No. 2 - mai 2000

Chers amis,

L’Europe est un terrain de mission. Cette notion nous est à tous familière et a pris, ces dernières années, un relief tout particulier. Prenez par exemple l’accent que plusieurs Eglises européennes ont placé sur la « mission intérieure » à l’occasion des célébrations du millénaire de leur fondation. Ou voyez les récentes réflexions sur la nature de la vocation missionnaire des Eglises, menées par la Conférence des Eglises européennes. Pensez encore à l’insistance du pape Jean Paul II sur la nécessité de réévangéliser le continent, et aux efforts énergiques d’Eglises et de particuliers dans les pays de l’ancien bloc socialiste pour « combler le vide » en rendant un témoignage chrétien actif. Regardez enfin la progression vertigineuse du nombre d’organismes missionnaires et de groupes d’évangélisation qui ont choisi pour cible certains pays ou groupes particuliers en Europe!

Oui, l’Europe est bien un terrain de mission. Depuis que j’y suis revenue, j’ai moi-même de plus en plus conscience de la nécessité pour les populations et les cultures d’Europe de réapprendre l’Evangile de l’amour de Dieu en Christ. J’étais de ceux qui haussaient les épaules lorsqu’ils passaient devant une immense église convertie en dépôt ou en bâtiment administratif. N’était-ce pas inévitable (et peut-être même souhaitable) dans une société devenue «majeure»? Après tout, ces bâtiments somptueux n’avaient que peu de rapport avec la communauté vivante des disciples du Christ. Il fallait trouver d’autres moyens d’exprimer sa foi en le Dieu de Jésus.

De plus, lorsque je vivais en Amérique latine, je vouais une franche admiration à la politique étrangère européenne qui s’opposait à la politique interventionniste des Etats-Unis. Sachant que les chrétiens d’Europe - si minoritaires fussent-ils - jouaient un rôle important dans le respect et la solidarité manifestés à l’égard de ma région, j’étais assez acquise à l’idée qu’un peu de levain seulement suffit pour toute la pâte.

Mais j’ai changé d’avis. S’il demeure important de rappeler que la proclamation du règne de Dieu doit être faite « à partir de la faiblesse », il me semble que l’appauvrissement spirituel de l’Europe a atteint un degré tel qu’il faut procéder à des ajustements, comme on dit. Je me pose maintenant ces questions : dans quelle mesure l’absence de compassion pour ceux qui souffrent et la suffisance qu’on observe en Europe aujourd’hui constituent-elles une sorte d’acculturation de la foi au profit de l’individualisme et de l’indifférence sociale? Le temps n’est-il pas venu de reprendre espoir dans le récit fondamental de la grâce de Dieu même pour l’Europe ? Le temps n’est-il pas venu de croire à nouveau que ce récit peut parler à l’imagination et aux désirs des habitants de l’Europe ?

Le présent numéro de la Lettre oecuménique sur l’évangélisation porte sur les difficultés et les possibilités de la mission évangélisatrice dans l’Europe d’aujourd’hui. Il le fait non pas d’une manière directive, mais en donnant des exemples des initiatives prises pour apporter la bonne nouvelle du salut d’une façon authentique et personnelle. Ensemble, ces courts articles nous offrent un rapide aperçu des motifs et des moyens de l’évangélisation en Europe, et peut-être seront-ils une source d’inspiration et un stimulant pour les ministères de renouveau spirituel ailleurs. Je vous laisse à votre lecture. Comme d’habitude, n’hésitez pas à nous écrire pour nous livrer vos commentaires ou les réflexions que la Lettre pourrait vous inspirer.

Je me permets aussi d’attirer votre attention sur la rubrique «... de la boîte aux lettres » qui comporte quelques-unes de vos réactions. Je pense que vous conviendrez avec moi que ce courrier des lecteurs est un moyen intéressant de poursuivre les débats.

Pasteur Ana Langerak
Secrétaire exécutive
Mission et évangélisation
VOUS AVEZ DIT EVANGELISATION ?

