N° 3 Chers frères et sœurs en Christ, L'Avent est un temps propice à la réflexion, au renouveau spirituel et à la gratitude. C'est pourquoi nous disons avec l'apôtre Paul: "Grâces soient rendues à Dieu pour son don ineffable" (2 Corinthiens 9,15). Il s'agit du don de Jésus Christ, source de plénitude pour toute la création. C'est le don de Dieu que nous proclamons. J'ai le plaisir de vous envoyer le troisième numéro de la Lettre oecuménique sur l'évangélisation. Bien des événements se sont passés depuis l'envoi de notre dernier numéro. L'été dernier, j'ai eu le privilège d'assister à Cuba à la troisième Rencontre des familles confessionnelles organisée par le Conseil des Eglises d'Amérique latine (http://www.clai.org.ec/). Au cours de cette rencontre, j'ai prononcé une allocution sur "Les défis de la mission évangélisatrice de l'Eglise dans la perspective œcuménique mondiale". J'ai aussi participé à l'Atelier sur les Eglises émergentes en Europe (Europe Emerging Churches Workshop) organisé en octobre dernier par le Conseil pour la mission mondiale (Council for World Mission – CWM: http://www.cwmission.org.uk/) en Angleterre. J'y ai présenté le texte intitulé "L'évangélisation en dialogue", publié dans ce numéro de la Lettre oecuménique sur l'évangélisation. Au cours de cet atelier, nous avons pu lancer le "Réseau œcuménique d'évangélisation" ("Ecumenical Network of Evangelists"), qui va devenir un outil important permettant de soutenir notre travail. On peut accéder à ce réseau à l'adresse: http://www.ecuspace.net/ Enfin, j'ai eu l'occasion de participer à la conférence Alpha pour l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique (EMEA) qui s'est tenue à Londres il y a quelques jours. Quelques-uns d'entre vous connaissent peut-être les cours Alpha. Ils consistent en une série de conférences sur des questions centrales de la foi chrétienne et constituent "une occasion de s'interroger sur le sens de la vie". On trouvera de plus amples informations à l'adresse www.alpha.org . La popularité de ces cours et leur méthodologie posent des questions intéressantes et interpellent les personnes actives dans l'évangélisation au niveau tant local qu'international. J'ai été très intéressé par cette expérience et je serais heureux de recevoir vos commentaires et vos opinions à ce sujet. Nous prions le Seigneur de continuer à nous bénir et à nous guider dans nos efforts pour proclamer la Bonne Nouvelle de l'Evangile aujourd'hui dans notre 'oikos'. Bien à vous dans l'évangélisation Carlos Emilio Ham (cah@wcc-coe.org) L'ÉVANGELISATION EN DIALOGUE Introduction Je souhaite pour commencer remercier le Conseil pour la mission mondiale (CWM), et particulièrement mon frère le pasteur Andrew Williams, de m'avoir invité à participer à cet atelier. C'est une grande et riche bénédiction pour nous et pour le Conseil œcuménique des Eglises (COE).
Qu'entendons-nous par évangélisation dans le mouvement œcuménique? Pour un certain nombre de chrétiens et d'Eglises, les termes "mission" et "évangélisation", bien qu'ayant un lien entre eux, sont perçus et utilisés de diverses manières; pour d'autres, ils ont tous deux pratiquement le même sens et le même contenu. Pour la Commission de mission et d'évangélisation du COE (CME), on fait entre eux une certaine distinction. a) Le terme "mission" comporte un sens holistique: la proclamation et le partage de la bonne nouvelle de l'Evangile par la parole (kerygma), l'action (diakonia), la prière et le culte (leitourgia), et le témoignage quotidien de la vie chrétienne (martyria), l'enseignement en tant qu'édification et affermissement des gens dans leur relation avec Dieu et les uns avec les autres et la guérison comprise comme intégralité et réconciliation en vue de la koinonia qui est communion avec Dieu, avec les autres et avec l'ensemble de la création. b) Le terme "évangélisation", tout en n'excluant pas les différentes dimensions de la mission, désigne plus précisément le fait de dire