Conseil oecuménique des Églises
Bureau de la communication
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Jérusalem: qui a le droit d'approcher Dieu? |
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Jean Zaru, quaker et ancienne membre du Comité central du Conseil oecuménique des Eglises (COE), s'adressait à un groupe de jeunes adultes venus des Etats-Unis pour assister à un séminaire sur la question de Jérusalem, organisé par le COE du 9 au 15 juillet dernier. Evoquant les restrictions qui pèsent sur les déplacements, la discrimination et la violence que sa famille et elle-même subissent en tant que chrétiens palestiniens, elle se demande souvent si pour Dieu elle n'est pas «une enfant de deuxième catégorie». Jean Zaru est l'une de quelque 2,5 millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza dont l'accès à Jérusalem a été limité ou interdit. En 1993, le gouvernement israélien a en effet adopté des mesures de sécurité particulièrement sévères qui, selon la Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs (PASSIA), «interdit aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza l'entrée en Israël, la liberté de déplacement entre le sud et le nord de la Cisjordanie et l'accès à Jérusalem». Le statut de la ville est au coeur du conflit qui, depuis plus d'un demi-siècle, oppose Palestiniens et Israéliens. L'échec des négociations de Camp David en juillet 2000 a rappelé au monde le chemin qui reste encore à faire pour remplir les objectifs de paix dans la région, et lui a montré que la question de Jérusalem n'est pas près d'être réglée.
Sainte et divisée Depuis le 19e siècle, Jérusalem est devenue l'objet des revendications rivales des Juifs et des Palestiniens. Ces revendications revêtent des dimensions politiques, territoriales et religieuses complexes puisque, comme on le lit dans un rapport de l'ONU, «les deux populations considèrent la ville comme l'incarnation de leur identité nationale et de leur droit à l'autodétermination» (1)
Définir la question de Jérusalem Soulignant que «la question de Jérusalem est indivisible», le directeur de la PASSIA, M. Mahdi Abdul Hadi, distingue six «composantes», chacune indissociable des cinq autres: Territoire - Quelles sont les frontières en cause ? Les frontières définies dans la résolution 181 (1947) des Nations Unies diffèrent des frontières effectivement appliquées entre 1947 et 1967. De plus, l'annexion de terres par le gouvernement israélien depuis 1967 a radicalement changé le tracé des frontières de la ville, notamment de Jérusalem-Est. Population - Qui est et qui sera «citoyen» de Jérusalem ? Depuis 1948, les Palestiniens sont en butte à des politiques restrictives en matière de résidence, de citoyenneté et de logement, qui visent à les chasser de la partie occidentale de la ville et à séparer les Palestiniens de Jérusalem-Est de ceux de Cisjordanie. Leur «principale préoccupation» est de savoir comment les citoyens de la future Jérusalem pourront s'insérer dans l'ensemble de la population palestinienne. Souveraineté - Qui exerce la souveraineté ? Le gouvernement israélien a proclamé «Jérusalem entière et réunifiée capitale de l'Etat d'Israël,» et veut que la ville «reste à jamais sous souveraineté israélienne» (2). Les Palestiniens considèrent pour leur part Jérusalem comme la capitale du peuple palestinien et de son futur Etat Société civile - Comment administrer la ville ? Depuis 1967, Israël a imposé un contrôle municipal dans tout Jérusalem. Le jugeant illégal, les Palestiniens y résistent et s'efforcent de «préserver le caractère arabe de la ville». Religion - Quel est le statut des lieux saints et qui y a accès ? Le libre accès, la liberté de culte et le maintien du «statu quo» sur les lieux saints sont des questions délicates en jeu dans les négociations. Histoire - Comment la ville pourrait-elle être le plus fidèle témoin de son histoire longue et complexe ? Pourrait-elle jamais être considérée comme une ville palestinienne ? Une ville israélienne? Une ville juive? Une ville musulmane ? Une ville chrétienne ? L'importance historique de Jérusalem se lit dans son archéologie, son architecture et ses institutions, qui toutes sont la marque de la longue coexistence de nombreuses cultures et traditions plutôt que l'expression de la domination de l'une ou de l'autre. Tandis que les négociateurs cherchent des solutions, les émotions et les tensions restent vives ; il est clair qu'aucune solution ne satisfera pleinement les deux parties. «Nous aimons la même terre, a dit au groupe Daniel Seidemann, un avocat israélien. Nous n'aspirons pas à partager le même espace. Nous voulons tous préserver notre identité [mais] partager la ville est inévitable sur le plan politique.» Faissal Husseini, membre du Comité exécutif de l'OLP chargé du dossier de Jérusalem, voit dans la ville la clé de la stabilité au Proche-Orient. «Résoudre le problème palestinien et instaurer un Etat palestinien contribueront à apporter la stabilité à la région et à favoriser la coopération... Tâchons de trouver la solution dans la paix, sans nous punir les uns les autres.» Pour Anat Hoffman, membre du conseil municipal, les problèmes pratiques de Jérusalem sont exacerbés par la complexité du conflit. «Dans la pratique, dit-elle, nous pourrions résoudre n'importe lequel des problèmes qui se posent à nous. Mais Jérusalem n'est pas une ville comme une autre. C'est une métaphore.» La question de Jérusalem a des racines historiques, culturelles et religieuses profondes. Mais il faut apporter des réponses à ceux qui vivent là et qui se trouvent face à un avenir de tensions et d'incertitudes. Le COE affirme depuis longtemps déjà que : «Le problème de Jérusalem ne se limite pas à la protection des lieux saints. Il a aussi un lien organique avec les habitants de cette ville, leurs convictions religieuses et leurs communautés.» Les médias internationaux se concentrent souvent sur le conflit entre deux peuples - Israéliens et Palestiniens - et deux grandes religions - judaïsme et islam -, au point que les chrétiens du reste du monde en viennent parfois à oublier qu'à Jérusalem et dans la région environnante vit une communauté chrétienne petite certes, mais importante, qui doit assumer son statut de double minorité.