L’article ci-après a été envoyé par le pasteur Georges Quenon, de l’Eglise protestante unie de Belgique (EPUB). J’ai été intéressée par une brève référence au témoignage évangélique de quelques paroisses de la région de Liège, mentionné dans le bulletin d’information de l’EPUB. Comment est-il possible, me suis-je demandé, que des « Eglises minoritaires » relèvent le défi de la proclamation de l’Evangile dans un pays sécularisé et pluraliste tel que la Belgique ? J’ ai donc prié le pasteur Quenon, qui est l’un des animateurs de ce ministère, de nous donner des détails à ce sujet.

Osons-nous encore aujourd'hui parler évangélisation? Dans nos esprits de chrétiens vivant dans une société séculaire et pluraliste, ce terme est synonyme de prosélytisme et fait appel à des méthodes ringardes, qui n'ont plus guère d'échos dans notre société. En effet notre société se veut, avec raison, ouverte au dialogue inter-religieux, au pluralisme et au respect profond des convictions de tous. Est-ce pour autant que les Eglises doivent abandonner leur vocation de "faire des disciples", selon le souhait du Christ? D'aucuns pensent qu'il faut arrêter toute forme de prosélytisme, même la plus "soft", et laisser les gens cheminer d'eux-mêmes, selon leurs convictions, la vérité n'étant plus l'apanage d'un seul groupe ou d'une seule croyance. La vérité est plurielle, il est d'ailleurs plus judicieux de parler de vérités au pluriel. D'autres croient toujours à la mission unique du Christ et au salut qu'il est venu nous apporter. Pour eux, l'Eglise doit, à l'instar des paroles du Christ: "être sel et lumière du monde" (Matthieu 5,13-16).

Il est certain que s'il me paraît indispensable de garder dans notre apostolat, l'aspect du témoignage, il n'est plus possible de le pratiquer comme jadis, notre société ayant beaucoup changé. Nous sommes d'avantage appelés à rejoindre les hommes là ou ils sont, à cheminer avec eux et ainsi incarner dans "nos vies de tous les jours" la saveur de l'Evangile, sans oublier cependant son côté interpellateur, devant lequel l'homme est appelé à faire un choix. C'est dans ce but que nous venons d'organiser une campagne de sensibilisation à l'Evangile dans la région liégeoise.

Durant sept mois, des membres de diverses Eglises protestantes, ont sillonnés les villes et campagnes de la province pour distribuer, en main propre 300.000 "colis lecture" contenant un Evangile, un magazine illustré avec des témoignages "couleur locale", un cours biblique par correspondance et une carte "réponse" proposant diverses offres gratuites: notamment une cassette vidéo, livres,...

Au-delà du millier de réponses reçues, nous avons tiré des enseignements intéressants sur l'apport d'une telle mission dans la vie des Eglises, notamment dans les domaines suivants:

  • L'unité grandissante entre les diverses Eglises
  • L'organisation d'une telle campagne nous rassemble autour d'un projet tourné vers les autres et non plus vers nous-mêmes et nos particularités qui, si souvent, sont génératrices de conflits.
  • Si l'Eglise retrouve son esprit missionnaire elle sera d'avantage attentive à ce qui unit et qui est l'essentiel de son message.

    Cette campagne nous a tous remis dans le dialogue. Celui-ci qui nous a fait prendre conscience que durant des années nous nous étions mal compris, jugés et que nous avions fabriqués les uns vis-à-vis des autres, des préjugés et des divisions qui nous ont éloignés de l'essentiel.

    Grâce à ce dialogue nous avons pu redécouvrir les autres Eglises, nous apprécier, nous pardonner et abattre ces murs absurdes et scandaleux de la divison et des partis-pris. Nous avons appris à travailler ensemble, soutenir un même projet et à le gérer à long terme.

    La visibilité grandissante du protestantisme
    Cette campagne nous a mis dans l'obligation de répondre aux questions et besoins spirituels des personnes habitant dans des régions où il n' y a pas de communautés protestantes. Des cellules durent être créées. Ces cellules peuvent donner naissance à de nouvelles communautés.