explicitement et délibérément l'Evangile, et notamment l'invitation à la conversion personnelle pour vivre une vie nouvelle en Christ et devenir disciple (1). L'Eglise ne constitue pas une fin en soi; Dieu l'appelle à proclamer en paroles et en actes l'euangelion de son royaume. Pendant 2000 ans, nous avons dit: L'Eglise détient la mission de Dieu dans le monde. Mais nous nous sommes trompés: c'est la mission de Dieu dans le monde qui tient l'Eglise. L'Eglise ne possède pas la mission de Dieu, mais c'est à Dieu qu'appartient la mission, et c'est la raison pour laquelle elle est sacrée. Le terme évangélisation vient du mot grec 'euangelion', qui signifie d'une part la communication de la bonne nouvelle de l'Evangile; d'autre part, elle désigne le messager (l'ange) qui apporte cette bonne nouvelle. Nous, qui évangélisons, sommes des messagers qui apportent la bonne nouvelle dans un dialogue permanent avec le monde. "L'Eglise n'existe pas pour elle-même, mais en tant que communauté envoyée par Dieu dans le monde avec la mission de proclamer en paroles et en actes l'Evangile de l'amour libérateur de Dieu en Jésus Christ" (2). Selon Sa Sainteté le pape Paul VI, dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, il s'agit d'un mouvement allant 'du Christ évangélisateur vers une Eglise évangélisatrice' (3). Je souhaite maintenant vous faire part de quelques réflexions et expériences tirées de notre travail quotidien avec les Eglises, de la manière dont nous voyons, dans la perspective internationale, certaines mises en question de leur mission d'évangélisation; nous nous concentrerons sur l'Europe, qui est la région sur laquelle cet atelier porte plus particulièrement. 1. Nous devons tirer profit de la richesse et de la diversité des différentes théologies, des réalités et des méthodes ou pratiques de l'évangélisation. On considère l'Amérique du Nord et l'Europe occidentale comme des sociétés "post-chrétiennes. De nombreuses Eglises "historiques" sont devenues "pré-historiques". les sanctuaires sont vendus à des entreprises culturelles ou même à d'autres religions, des pasteurs sont licenciés pour des raisons financières, leur Eglises ne pouvant plus payer leur salaire, des cathédrales deviennent des musées. Les grands centres commerciaux sont les nouvelles "cathédrales" où les gens se pressent pour adorer mammon, le dieu des richesses (Matthieu 6, 24; Luc 16, 9-11). Par ailleurs, nous observons dans les Eglises du Sud une croissance et un renouveau d'une grande ampleur. Dans la "Lettre aux Eglises" publiée après la Conférence sur la mission et l'évangélisation, qui s'est tenue à Athènes, Grèce, en mai 2005 sur le thème: "Viens, Esprit Saint, guéris et réconcilie. Appelés en Christ à être des communautés de réconciliation et de guérison", on peut lire: "Nous nous trouvons aujourd'hui à un moment particulier de l'histoire de la mission. Même si les centres où s'exerce le pouvoir se situent encore principalement dans le Nord, c'est dans le Sud et dans l'Est que les Eglises connaissent la croissance la plus rapide, qui résulte de la mission et du témoignage fidèle des chrétiens". C'est précisément parce que "le caractère missionnel de l’Eglise apparaît plus divers que jamais, alors que les communautés chrétiennes continuent à chercher des réponses spécifiques à l’Evangile… une diversité … stimulante, même si parfois elle nous met mal à l’aise", comme le dit cette lettre, qu'il est d'une importance décisive de soutenir des ateliers et des rassemblements comme le nôtre, réunissant des représentants d'Eglises de diverses parties du monde, afin de poursuivre notre dialogue et notre partenariat dans la mission et de relever ensemble les défis du monde d'aujourd'hui. C'est précisément ce que nous tentons de faire dans nos rassemblements du COE. D'un autre côté, nous devons admettre que les Eglises pentecôtistes et évangéliques adressent une interpellation d'une grande portée à nos Eglises "historiques", lorsqu'il