Ces versets résument le ministère de Jésus, ministère d'une parole inspirée et inspiratrice qu'il traduit en actes concrets et édifiants, en événements qui nous stimulent et nous interpellent. Ces versets résument le dessein et la volonté de Dieu concrétisés au travers de l'action du Christ. C'est à cela que se réfère l'Apôtre Paul en s'adressant aux Colossiens: "Dieu vous a réconciliés dans le corps périssable de son Fils, par sa mort"; il nous a sanctifiés et nous enjoint de demeurer fermes dans la foi (Colossiens 1,22-23). Paul dit de Jésus qu'il est le Christ, lui conférant ainsi le titre le plus élevé de tous, et qu'il est le représentant du Dieu invisible. C'est donc à travers lui que Dieu se révèle et entre directement en relation avec les êtres humains et toute la création. Quand nous sommes en relation avec lui, nous sommes en relation avec Dieu. Quand nous le connaissons, c'est Dieu lui-même que nous connaissons. Quand nous l'accueillons, c'est Dieu lui-même que nous accueillons. Quand nous le discernons, c'est Dieu que nous discernons. De même, quand nous faisons du bien ou du mal à l'un des plus petits de ses frères, c'est à lui que nous le faisons, comme le dit Matthieu 25. En lui, toutes choses sont liées, toutes choses ont un sens et gardent une cohérence.
Lorsque nous considérons la pratique de Jésus, au travers de laquelle il nous révèle Dieu, ce que nous découvrons, c'est une pratique de vie, qui engendre la vie, la défend et en renforce la dignité. Cette pratique s'oppose aux systèmes de mort; elle rend possible l'élaboration de projets de vie au coeur d'une société accablée par l'injustice, une société dans laquelle l'exploitation, l'exclusion, l'oppression religieuse, politique et sociale et la pauvreté sont le lot de la grande majorité du peuple.
Qui d'entre nous ne connaît les récits de la bible qui nous montrent Jésus en train de faire le bien, de répondre aux besoins des autres, de mettre à profit de la meilleure manière possible le potentiel des personnes qui le suivent et l'entourent.
Qui de nous ne s'est pas réjoui de la manière dont il résolvait les situations difficiles, rendait à chacun sa dignité et faisait des miracles? Mais ne nous y trompons pas. Nous parlons de miracles et non pas de tours de magie destinés à attirer l'attention ou à faire étalage de son pouvoir. Ici et là, nous le trouvons tout entier engagé dans l'accomplissement d'actes de compassion et de solidarité ancrés dans sa mission. De tels actes ont toujours dépassé les espérances et l'évidence, offrant des expériences et des enseignements profonds à toutes les personnes qui l'entourent, et même à nous, aujourd'hui.
Qui d'entre nous ne se souvient comment il a guéri cette femme qui, pendant 18 ans, avait souffert d'un mal qui avait courbé son dos? (Luc 13,10-17). Certainement, vous vous rappelez comment cette femme a profité de son invisibilité, de l'indifférence qu'on lui témoignait et de la manière dont l'ignoraient ceux qui lui refusaient l'accès au temple pour la seule raison qu'elle était femme, pour y pénétrer et se présenter devant Jésus. Jésus s'est mis à la guérir sans qu'ils eussent échangé un seul mot. Les mots étaient superflus. La communication avait été établie. Tout son corps n'était qu'appel, demandant la guérison. Le fait qu'elle se trouve là à cet instant était en lui-même un message qui laissait clairement entendre ce qu'elle voulait voir arriver dans son corps et dans sa vie, qui disait sa foi. Jésus, ému de compassion, et pour remplir sa mission, agit. Il accomplit le miracle. Toutefois le miracle ne se limite pas au fait que la femme courbée a retrouvé sa posture, qu'elle s'est redressé et s'est mise à louer Dieu. Non, outre cela, comme le dit Annice Callahan dans son livre "Spiritual Guides for Today" (Guides spirituels pour aujourd'hui), Jésus crée un événement dont la portée historique est incommensurable.