    La presse fut également contactée, des conférences de presse organisées et des articles de presse rédigés. Tout ceci, en plus de la distribution massive, a donné l'occasion à un grand nombre de personnes de connaître l'essentiel du protestantisme, de son message et la possibilité de prendre contact avec les Eglises.

    L'Eglise prend sa place dans la cité, elle sort de ses murs, démontre son utilité et devient "Eglise-pour-les-autres". En le faisant elle acccomplit sa mission tout en découvrant sa raison d'être et son identité profonde.

    La croissance qualitative et quantitative
    Par croissance qualitative j'entends que chaque membre prend conscience de sa vocation et de ses responsabilités. Une telle campagne ne peut être portée par quelques uns. Tous doivent entrer dans l'oeuvre. Certes pas tous de la même manière. Certains en donnant du temps, d'autres par la prière, d'autres encore sur le plan matériel,... Ils apprennent que l'Eglise est l'affaire de tous et non seulement de "spécialistes". En travaillant, beaucoup se rendent compte de leur incompétence dans tel ou tel domaine. C'est ainsi que naît la nécessité d'une formation qui débouche sur une maturation de l'Eglise.

    Par croissance quantitative j'entends l'adjonction de nouvelles personnnes aux Eglises existantes, voir la création de nouvelles Eglises. Par cette double croissance L'Eglise se guérit et se libère de son nombrilisme et de ses effets pervers et sclérosants, ainsi que du "ronron" théologique tourné exclusivement vers l'intérieur et adressé à des "initiés". La grande raison d'être de l'Eglise c'est tous ceux qui sont hors de ses murs!

    L'Eglise se remet en question et est remise en question
    Quand des personnes de l'extérieur, sans arrière-plan religieux, rejoignent les communautés, elles sont chargées de leurs fardeaux, de leurs questions et de leurs besoins. L'Eglise, alors, ne peut plus se limiter à transmettre un discours, mais doit les rejoindre le plus concrètement possible. Notre foi devient "démonstration" de la proclamation de l'Evangile, "sinon celle-ci ne sert de rien. L'Eglise doit alors accepter de se remettre en question par rapport à un agir qui ne correspond plus à la réalité présente. Elle doit se restructurer, innover. Elle devient créatrice.

    Par exemple, elle doit se donner les moyens de répondre à des demandes d'aide sociale, psychologique, conjugale, voir même éducative ou venir en aide aux personnes qui sont en difficultés dans ces différents domaines et que la société a marginalisé. L’Eglise est appelée à démontrer l’amour de Dieu qu’elle proclame.

    L'Eglise redevient témoin de l'agir de Dieu
    En allant vers les autres et en les rencontrant dans leurs besoins, l'Eglise sent rapidement son impuissance, sa faiblesse. C'est alors qu'elle se tourne vers Dieu en réclamant sa puissance et son secours. Elle retrouve ainsi sa dimension spirituelle qui faisait la force d'un Elie devant la veuve de Sarepta, ou de Jésus devant le tombeau de Lazare ou encore d'un Pierre ou d'un Jean devant le paralytique qui les interpellait à la porte du temple...

    L'Eglise retrouve son énergie spirituelle dans l'intercession et le combat spirituel, ce qui lui ouvre de nouveaux horizons. L'Eglise redevient alors le lieu des réponses inattendues, des miracles et de l'agir de Dieu.

    Oui, l'Eglise a encore une place à prendre dans la société, une place qu'elle est la seule à pouvoir occuper, car à travers elle aussi, le Christ veut parler et agir afin que son amour soit démontré et répandu dans les vies de nos contemporains.


    PRENDRE UN NOUVEAU DEPART - LES CHRETIENS INVITENT AU DIALOGUE

    L’exemple qui suit décrit un projet missionnaire en Allemagne de l’Est. Il nous a été communiqué par le pasteur Hans Zinnow, de la Fédération des services missionnaires à Berlin, Allemagne. M. Zinnow nous avait écrit pour commenter l’article sur la vitalité nouvelle du témoignage évangélique à Cuba (Lettre oecuménique sur l’évangélisation de septembre 1999). Sa lettre à ce sujet est citée dans la « boîte aux lettres », et la description qu’il y fait du contexte de cet effort vaut la peine d’être lue.