s'agit de retrouver la passion pour l'évangélisation que parfois nous avons perdue. C'est là l'un des critères que le Comité central du COE a pris en considération lorsqu'il a choisi Porto Alegre comme lieu de la Neuvième Assemblée du Conseil qui aura lieu en février de l'année prochaine. Les Eglises du monde entier ne sauraient ignorer le remarquable ministère que les Eglises de ces traditions exercent en Amérique latine et sur d'autres continents, Eglises autochtones manifestant un ethos et un style nouveaux. En outre, les Eglises "historiques", ici en Europe occidentale, font aussi face aux interpellations des Eglises d'immigrants. Là aussi, par leur manière nouvelle d'être l'Eglise et d'entreprendre la mission et l'évangélisation, dans un environnement souvent hostile, elles sont pour nous un grand exemple, alors que nous nous efforçons d'être fidèles à la missio Dei. Nous vivons cela tous les dimanches dans notre communauté chrétienne latino-américaine Genève. La communauté est véritablement une famille où les manifestations concrètes de solidarité sont continuelles. Comment pouvons-nous créer des espaces de partenariat dans la mission et dans la solidarité avec ces Eglises, en nous souvenant que les immigrants ne sont pas des mendiants, mais plutôt les messagers d'un ordre (ou désordre) mondial injuste? 2. Nous devons retrouver le caractère holistique et libérateur de l'Evangile. Nous parlons souvent du caractère holistique de l'Evangile, et donc de l'entreprise missionnaire et évangélisatrice. Toutefois, nombreuses sont les structures de nos Eglises et de nos mouvements œcuméniques du Nord et de l'Ouest qui reflètent une dichotomie effarante: en effet, elles s'efforcent d'agir d'un côté dans les domaines de la diaconie et du développement, des actions urgentes, de la justice, de la paix et de la sauvegarde de la création et, d'autre part, de travailler à la mission et à l'évangélisation, comme s'il s'agissait de deux réalités différentes. Bien plus, on insiste sur la première, aux dépens de l'autre. Il n'est donc pas étonnant que nos frères et sœurs pentecôtistes et évangéliques aient tant de questions à l'égard du COE dans ce domaine. Nous sommes appelés à retrouver sans cesse l'unité et la complémentarité de la diaconie et de l'évangélisation qui sont toutes deux des expressions de la mission intégrale et holistique de l'Eglise. C'est ce qu'a représenté la contribution historique des Eglises du Sud. Mais nous devons naturellement éviter de fair dépendre l'aide humanitaire de la conversion et de la possibilité de faire des prosélytes dans les situations de détresse, ce qui est arrivé dans l'histoire, dans différentes régions du monde, en Irak par exemple, à l'heure où je vous parle. Mais l'évangélisation n'est pas seulement holistique, elle est aussi libératrice. Comment pourrions-nous oublier la première prédication de Jésus à Nazareth, où il a proclamé avec le prophète Esaïe: "L'Esprit du Seigneur est sur moi, prce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté, proclamer une année d'accueil par le Seigneur." (Luc 4, 18-19); même lorsque le concept et la pratique de la libération peuvent sembler une chose du passé? A cet égard, nous aimons ce que disait un ancien secrétaire général du COE, Emilio Castro: " la seule méthode théologique valable pour l'évangélisation est la participation consciente à la totalité de la vie humaine et à ses problèmes. Pour la grande masse des gens, l'évangélisation est une question de vie ou de mort, et non pas d'apologétique. Ce que Gustavo Gutierrez a dit de l'Amérique latine – à savoir que les gens y sont 'pauvres et croyants', s'applique aux grandes masses des démunis du monde entier. Il s'agit d'exprimer la foi en termes de joie, de fidélité, de justice et de solidarité" (4). 