatre questions et il ajoute : « Au vu des différences ecclésiologies qui existent au sein du COE, la recherche de l’unité de l’Eglise et la quête d’une unité plus visible demeurent au coeur de la vie du Conseil et doivent faire l’objet de discussions dans les Eglises membres de toutes les régions du monde. »12 Il mentionne ensuite la recherche d’une communauté sans exclusive et s’affirme convaincu que le COE doit encourager et favoriser « des espaces de dialogue sûrs ». Il souligne notamment le défi que constitue l’accent mis sur une communauté sans exclusive pour les Eglises divisées sur la question de l’identité raciale et/ou ethnique, et renvoie aux études entreprises à ce sujet par Foi et constitution. La fin du paragraphe souligne que le besoin d’une formation oecuménique permanente demeure.
Avant que nous nous réunissions à nouveau en Assemblée, il faudra examiner, dans une perspective oecuménique, la vie de chaque Eglise membre à la lumière de ces quatre questions. Mises ensemble, nos réponses édifieront notre vie commune et affermiront notre témoignage dans le monde. Aucune tâche n’est plus importante que celle-ci. Ces quatre préoccupations devraient servir de référence à toutes les activités du COE.11