    Tout d’abord quelques indications d’organisation concernant notre projet missionnaire :

  • A partir de l’annuaire téléphonique, on appelle tous les habitants d’une ville ou d’une région.
  • On demande aux personnes appelées si elles aimeraient recevoir gratuitement un petit ouvrage dans lequel des chrétiens de la ville parlent de leur foi.
  • Les destinataires sont rappelés deux semaines plus tard. Ils sont invités à participer à cinq soirées de discussion sur des questions touchant la vie et la foi.
  • La campagne missionnaire se termine par un service divin.

    1. Ne revenons pas sans cesse sur nos problèmes d’argent et de suppressions d’emplois
    Ce sont des thèmes qui relèvent du « fonctionnement interne de l’Eglise » ! D’autres que nous se heurtent à ces problèmes dans une mesure bien plus considérable.
    Retrouvons le mandat qui nous a été donné par Jésus Christ, à savoir aller au monde et appeler les gens à suivre Jésus.
    Parlons positivement de la foi en Dieu.
    Il n’est pas admissible que les premiers interlocuteurs des personnes sécularisées soient les représentants de sectes.

    2. Donnons une chance aux femmes et aux hommes de notre pays
    Donnons-leur la chance de « prendre un nouveau départ » dans la foi en Dieu.
    Donnons-leur la chance, en fait, de commencer véritablement à croire en Dieu. « Prendre un nouveau départ » ne signifie pas « attirer dans un nouveau filet ». Il s’agit d’inviter les chrétiens au dialogue.

    3. Donnons à notre Eglise la chance de prendre un nouveau départ
    En nous engageant dans le dialogue avec les habitants de notre ville, nous tirons nous-mêmes un grand bénéfice de l’opération. Les chrétiens, les collaborateurs de l’Eglise et l’Eglise elle-même vont changer à cette occasion, et « prendre un nouveau départ ».

    4. Nous affirmons que « les chrétiens invitent au dialogue»

  • Voulons-nous cela ?
  • Sommes-nous résolus à tenter l’entreprise risquée du dialogue ?
  • Sommes-nous aptes au dialogue ou devons-nous d’abord nous entraîner ?
  • Sommes-nous en mesure de communiquer clairement notre foi aux autres ?
  • Allons-nous parler de ce qui emplit notre coeur ou avons-nous peur de le faire ?
  • Sommes-nous ouverts aux autres, prêts à les accueillir chez nous ?
  • Notre invitation est-elle assez chaleureuse pour que des étrangers aient le courage de nous rendre visite ?
  • Sommes-nous capables de nous identifier aux questions des autres ?

    5. « Prendre un nouveau départ » implique des efforts, et beaucoup expriment des doutes à cet égard
    S’agit-il de doutes ou de craintes ? Cela signifie ceci :

  • Nous n’avons pas suffisamment de personnes qui veulent participer.
  • Nous n’avons pas les moyens financiers nécessaires.
  • Nous n’avons pas le temps, car nous avons déjà du mal à maîtriser les tâches courantes.

    6. « Prendre un nouveau départ - les chrétiens invitent au dialogue » réussira :

  • ... si tous sont disposés à s’engager,
  • ... si l’approbation de la communauté oecuménique est donnée,
  • ... si les activités menées jusqu’ici par les paroisses sont intégrées au projet.

    7. Où se trouve l’intérêt de « prendre un nouveau départ ? »
    La pratique de la coopération oecuménique enrichit l’expérience de la foi.
    La rencontre avec des personnes étrangères donne une nouvelle aptitude au dialogue.
    Dans la région où elle est à l’oeuvre, l’Eglise est accueillie dans une perspective nouvelle parce qu’elle prend position sur des questions d’actualité.
    Le tabou selon lequel « on ne parle pas de la foi » est brisé.

    8. « Prendre un nouveau départ » commence par la communication interne dans l’Eglise
    Dès le début, il y a entente sur les objectifs de la campagne.
    La planification commune réunit des personnes aux dons divers.
    Avant de franchir le pas à la rencontre des autres, une formation aux tâches communes est mise en place.