3. Nous devons pratiquer l'évangélisation dans l'unité, comme un "témoignage commun", et non pas du prosélytisme. A une époque où le repli sur les dénominations et le fondamentalisme sont en croissance, l'un des plus grands défis auxquels l'Eglise est confrontée aujourd'hui consiste à proclamer la bonne nouvelle de l'Evangile dans un cadre œcuménique, en dialogue, comme un "témoignage commun", à annoncer l'Evangile en coopérant et non pas en se faisant concurrence. Nous citons souvent Jean 17,21 pour souligner l'"unité visible" comme une fin en soi, mais Jésus prie le Père pour l'unité dans la mission, "afin que le monde croie". Nos divisions sont une honte et le prosélytisme est contre-productif pour l'évangélisation qui devrait s'accomplir dans le dialogue. Notre unité a un but, qui est de rendre un "témoignage commun" au Seigneur ressuscité, aujourd'hui. Ce texte de Jean est une "invitation à la confession, un appel à réorienter notre cheminement missionnaire et évangélisateur, à affirmer la richesse de nos diversités et en même temps à nous repentir de nos divisions. Confessons sans crainte le péché qui consiste à créer une tension inutile entre l'unité et l'évangélisation. C'est poser une alternative erronée: nous sommes des 'Eglises œcuméniques' ou des 'Eglises évangéliques'. Nous rendons ainsi inconciliables deux éléments inséparables de notre mission" (5). Dans ce contexte, j'aime à citer le propos si utile du pasteur Philip Potter qui disait: "l'évangélisation est la pierre de touche de notre vocation œcuménique" (6). Le défi est alors le suivant: Comment évangéliser œcuméniquement et en partenariat ou dialogue? Le document "La mission et l'évangélisation dans l'unité aujourd'hui", cité plus haut, commence par ces mots: "Le mouvement œcuménique tire ses origines du mouvement missionnaire, car la quête contemporaine de l'unité de l'Eglise s'inscrivait alors dans le cadre de l'entreprise missionnaire. Les missionnaires furent parmi les premiers à rechercher des formes et des styles de témoignage rendu dans l'unité, reconnaissant que le scandale des divisions entre les chrétiens et les rivalités entre les dénominations entravaient gravement la force de leur message". C'est là, naturellement, une référence évidente à la première Conférence sur la mission et l'évangélisation qui s'est tenue à Edimbourg, Ecosse, en 1910, inspirée par l'urgence d'une vision, "l'évangélisation du monde au cours de cette génération" . 4. Nous devons prendre en compte la relation entre l'Evangile et la culture Le document "La mission et l'évangélisation dans l'unité aujourd'hui" consacre un long chapitre à ce thème important, reconnaissant que "La mission de Dieu s'est révélée dans l'incarnation. La mission conforme au Christ ne peut que s'enraciner dans un contexte précis en s'attaquant aux problèmes qui s'y posent. C'est pourquoi l'Evangile est et doit être 'traduisible'", et il cite un texte de la Conférence sur la mission, tenue à Salvador en 1996: L'Evangile réconcilie et unit les personnes de toutes identités en une communauté nouvelle où l'identité première et dernière est en Jésus Christ (Galates 3,28) (7). 4.1 Une situation de violence En Europe, nous connaissons une terrible culture de violence qui ne se limite pas, naturellement, au "vieux" continent, mais s'étend au monde entier. Notre monde, aujourd'hui, vit la mondialisation néolibérale, la pauvreté croissante et la fragmentation causée par la violence et le terrorisme fondé sur l'idéologie. C'est la raison pour laquelle le COE a lancé la Décennie "Vaincre la violence", et que la CME a choisi pour la conférence d'Athènes sur la mission le paradigme missionnaire de la guérison et de la réconciliation, comme nous l'avons vu tout à l'heure. Dans le document préparatoire n° 3 à la conférence, la CME reconnaît que " à l'heure de la mondialisation, marquée par la montée de la violence, la fragmentation et l'exclusion, la mission de l'Eglise est de recevoir, célébrer, proclamer et travailler en vue de la réconciliation, la guérison et la plénitude de la vie en Christ". Ainsi, au cœur d'une culture de mort et de violence, le Seigneur nous appelle à un nouvel effort oecuménique, à pratiquer une nouvelle évangélisation. Nous sommes face à un problème plus grand que l'Eglise qui est à notre porte: c'est la "culture de mort". Nous sommes appelés de toute urgence à promouvoir une "culture de paix" et la non-violence, et de le faire d'une voix forte et prophétique. 