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Le 21 octobre 1999

A CUBA, LES EGLISES FONT FACE A UNE SITUATION NOUVELLE


Bloquée dans la capitale de Cuba par l'ouragan Irène, une équipe oecuménique internationale a admiré la capacité d'organisation des Cubains et la rapidité avec laquelle ils se sont mobilisés dans toute l'île pour mettre en sécurité les personnes en danger.

Malgré les dégâts causés par l'ouragan - qui a provoqué la mort de quatre personnes et détruit plusieurs vieux immeubles au centre-ville -, des observateurs qui se trouvaient sur place ont affirmé que sans l'action de la défense civile cubaine, les choses auraient été beaucoup plus graves.

"Nous avons pu observer avec quelle discipline et quelle détermination les gens ont agi, avec quel calme. Ils savaient comment gérer la crise causée par l'ouragan", a déclaré le pasteur Konrad Raiser, secrétaire général du Conseil oecuménique des Eglises (COE).

Le pasteur Raiser est arrivé à La Havane, première étape du voyage qu'il doit effectuer dans quatre pays des Caraïbes et d'Amérique centrale, accompagné de personnalités oecuméniques des régions visitées. La délégation, qui devait s'envoler de Cuba le 14 octobre, a été dans l'impossibilité de quitter l'île jusqu'au jour suivant, où elle a pu partir pour le sud du Mexique. Cependant, l'ouragan s'attardant dans la région, elle n'a pas pu se rendre à Port-au-Prince en Haïti, où des rencontres avaient été prévues avec des chefs d'Eglises et des responsables de mouvements associatifs.

Une solidarité vécue
Le secrétaire général du COE a raconté comment les habitants de l'île ont fait preuve d'une solidarité généreuse qui les a tous aidés à faire face à l'ouragan Irène."J'ai rencontré à Cuba une solidarité sans prétention, qui allait de soi", a-t-il souligné. "Les Cubains ont appris que l'on ne gagne rien à veiller seulement à ses propres intérêts mais qu'au bout du compte, si l'on veille aux besoins de tous et qu'on aide ceux qui sont dans la détresse, cela est bénéfique pour tout le monde. C'est comme cela qu'on devrait pratiquer la solidarité. Cuba a su intégrer une pratique de la société traditionnelle dans la société moderne; cela m'a beaucoup impressionné."

Autre manifestation de la solidarité cubaine : l'Ecole des sciences médicales de La Havane que le pasteur Raiser a visitée le 13 octobre. Fondée après que l'ouragan Mitch eut ravagé l'Amérique centrale, cette école forme de jeunes médecins originaires de pays comme le Guatemala, le Brésil et le Honduras. "La plupart des étudiants viennent de régions rurales et n'auraient pas normalement chez eux la possibilité d'étudier la médecine", a expliqué le secrétaire général. "Quand ils viennent à La Havane pour recevoir leur formation, ils s'engagent à rentrer chez eux au bout de six ans et à retourner dans leur communauté rurale avec le même esprit de service désintéressé que celui qu'ils ont rencontré à Cuba."

L'école de médecine, qui s'est ouverte en janvier dernier, est située dans un ancien bâtiment de la marine cubaine. La dernière bombe en a été retirée en février dernier.

Pour Konrad Raiser, l'école et les programmes de soins de santé communautaires que soutient le COE dans plusieurs régions du monde ont beaucoup de choses en commun. Il s'intéresse à la manière dont ces deux types d'institution pourraient collaborer pour améliorer la santé de la population pauvre, exclue des programme actuels de soins de santé.

A côté de sa visite à l'école qui a eu lieu vers la fin de son voyage de quatre jours, la délégation a participé à de nombreuses rencontres à La Havane et dans la province voisine de Matanzas. Durant les premiers jours, Konrad Raiser a entamé un dialogue avec des étudiants en théologie et prêché dans le cadre de cultes protestants, il s'est entretenu avec l'archevêque catholique de la Havane, et il a également rencontré le président Fidel Castro au cours d'un dîner qui s'est prolongé tard dans la nuit.