    9. « Prendre un nouveau départ » se sert des médias pour réussir
    La presse, la radio et la télévision interviennent.
    Un culte oecuménique d’ouverture marque le début de la campagne.
    Le contact avec les habitants de la ville est établi par téléphone.br> Les personnes intéressées reçoivent un petit ouvrage écrit par des chrétiens de la ville.
    Cinq soirées de discussion sont organisées.
    Un culte oecuménique de clôture met fin au projet.
    Un approfondissement de la réflexion est proposé aux personnes intéressées.

    10. Au début, on pose souvent la question de savoir quel va être le résultat de l’entreprise
    Ce n’est qu’au terme de la campagne que nous en verrons les fruits!
    Seul celui qui prend le départ arrivera au but.
    Seul celui qui a le courage de démarrer pourra s’étonner du résultat à la fin.

    Au terme de la campagne, on entend bien souvent ce commentaire: «Si nous avions imaginé au début toute la joie que nous éprouverions à ‘prendre un nouveau départ’ et quel bénéfice nous en retirerions tous, nous nous serions lancés bien plus tôt dans l’aventure.»


    LE RENOUVEAU SPIRITUEL EN GRECE

    En février, je me suis rendue à l’archevêché d’Athènes, pour parler à deux personnes très engagées dans les ministères destinés à réveiller la foi parmi les orthodoxes sociologiques, notamment parmi les jeunes. J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir de cette question avec le père Antoine Kalligeris, directeur du Bureau de la jeunesse de l’archidiocèse, et avec son assistant, M. Manos Koumbarelis. L’article ci-dessous rend compte de nos discussions.
    Ana Langerak

    Après avoir été accueillie dans le petit local du Bureau de la jeunesse de l’archidiocèse, je prends place en compagnie du père Antoine Kalligeris, le directeur, et de son jeune assistant, M. Manos Koumbarelis. Le père Antoine, qui ressemble davantage à un joueur de basket qu’à un responsable d’Eglise, est un prêtre marié, père de trois enfants. On comprend tout de suite pourquoi cet homme a été choisi pour ce poste : il a une vaste expérience du travail avec les jeunes et se soucie beaucoup de leurs besoins.

    « Le défi qui nous est lancé est immense », dit-il. « Si l’on peut dire que 91 % de la population se considère comme orthodoxe, la majorité de ces personnes ne vivent pas leur foi. Comme d’autres pays, notre société se sécularise rapidement et beaucoup de ‘dieux’ rivalisent, surtout chez les jeunes. La consommation et le pouvoir économique exercent sur eux un puissant attrait. »

    « Face à cela, voyez la manière démodée dont nous, en tant qu’Eglise, sommes structurés », ajoute-t-il. « Nos paroisses sont trop grandes, trop impersonnelles. A Athènes, certaines d’entre elles comptent 200 000 membres. Pour susciter un renouveau spirituel, il nous faut des structures plus petites, il nous faut encourager les gens à se réunir au sein de groupes plus restreints. »

    M. Manos développe ce sujet. Cet aimable jeune homme, qui assiste le directeur dans ses tâches, joue un rôle important dans l’organisation du travail du Bureau de la jeunesse. « En Grèce, nous avons 30 à 40 ans de retard sur les sociétés d’Europe de l’Ouest. Alors que la plupart de nos concitoyens sont heureux de savoir que l’Eglise ‘est là’, ils sont en fait en train d’y devenir indifférents. La télévision est maintenant la principale source d’enseignement. Elle a remplacé l’école, et l’apprentissage formel - surtout dans le domaine de la religion et de la foi - compte moins que jamais. L’ignorance théologique est peut-être le principal défi qui nous est lancé. »