4.2 Un contexte de laïcité Autre exemple: au Royaume Uni, on parle d'une diminution de 20% des personnes qui vont au culte, mais simultanément une augmentation de 60% dans le dom aine de la spiritualité. Comment les structures ecclésiales traditionnelles réagissent-elles à ce défi que constituent les gens qui 'croient', mais ne font pas partie d'une Eglise? Comment ces statistiques affectent-elles notre culture de partage des valeurs de l'Evangile? Quelles sont les valeurs essentielles de l'Evangile pour l'Europe aujourd'hui, et comment pouvons-nous les partager en vue d'une transformation? De nombreuses personnes s'efforcent aujourd'hui de trouver de nouvelles formes de spiritualité, ce qui explique l'augmentation et la diffusion de 'nouveaux mouvements religieux' et même de groupes 'sataniques' (qui adorent Satan!). Néanmoins, comment se fait-il que les sanctuaires chrétiens des Etats-Unis et d'Europe étaient pleins à craquer après les attentats du 11 septembre contre New York? Pourquoi tant de pèlerins sont-ils allés au Vatican au moment de la mort du pape Jean Paul II? Etait-ce uniquement parce qu'il avait été une figure charismatique, ou les gens cherchaient-ils quelque chose de plus? Comment la réalité que nous venons de décrire est-elle une interpellation pour la tâche évangélisatrice de l'Eglise? Comment repenser l'évangélisation, dans sa forme et son contenu, dans des circonstances où la culture chrétienne ne joue plus un rôle très central dans la société civile? J'apprécie le fait que, dans cet atelier, nous sommes à la recherche de manières nouvelles, innovatrices et 'centrées sur la mission' d'être l'Eglise et donc de dire l'Evangile. Un bon exemple en est l'"Eglise émergente" sur laquelle nous portons notre attention dans cette rencontre. Les notions d'"Eglise d'en bas", "façonnée par le contexte, adaptée, diverse, souple et expérimentale" sont très efficaces à notre époque, mais en même temps nous devons prendre garde à ne pas laisser tomber le message prophétique et interpellant de l'Evangile. Sommes-nous en faveur d'un "Evangile doux et agréable à l'usage", un Evangile-aspirine", qui se contente de faire plaisir aux gens et ne s'occupe pas de leurs difficultés, ou d'un Evangile qui apporte une "tension créatrice" (qui n'est donc pas très populaire), et qui met le statu quo, l'état actuel des choses, en question? L'Evangile de Jésus Christ est là pour apporter le réconfort, mais simultanément la confrontation! 4.3 Les sociétés post-modernes Sur cette question de l'incapacité des Eglises "historiques" à rejoindre nos sociétés occidentales et à entrer avec elles dans un dialogue essentiel, je trouve utile ce que Simon Barrow, l'un des éditeurs de l'ouvrage publié récemment par Churches Together in Britain and Ireland, a écrit dans l'article intitulé "Re-engaging Mission with Theology in the West Today" (Retrouver le lien de la mission avec la théologie aujourd'hui): "Se contenter d'accuser 'notre culture' d'être 'hostile à l'Evangile' ne suffit pas: c'est une manière de donner trop d'importance à l'unité de l'Eglise et pas assez à la diversité de la foi. Le discernement chrétien se situe dans le cadre d'une série de traditions qui sont engagées, au sein de chacune d'elles et avec l'extérieur, dans des débats et des affirmations réciproques. Il en a toujours été ainsi. Ce qui est nouveau, dans la modernité et la post-modernité, c'est que tout est négociable" (8). Dans notre culture européenne post-moderne dans laquelle les vies privées sont tenues pour sacrées et respectées comme telles, nous nous demandons si la foi chrétienne est une affaire privée. Si c'est le cas, cela a-t-il