Chrétiens à Jérusalem Sa Béatitude Torkom Manoogian, patriarche de l'Eglise orthodoxe arménienne de Jérusalem, a souligné la présence ininterrompue en Terre sainte des chrétiens et de l'Eglise et le rôle des patriarcats arménien, orthodoxe grec et latin dans la protection des lieux saints, notamment de l'église du Saint-Sépulcre, conformément à l'édit du «statu quo» de 1852. Le rôle et les responsabilités des Eglises, a-t-il indiqué, doivent être maintenus tandis qu'on discute l'avenir de la ville. Les chrétiens palestiniens ne représentent aujourd'hui qu'environ 2 pour cent de la population de Jérusalem et 3 pour cent de celle des territoires occupés. Cinquante neuf pour cent d'entre eux sont de traditions orthodoxes, 36 pour cent sont catholiques et 5 pour cent protestants. Le Israel Yearbook and Alamanac 1999 décrit la précarité de leur situation en ces termes : «En tant que chrétiens arabes, ils sont minoritaires à deux titres: Arabes dans une population israélienne majoritairement juive, chrétiens dans une société israélienne dominée par les Arabes musulmans.» En plus des différences d'effectifs et de ressources au sein de la communauté chrétienne, «ceux qui insistent sur leur identité palestinienne se trouvent en position d'infériorité par rapport aux Israéliens.» Pour compliquer encore les choses, les juifs israéliens considèrent souvent les chrétiens comme appartenant aux deux grandes majorités que sont le monde arabe et la communauté chrétienne mondiale. Les musulmans, eux, associent les chrétiens de la région avec le puissant Occident chrétien et les considèrent rarement comme une «minorité en péril». C'est pourquoi la communauté chrétienne locale doit veiller à faire entendre les préoccupations des chrétiens dans les négociations sur le statut final de la ville, tout en travaillant à la paix et à la justice sur le terrain. Le centre oecuménique Sabeel est l'une de ces initiatives menées à la base. Pour Jean Zaru, vice-présidente du comité directeur de Sabeel dont elle est l'une des fondatrices, le centre s'efforce de «bâtir une société pluraliste» et d'«offrir une approche à la paix et à la justice qui soit fondée sur la foi». La sensibilité aux religions est la clé du problème, et il y a parfois des tensions avec la communauté chrétienne internationale. «Certains fondamentalistes chrétiens qualifient l'Islam de 'satanique' ce qui ne facilite pas ma tâche de chrétienne chargée d'activités interreligieuses», déplore-t-elle. De tous temps, chrétiens et musulmans ont vécu côté à côte dans la région. «Les Palestiniens sont chrétiens et musulmans, mais ils sont un peuple», explique le père Maroum Laham, recteur du Séminaire du patriarcat latin de Jérusalem. La communauté chrétienne locale est unanime pour réclamer l'ouverture de la ville aux trois religions monothéistes. «L'histoire nous le montre, dit le père Laham, chaque fois que les chrétiens ou d'autres ont essayé de s'approprier Jérusalem, ils ont été rejetés. Il est clair que Jérusalem ne peut pas appartenir longtemps à une religion ou à un peuple.» Dans une déclaration historique de 1994 - le Mémorandum commun de Leurs Béatitudes et des responsables des communautés chrétiennes de Jérusalem sur la signification de la ville pour les chrétiens -, les chefs des communautés chrétiennes ont appelé toutes les parties «à dépasser les visions ou mesures empreintes d'exclusivisme et à prendre en compte, sans discrimination, les aspirations religieuses et nationales des autres, afin de rendre à Jérusalem son caractère véritablement universel et de faire de la ville un lieu saint de réconciliation pour l'humanité».
Le COE et Jérusalem
Des réponses ou d'autres questions ? Depuis 1947, les propositions concernant l'avenir de Jérusalem n'ont pas manqué: d'un statut international spécial à la division de la souveraineté et du contrôle. A Camp David en juillet dernier, c'était la première fois dans l'histoire des négociations de paix que l'on abordait le statut de Jérusalem. Bien qu'aucun accord n'ait été conclu, le fait que cette question ait été discutée est un signe d'espérance. Les fidèles des trois religions attendent ces signes avec impatience. «Jérusalem doit demeurer la cité de Dieu et être accessible à tous,» déclare Sa Béatitude Michel Sabbah du patriarcat latin de Jérusalem. «Elle ne doit pas être gouvernée comme n'importe quelle autre ville du monde.» Des millions de croyants sont venus à Jérusalem pour prier sur ses pierres. Il leur faut aussi prier pour ses «pierres vivantes», ses habitants, pour la paix et pour la solution qui fera de Jérusalem une ville véritablement sainte.
1) The Status of Jerusalem (1997) - Division for Palestinian Rights (DPR) Study. Le DPR fait partie du Département des affaires politiques du Secrétariat de l'ONU. Les documents sur Jérusalem (en anglais seulement) publiés par l'ONU figurent sur le web: http://www.un.org/Depts/dpa/qpal/jeru_f.htm
2) Loi adoptée par la Knesset d'Israël proclamant Jérusalem capitale de l'Etat d'Israël, 29 juillet 1980; Guidelines of the Government of Israel, June 1996.
Sauf mention contraire, les données citées dans cet article proviennent de la Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs (PASSIA).
Vous pouvez obtenir des photos de Jérusalem sur ce site.
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