    Les téléphones n’arrêtent pas de sonner, les ordinateurs et les imprimantes crépitent au milieu des allées et venues incessantes des visiteurs. Mes hôtes me parlent d’une enquête réalisée auprès des jeunes à l’échelon national. On leur demandait de placer des thèmes comme la paix, les droits de l’homme, la protection de l’environnement, etc. sur une échelle de valeur. Curieusement, 5 % d’entre eux ont désigné l’orthodoxie comme valeur numéro un. « Cela signifie, explique le père Antoine, que 5 % des jeunes sont satisfaits de ce que nous leur offrons en tant qu’Eglise mais, si nous devons certes continuer de servir ce groupe de personnes, il nous faut aussi servir un groupe infiniment plus large. »

    « Qu’en est-il de l’Internet Café créé avec les encouragements de l’archevêque Christodoulos, et qu’en est-il de sa proposition de raccourcir la liturgie pour la rendre plus attirante aux jeunes ? » demandai-je, en ajoutant : « Est-ce que cela fait partie d’un plan, d’une stratégie ? » (J’ai conscience du « ton » très occidental de ma question. ) Manos sourit. En tant que président de Syndesmos, association mondiale des jeunes orthodoxes, il est très familier avec ce mode de pensée. « Non, nous n’avons pas de stratégie. En fait, nous ne sommes pas du tout systématiques. Nous sommes en plein changement et nous nous efforçons d’y faire face du mieux que nous pouvons. »

    Bien qu’ils minimisent l’importance de l’approche systématique, les efforts délibérés faits par l’archidiocèse grec en faveur du renouveau spirituel sont manifestes. Le travail accompli par le seul Bureau de la jeunesse en est une illustration. Avec la bénédiction de l’archevêque, le Bureau a monté un ambitieux programme de renouveau de la foi au sein de l’archidiocèse de Grèce ; ce programme prévoit de désigner dans chaque paroisse un prêtre chargé du travail auprès des jeunes, d’organiser des réunions régulières d’information avec ces prêtres ainsi que des rencontres semestrielles d’étudiants, d’assurer une formation intensive de cathéchistes (600 personnes environ, âgées pour la plupart de moins de 35 ans). Dans le cadre d’un programme connexe, le Bureau a procédé à la révision des manuels d’enseignement religieux des enseignants parce qu’on s’est aperçu qu’il fallait apporter des connaissances religieuses plus élémentaires.

    Manos et le père Antoine me lisent les statistiques extraites du rapport du Bureau de l’an dernier, tout en m’expliquant l’importance de l’initiative prise par l’Eglise d’ouvrir autant de centres de jeunesse que possible. Comme leur nom l’indique, ces centres sont des espaces, dans les bâtiments de l’église ou dans leur voisinage, où les jeunes peuvent se rencontrer pour entreprendre ensemble des activités utiles et trouver des réponses concrètes à toute une série de préoccupations sociales, éducatives, artistiques et spirituelles. J’ai eu l’occasion de visiter un de ces centres. Ils sont gérés presque entièrement, et apparemment très efficacement, par des bénévoles laïques. Les jeunes semblent très satisfaits des activités qui leur sont proposées - chorale, travaux manuels, sports, danse folklorique, iconographie, soutien scolaire en sciences, mathématiques, langues - et on comprend aisément pourquoi la création de centres de jeunesse sont l’une des priorités de ce ministère.

    Manos, qui s’était absenté brièvement pour parler avec un prêtre en visite, décrit comment l’archidiocèse essaie de faire comprendre que Dieu et la foi ont un lien bien réel avec la vie. Pour cela, il recourt aux pratiques orthodoxes traditionnelles mais aussi à des méthodes nouvelles. Pour jeter des ponts entre la foi telle qu’elle est célébrée par l’Eglise et la vie scolaire séculière, l’archevêque bénit l’année scolaire, visite les écoles, s’adresse aux enseignants lors de certaines occasions spéciales, et fait don de livres. En outre, le Bureau de la jeunesse encourage vivement les prêtres de paroisse à avoir de bonnes relations avec les enseignants et à enseigner eux-mêmes les disciplines qu’ils maîtrisent. « Il est important de montrer aux jeunes que nous nous soucions d’eux », me dit Manos.