un sens de proclamer l'Evangile publiquement? Notre document d'étude "La mission et l'évangélisation dans l'unité aujourd'hui" aborde aussi ce thème: "Grâce aux processus liés à la mondialisation, les valeurs de la post-modernité, ancrées dans les cultures occidentales, se répandent rapidement sur toute la planète. L’identité même des peuples est en danger, en risquant d’être diluée ou affaiblie dans le creuset d’une culture unique extrêmement tentante et attrayante et de sa nouvelle série de valeurs. La notion même de patrie est profondément remise en question. L’individualisme prend le pas sur la vie en communauté. Les valeurs traditionnelles qui relevaient autrefois d’un patrimoine commun à tous sont en train d’être privatisées. Même la religion est traitée comme une affaire privée. L’expérience personnelle remplace la raison, le savoir et la compréhension. Les images ont l’avantage sur les mots et ont un plus grand impact sur les gens du fait qu’elles affichent, encouragent et véhiculent des “vérités” et des produits. On souligne l’importance de l’instant présent, le passé et l’avenir n’importent pas vraiment. On persuade les gens qu’ils sont les maîtres de leur existence et qu’ils sont donc libres de se servir et de choisir ce qui leur convient le mieux" (9). Dans cette situation où l'on observe une érosion des méthodes et des stratégies d'évangélisation, il nous est demandé, de toute urgence, de prendre au sérieux la tâche kérygmatique et de retrouver notre raison d'être en tant qu'Eglise de Jésus Christ. 4.4 Un contexte de plus en plus multiculturel et multireligieux En ce temps d'"hiver de l'Eglise", comme le disait Karl Rahner, ce moment décisif pour la mission, dans un monde qui est majoritairement non occidental, offre une ouverture universelle: accepter le défi de la pluralité culturelle. C'est une exigence semblable à celle de la post-modernité, celle d'accepter la 'décentralisation', 'l'hétérogénéité' des styles de vie et la complexité des langages (10). C'est la raison pour laquelle l'évangélisation pratiquée en dialogue est une nécessité de notre temps, chose qui malheureusement n'arrive qu'en marge des institutions. De plus, dans le monde actuel, l'un des grands problèmes de l'évangélisation est de proclamer l'Evangile dans le dialogue avec d'autres religions, lorsque les Occidentaux les perçoivent comme une menace. Ainsi, l'évangélisation devient un partage dans le dialogue de notre humanité en Christ, par-delà les tentations sectaires ou le fondamentalisme chrétiens. Au vu de l'accroissement des mouvements migratoires, du développement des technologies contribuant à l'expansion des médias, de la réalité en mutation de nos sociétés qui ne sont plus monolithiques, la question pertinente est celle-ci: comment pouvons-nous évangéliser de manière plus efficace dans une situation multiculturelle en mutation? En paraphrasant un propos du pasteur Philip Potter, nous pouvons dire que "l'évangélisation est la pierre de touche d'un véritable humanisme", elle est la proclamation d'une "bonne nouvelle" qui cherche, en dernière analyse, à améliorer l'humanité et même la création, dans un contexte de "mauvaises nouvelles", une culture de fragmentation, d'exclusion, de militarisme, d'injustice, de terrorisme, d'impérialisme, de violence et de mondialisation néolibérale. A cet égard, Jürgen Moltmann dit que la mission entreprise sur la base d'une éthique de la vie et d'un dialogue entre les religions exige une relecture et une réorientation de l'histoire chrétienne. La mission, dit-il, s'est faite en trois étapes. La première a culminé dans la fondation d'un imperium, la seconde a vu la propagation des Eglises. La troisième, aujourd'hui, comporte la participation de l'humanité dans l'évangélisation - non pas son absorption dans une 'Eglise', mais un dialogue et une action visant à révéler la base du salut. "Le Christ est venu pour apporter la vie, et non le christianisme", dit-il (11). Le document "La