Une croissance spectaculaire
Le 13 octobre, alors que l'ouragan s'approchait des côtes de Cuba et que la mer, au large de La Havane, devenait houleuse, le secrétaire général du COE a rencontré des responsables de 33 Eglises protestantes de différentes dénominations qui lui ont parlé de la croissance spectaculaire de leurs communautés, survenues ces dernières années. Selon le pasteur Otoniel Bermudez, pasteur de l'Eglise évangélique indépendante de New Pines et secrétaire général du Conseil des Eglises de Cuba, les participants ont été "surpris de la rapidité avec laquelle Konrad Raiser a saisi la complexité de la situation cubaine". Le pasteur Bermudez a déclaré qu'un grand nombre des responsables d'Eglise présents à la réunion venaient d'Eglises conservatrices et méfiantes vis-à-vis des alliances interconfessionnelles, mais qu'après s'être entretenus avec le secrétaire général du COE, "ils étaient animés d'une confiance nouvelle dans le mouvement oecuménique".

Tous les responsables d'Eglises présents ont mentionné la croissance foudroyante de leurs effectifs. Le pasteur Bermudez a signalé, par exemple, que les effectifs de son Eglise avaient augmenté de 50% en cinq ans et qu'elle compte actuellement 22 000 membres.

Tandis que les analystes semblent indiquer généralement que ce phénomène est le résultat direct de la crise économique où le pays se trouve plongé depuis qu'il a perdu ses relations commerciales privilégiées avec l'ex-Union soviétique, un haut fonctionnaire du gouvernement, qui suit de près l'évolution des groupes religieux, a déclaré que les Eglises elles-mêmes, aujourd'hui, étaient plus crédibles.

"Les Eglises font leur travail et elles le font bien", a affirmé Maira Gutierrez, fonctionnaire de haut rang qui travaille auprès du Bureau des affaires religieuses du Comité central du Parti communiste.

Plusieurs observateurs ont fait remarquer à la délégation que les Eglises avaient démontré leur capacité d'organisation en mettant sur pied, en juin dernier, une Célébration protestante cubaine à l'échelon national : un million de Cubains au moins ont participé à différents aspects de cette manifestation qui a duré plusieurs mois : évangélisation porte à porte, rassemblements de masse dans les villes les plus grandes, etc. Le gouvernement a transmis en direct à la télévision quatre de ces rassemblements, et il a assuré les services de transport pour la célébration la plus grande qui a eu lieu le 20 juin sur la place de la Révolution, à La Havane.

Les célébrations organisées par les Eglises ont pris la forme de rencontres joyeuses qui ont rarement duré plus de deux heures. Un ministre du gouvernement a admis, dit-on, que celui-ci avait beaucoup à apprendre au contact de l'Eglise, vu que les rassemblements de masse qu'il organise sont souvent interminables et "infligent à la population de longs discours de plusieurs heures."

S'il faut attribuer le renouveau de l'Eglise sur l'île à la fois au travail acharné des responsables d'Eglises et à la crise écnomique de la décennie écoulée, il importe de rappeler que c'est au début de cette même décennie que les fonctionnaires du gouvernement ont commencé à se considérer comme des politiciens dans leurs rapports avec les communautés religieuses, et non plus comme des représentants de la police. Certes, les tensions n'ont pas complètement disparu, mais les fonctionnaires du parti sont beaucoup plus nuancés qu'autrefois dans leurs réactions et ils se montrent même souvent coopératifs.

"Les Eglises", a fait observer Konrad Raiser, "ont plus de liberté de manoeuvre". "Le problème, dans les années 60, 70 et 80, ce n'était pas le manque d'initiative des responsables et des membres des Eglises. Ils n'étaient tout simplement pas autorisés à agir librement en tant qu'Eglise. Mais aujourd'hui, le gouvernement a changé sa politique et il concède aux Eglises un rayon d'action qui n'était pas envisageable il y a 15 ans."