    Nous parlons maintenant de la société au sens large. Le père Antoine et Manos m’expliquent que l’Internet Café et la création du site Web de l’Eglise sont des manières de toucher le grand public. L’Eglise s’efforce aussi d’entretenir de bonnes relations avec les milieux professionnels et universitaires ainsi qu’avec la communauté scientifique. Elle participe aussi à la création de troupes de théatre, ainsi qu’à la promotion de compétitions sportives dans l’espoir de communiquer les valeurs de l’Evangile à ces secteurs aussi. « Une chose à laquelle nous devons veiller, c’est à ne pas essayer de remplacer les structures sociales normales ». Prenez le sport. «Notre engagement dans le domaine sportif a ceci de spécifique qu’il nous permet d’enseigner, par exemple, que le ‘fair play’ est une conséquence directe de notre conviction selon laquelle chacun de nos adversaires et de nos équipiers sont à l’image de Dieu. »

    J’ai l’impression que l’archevêque Christodoulos lui-même est l’une des pièces maîtresses dans l’offensive lancée par l’Eglise pour intéresser la société grecque contemporaine aux valeurs évangéliques. Les membres du Bureau de la jeunesse me le confirment. « C’est une personne qui a une grande visibilité. Il est très populaire et ne craint pas d’exprimer son opinion sur les grands problèmes du pays. » Manos ajoute que l’archevêque s’est prononcé sur l’engagement de l’OTAN en ex-Yougoslavie, ainsi que sur l’entrée de la Grèce dans l’Union européenne. « A la différence des personnalités politiques, il peut prendre le risque de s’exprimer. Les intellectuels le critiquent, mais les gens de la rue considèrent qu’il parle en leur nom. »

    La jeune nièce du père Antoine nous rejoint pour le déjeuner et j’oriente la conversation sur la dimension personnelle de la foi. Dans un pays comme la Grèce où modernité et tradition se rencontrent d’une façon aussi dynamique, il n’est pas rare que les gens découvrent ou redécouvrent la foi comme s’il s’agissait d’une chose « nouvelle », comme s’ils découvraient une superbe mosaïque dans une vieille maison. « Cela se produit lorsqu’ils rencontrent l’authenticité », fait remarquer le prêtre. Manos explique que les gens aiment la tradition (orthodoxe) lorsqu’elle est authentique, ajoutant facétieusement que certaines choses qui passent pour de la « Tradition » ne sont que des habitudes qu’il faut mettre en question.

    Le langage de la liturgie fait problème. Il date du quatrième siècle est n’est plus compris. En outre, toute la tradition des « pères spirituels », des moines qui offrent une direction et aident à la confession, redevient populaire. Cela semble correspondre à l’esprit moderne, mais le père Antoine et Manos se demandent ce que ce regain d’intérêt pour les « pères spirituels » signifie à long terme. « Pourquoi ne pas développer un sentiment de responsabilité personnelle chrétienne à l’égard des autres ? Si ce que nous avons à la place c’est une spiritualité individuelle et une nouvelle dépendance, alors ce n’est pas formidable. »

    En fin d’après-midi, je fais une série de visites : un symposium orthodoxe à l’Université, un centre de jeunesse paroissial et une station de radio de l’Eglise. Riche des impressions de cette « immersion », je rentre à mon hôtel à l’heure où le tumulte de la ville s’apaise enfin. Ce que j’ai vu et entendu de l’approfondissement de la foi était une fascinante juxtaposition d’éléments anciens et modernes, traditionnels et novateurs, enthousiastes et mesurés. Se préoccuper du renouveau spirituel de la Grèce d’aujourd’hui, comme tente de le faire le Bureau de jeunesse de l’archidiocèse, n’est une affaire ni spectaculaire ni insignifiante. Cela suppose de la vision, du travail et une fidélité à la mission de Dieu. Manos n’a-t-il pas dit: «Nous ne sommes pas en train de sauver le monde, nous ne faisons qu’apporter une réponse de foi à ce qui arrive»?