mission et l'évangélisation dans l'unité aujourd'hui" mentionne ces défis en ces termes, au paragraphe 58: "Ces interpellations soulèvent inévitablement des questions théologiques quant à la nature du témoignage à rendre envers les adeptes d’autres convictions religieuses à propos de la nature du salut. Il n’existe guère de consensus sur ce point au sein du mouvement œcuménique élargi. Lors des conférences sur la mission à San Antonio et à Salvador de Bahia, la situation a été résumée par les affirmations suivantes: « Nous ne pouvons pas indiquer d’autres voies qui mènent au salut que Jésus Christ. Nous ne pouvons pas non plus fixer des limites au pouvoir rédempteur de Dieu. » (12). Il existe une tension entre ces deux déclarations, tension qui n’a pas encore été surmontée. Parlant de la rencontre avec les croyants d'autres religions, le pasteur Emilio Castro écrit: "Cette rencontre a une valeur de témoignage. Dans la perspective de la nature missionnaire du message de Dieu en Jésus Christ, les chrétiens devraient aborder les autres dans l'esprit d'amour, de partage et de communication qui animait la vie de l'homme de Nazareth. C'est une attitude qui n'est pas faite uniquement de respect, mais aussi d'acceptation de l'autre" (13). Remarques finales Pour résumer j'aimerais citer l'une des pensées les plus utiles sur la théologie de l'évangélisation et pour notre volonté de nous y engager, un propos de David Bosch qui dit de l'évangélisation qu'elle est "cette dimension et cette activité de la mission de l'Eglise qui, en paroles et en actes, et dans des conditions particulières et un contexte spécifique, offre à chaque personne et à chaque communauté, en tout lieu, une occasion valable d'être mis directement devant le choix d'une orientation radicale de leur vie, une réorientation qui conduit à la libération de l'esclavage par rapport au monde et à ses pouvoirs, au fait d'accepter Christ comme Sauveur et Seigneur, de devenir un membre vivant d'une communauté, de l'Eglise, d'être enrôlé au service de la réconciliation, de la paix et de la justice sur terre, et de s'engager en faveur du dessein de Dieu qui est de mettre toutes choses sous l'autorité du Christ" (14). Je cite encore la Lettre d'Athènes de la CME : Saint Paul parle de la nouvelle création annoncée par le Christ et rendue possible par l’Esprit Saint. ‘C’était Dieu qui, en Christ’, dit-il, ‘réconciliait le monde avec lui-même, ne mettant pas leurs fautes au compte des hommes, et mettant en nous la parole de réconciliation. C’est au nom du Christ que nous sommes en ambassade, et par nous, c’est Dieu lui-même qui, en fait, vous adresse un appel. Au nom du Christ, nous vous en supplions, laissez-vous réconcilier avec Dieu’ (2 Corinthiens 5,19-20). Cette ‘nouvelle création’, nous la considérons comme l’objectif de notre entreprise missionnaire. Avec Paul, nous croyons que la réconciliation et la guérison sont essentielles au processus permettant de parvenir à cet objectif. La réconciliation, en tant que rétablissement de relations justes avec Dieu, est la source de la réconciliation avec soi-même, avec les autres et avec l’ensemble de la création". Que Dieu, qui est inspirateur et source, Jésus Christ, le communicateur, et l'Esprit Saint, qui anime le message de vie de la guérison et de la réconciliation, nous guide dans nos efforts pour devenir des évangélisateurs fidèles en Europe et dans l'ensemble de la création. Amen. Carlos E. Ham, pasteur QUESTIONS À DISCUTER EN PETITS GROUPES 1. Comment aborder, pratiquement, la tension que nous trouvons dans l'Evangile, entre ses aspects à la fois de réconfort et de confrontation? 2. Quelles sont aujourd'hui les valeurs essentielles de l'Evangile pour l'Europe, et comment pouvons-nous les communiquer, dans le cadre oecuménique, en vue d'une transformation? 