Déjouer les pièges
Le réveil de la religion à Cuba comporte des risques particuliers. Un analyste cubain des questions religieuses, Joel Suarez, membre de la communauté baptiste, craint que les difficultés économiques actuelles ne produisent des "chrétiens convertis pour un morceau de savon", des gens qui s'approchent des Eglises en temps de crise économique parce que celles-ci offrent des ressources matérielles - "savon, médicaments" - que l'on ne peut pas se procurer facilement sur le marché cubain. Un tel paternalisme, soutient Joel Suarez, entravera l'Eglise dans sa proclamation d'une espérance authentique en des temps pleins d'incertitude. "L'Eglise offre-t-elle une grâce à bon marché?", interroge-t-il, "un Evangile du paracétamol? ou offre-t-elle l'occasion d'une rencontre avec Jésus, qui complique la vie des gens et les appelle à s'engager davantage dans leur quartier pour être la lumière et le sel de la terre?"

Des responsables d'Eglise ont également exprimé le désir de ne pas tomber dans le piège d'un certain type de triomphalisme, qui met l'accent d'abord sur la croissance numérique des Eglises au détriment de l'analyse critique du contenu de l'enseignement qu'elles dispensent à leurs nouveaux adhérents.

Konrad Raiser, professeur de théologie allemand, a comparé cette situation à celle qu'il a observée dans les anciens pays socialistes d'Europe : "Quand, dans un pays, les fondements idéologiques jusqu'alors fermement établis s'affaiblissent ou s'effritent, il y a des gens qui sont prêts à changer leur cadre de références idéologique contre un cadre religieux." Le danger, a-t-il souligné, c'est que ces nouveaux convertis perdent vite leurs illusions sur leur nouvelle vie religieuse, à moins que l'Eglise ne leur offre un solide programme d'enseignement qui leur permettra d'approfondir leur expérience de foi et leur engagement social.

Dans de nombreux cas, le secrétaire général du COE a été impressionné par la manière extrêmement nette dont l'Eglise cubaine a réagi, en mettant au point des matériaux et des activités pédagogiques qui développeront chez les gens une idée nouvelle de ce que signifie être une communauté chrétienne. A titre d'exemples, il a mentionné le nouveau programme du séminaire oecuménique de Matanzas, un programme d'Eglise destiné à former des responsables laïcs à La Havane, et un programme d'éducation populaire parrainé par l'Eglise et diverses organisations gouvernementales travaillant dans le domaine de la santé.

Pour le pasteur Raiser, les efforts que font les Eglises dans le domaine éducatif "sont, d'une certaine manière, une lutte pour gagner l'esprit des Cubains". Le gouvernement, souligne-t-il, ne veut pas céder de terrain sur le plan idéologique; en même temps, il a acquis un respect nouveau pour la capacité qu'a l'Eglise de rassembler les gens et de développer chez ses membres une certaine conscience critique.

"Les Eglises cubaines sont solidement enracinées dans la piété évangélique et elles demeurent ancrées dans la vie du peuple", a constaté le pasteur Raiser. "Les Eglises se considèrent comme faisant partie intégrante de la société et de la culture cubaines. Elles ne représentent plus un projet étranger, mais, au contraire, elles sont résolues à apporter une contribution constructive au processus de changement des années à venir."

Au cours de sa visite à Cuba, Konrad Raiser était accompagné des personnes suivantes : M. Walter Altmann, président du Conseil des Eglises d'Amérique latine ; Mme Elisabeth Raiser, épouse du secrétaire général , engagée au service de la cause des femmes ; Mme Geneviève Jacques, membre de l'Equipe "relations internationales" du COE ; et Mme Marta Palma, secrétaire exécutive pour les régions des Caraïbes et de l'Amérique latine.

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Le Conseil oecuménique des Eglises (COE) est une communauté de 337 Eglises. Elles sont réparties dans plus de 100 pays sur tous les continents et représentent pratiquement toutes les traditions chrétiennes. L'Eglise catholique romaine n'est pas membre mais elle collabore activement avec le COE. La plus haute instance dirigeante du COE est l'Assemblée, qui se réunit environ tous les 7 ans. Le COE a été formé officiellement en 1948 à Amsterdam, aux Pays-Bas. Le secrétaire général Konrad Raiser, de l'Eglise évangélique d'Allemagne, est à la tête du personnel de l'organisation.