    DE LA BOITE AUX LETTRES

    Mabuhay des Philippines ! Je siège au Comité des écoles de l’Eglise indépendante des Philippines et je suis prêtre missionnaire à Siayan, Zamboanga du Nord. La Lettre oecuménique nous aide certainement à discerner et à témoigner de l’Evangile. Plein succès à cette mission commune avec Dieu.
    Le pasteur Perla Cjote
    Siayan, Philippines

    J’ai été très touché par l’article intitulé « Proclamer le Christ n’est pas facile » de Noel Villalba. Cette histoire m’a rappelé un épisode que j’ai vécu alors que j’allais de Serenje à Kabwe, en Zambie. Si, au début du voyage, beaucoup de passagers étaient intéressés par ce que disait le prédicateur, après, à cause des insultes qu’il a proférées contre les non-croyants, personne ne lui a plus prêté aucune attention.
    M. Clen Penjani Ngandu
    Serenje, Zambie

    J’ai été très ému par le rapport sur le Cuba que nous a fait Mme Suecia Méndez. Ayant vécu toute ma vie en République démocratique allemande, je m’identifie totalement à l’expérience des chrétiens de Cuba. J’ai toutefois du mal à imaginer Erich Honecker au Kirchentag (journée des Eglises) ! Dans notre Allemagne réunifiée, il faut admettre - et c’est bien triste - que ce qui entrave les gens, c’est le capitalisme. Les gens sont tellement fascinés par l’argent qu’ils perdent de vue Dieu et l’Eglise bien qu’il n’y ait absolument aucun « danger » à exprimer sa foi publiquement. Seriez-vous intéressés par notre projet missionnaire : « Recommencer à zéro : les chrétiens vous invitent à un débat » ?
    Le pasteur Hans Zinnow
    Berlin, Allemagne

    J’ai été très heureux du numéro de septembre 1999 et du compte rendu sur Cuba. Depuis 1985, je me suis rendu dans ce pays quatre fois pour travailler à des titres divers pour les Eglises réformées chrétiennes et j’ai aussi écrit des articles sur cette question pour notre presse religieuse. J’ai été très satisfait de l’honnêteté de ce compte rendu - ou du moins je peux dire que je partage les impressions de l’auteur.
    Le pasteur Jim Dekker
    Thunder Bay, Canada

    Je viens de lire votre rêve sur l’évangélisation dans le nouveau millénaire et j’ai été impressionné à la fois par sa fantaisie et par son réalisme. On a envie de se dire: « et pourquoi pas ? », et d’oeuvrer et de prier pour qu’il se réalise.
    Mme Birgitta Amweg
    Stockholm, Suède

    Je tiens à vous dire mon immense reconnaissance pour la Lettre oecuménique de janvier 2000. C’est de loin la lecture la plus inspirante que j’ai faite sur ce sujet depuis longtemps. Un vrai cadeau. J’aimerais beaucoup en reproduire quelques extraits (en citant la source) dans un prochain numéro de Connections et en diffuser le texte intégral auprès de nos forums régionaux.
    M. Simon Barrow
    Londres, Royaume-Uni

    Note de la rédactrice : M. Simon Barrow est le nouveau secrétaire chargé de la Commission des Eglises sur la mission auprès de la Churches Together in Britain and Ireland (Rassemblement des Eglises de Grande-Bretagne et d’Irlande).

    NOTE AUX LECTEURS

    C’est un plaisir pour nous que de recevoir vos lettres. Nous en publions certaines dans la rubrique "de la boîte à lettres". Si vous souhaitez que les lecteurs vous écrivent directement, faites-le nous savoir en indiquant votre adresse qui sera publiée.

    Aidez-nous à rendre la Lettre oecuménique plus utile encore en en recommandant la lecture à des personnes, des organisations et des institutions de votre Eglise et de votre pays qu’elle pourrait intéresser. Signalez-nous aussi vos changements d’adresse afin que nous puissions tenir notre liste d’envoi à jour.

    Avez-vous des récits susceptibles d’être publiés, des articles, des rapports ou tout autre document utile sur l’évangélisation? Nous vous invitons à nous les envoyer.

    La Lettre sur l’évangélisation peut être citée sous réserve d’indication de la source.


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