3. Quelles leçons avons-nous tirées des études de cas pour nous aider à améliorer notre mission évangélisatrice aujourd'hui? Nous vous invitons à participer à notre séminaire à l'Institut œcuménique de Bossey: LA MISSION EN TANT QU'ANNONCE DE L'ÉVANGILE – La Conférence d'Athènes sur la mission et l'évangélisation, en mai 2005, a souligné le fait que la mission est participation au ministère de guérison et de réconciliation. Le rôle de l'aspect de proclamation du témoignage chrétien et de la vie ecclésiale est au nombre des questions qui doivent être approfondies. Ce séminaire de Bossey a pour but de spécifier les contenus et les méthodes de l'évangélisation dans une perspective œcuménique. Dans une perspective holistique de la mission et dans un monde pluriel en matière de religion et de culture, comment communiquer l'Evangile, et où? Quelles sont les méthodes efficaces pour la proclamation de l'Evangile, et quelles sont celles qui conduisent à la réconciliation? Quelle est la dynamique contenue dans les signes de guérison qui accompagnent cette communication? En nous inspirant des conclusions de la conférence d'Athènes et de la Neuvième Assemble du COE à Porto Alegre, ce sont quelques unes des questions que nous aborderons dans ce séminaire. Animation: le pasteur Carlos Ham, le Dr Manoj Kurian et le pasteur Jacques Matthey, de l'équipe Mission et formation œcuménique du COE, ainsi que le pasteur Dietrich Werner, directeur d'études au Christian-Jensen Kolleg, Centre du Nord de l'Elbe pour la mission et le service dans le monde, Breklum, Allemagne. Prix (en CHF) Prière pour la mission évangélisatrice de l'Eglise Seigneur, nous te prions aujourd'hui pour ton Eglise qui est porteuse de l'Evangile du pardon et de la liberté dont notre monde a un si grand besoin. Merci pour celles et ceux qui ont le don de communiquer cette bonne nouvelle par l'évangélisation; merci pour celles et ceux qui ont le don de la communiquer par leur façon de vivre. Donne-nous le courage et le désir d'être tes témoins avec générosité et respect, inspirés par le grand amour que nous avons pour toi et la joie qui nous remplit à cause de toi. Remplis-nous de ton amour, afin que le monde croie. Amen. (Tiré de: "The Intercessions Handbook, Creative ideas for public and private prayer", ed. John Pritchard, SPCK, Londres, p. 46). Nous vous invitons à prier pour notre prochaine Assemblée: NOTES 1 Study document “Mission and Evangelism in Unity Today”, adopted by the CWME in Morges, Switzerland, 2000, p. 2. 2 Called to Mission (from the document "The International Mission of the Church of Sweden"). Uppsala, 2000, p. 13. 3 Pope Paul VI, Evangelii Nuntiandi, Apostolic Exhortation on Evangelization in the Modern World. St. Paul Publications, 1989, p. 17. 4 Article “Evangelism” from the Dictionary of the Ecumenical Movement, WCC Publications, Geneva, 2002, p. 445-451. 5 Batista, Israel (general secretary of the Latin American Council of Churches – CLAI) in the working document “Unidad y Evangelización” (“Unity and Evangelism”), Quito, Ecuador, 2005. 6 Philip Potter’s speech to the Roman Catholic Synod of Bishops, Rome, 1974. Quoted in the 1982 document “Mission and Evangelism – An Ecumenical Affirmation, p. 2. 7 Study document “Mission and Evangelism in Unity Today” – Op. Cit. Paragraphs 48 & 50, quoting the Salvador report, p.46. 8 Christian Mission in Western Society, Churches together in Britain and Ireland, London 2001, edited by Barrow, Simon and Smith Graeme, p. 235. 9 Study document “Mission and Evangelism in Unity Today” – Op. Cit. Paragraph 23, p.5. 10 Mardones, José María, Postmodernidad y cristianismo. El desafío del fragmento, Editorial Sal Terrae, Santander (2da. Edición), 1988, p. 154. 11 This extract comes from the book edited by Barrow, Simon, Christian Mission in Western Society, quoted earlier, p. 249. 12 Salvador report, p.62, quoting San Antonio report, p.32. 13 Article “Evangelism” from the Dictionary of the Ecumenical Movement, WCC Publications, Geneva, 2002. 14 The late Dr. David J. Bosch. Transforming Mission. Paradigm Shifts in Theology of Mission (Orbis Books, NY, 1991), 420. |