L'une des traductions de la bible (Revised Standard Version) dit qu'il l'appela et la fit venir vers lui. Nous pouvons donc conclure qu'il l'a placée au centre de la synagogue et que là, il l'a touchée et l'a guérie sans prononcer une seule fois le mot "péché". Et tout cela, il l'a fait le jour du repos du sabbat. Annice Callahan résume ainsi la portée de cet acte: "Lui parler en public était une manière d'écarter toutes les restrictions imposées à la liberté des femmes. La faire venir au centre de la synagogue constituait une remise en question du monopole de la grâce et de l'accès à Dieu que détenaient les hommes. En affirmant que sa maladie n'était pas un châtiment divin que lui valait le péché, il déclarait la guerre a tout un système de domination. En la touchant, il révoquait le code de sainteté et tous les préjugés masculins qu'il contient au sujet de l'impureté des femmes. En l'appelant "fille d'Abraham", il faisait d'elle un membre à part entière du peuple de l'Alliance, de condition égale à celle des hommes devant Dieu. En outre, en la guérissant le jour du repos, il a libéré le sabbat, afin qu'il devienne un jubilé de liberté et de restauration."
Il est évident que la mission de Jésus avait une portée globale. Elle correspondait à tous les aspects que nous trouvons énoncés dans les versets du chapitre 4 de Luc que nous avons entendus: la guérison, la réintégration dans la communauté, la libération de toutes les formes d'enfermement et d'oppression et la proclamation ouverte, claire, limpide et ferme qui amène une transformation des personnes et de tout ordre établi injuste. Chacun de ces actes contenait un enseignement profond, qui transformait les relations humaines et révélait l'amour et la grâce de Dieu à l'égard de l'humanité.
Qui d'entre nous ne connaît pas cet autre récit qui nous montre Jésus en train de résoudre miraculeusement une autre situation de détresse collective où il s'agit de la faim? Vous en souvenez-vous? Les disciples étaient préoccupés, car la foule devait avoir faim; ils ont fait part de leur souci à Jésus, qui leur dit de leur donner eux-mêmes à manger. Les disciples ont pensé qu'il leur demandait d'aller acheter de la nourriture pour la donner aux gens, que la solution était l'argent et que l'action requise était d'acheter . Au lieu de cela, avec cinq pains et deux poissons qu'un petit garçon dans un geste de générosité, avait mis à la disposition des disciples pour nourrir la foule, Jésus accomplit le miracle. En recevant le cadeau du petit garçon, Jésus souligne la valeur du don, la solidarité, la simplicité et la foi. Par la manière dont il procède et répartit la foule en groupes de 50 personnes, il réaffirme l'importance qu'il y a à organiser le peuple pour faire face aux problèmes de la collectivité et les résoudre. Le miracle lui-même doit avoir consisté à convaincre les gens de donner les pains et les poissons qu'ils avaient gardés par devers eux - je dirais même qu'ils les avaient stockés - pour les manger eux-mêmes, au cas où ils ne trouveraient rien d'autre.
Lorsque l'on met ensemble ce que chacun possède, il y non seulement assez pour toutes et tous, mais il y a même des restes, car Dieu, dans son amour infini, a prévu suffisamment de biens pour toute l'humanité. Le problème réside dans le fait que non seulement ceux-ci sont mal répartis, mais que nous les tenons cachés. Nous n'avons qu'à corriger cet état de choses, ce qui n'est pas une mince affaire. Telle est aujourd'hui la nouvelle, l'exigence de l'Evangile qui nous est adressée; si nous la mettons en pratique, nous pouvons la transformer en bonne nouvelle pour les pauvres, en pratique du jubilé et en proclamation crédible de l'année de la faveur du Seigneur. Il est probable que jamais auparavant, l'intervention de notre foi, du témoignage chrétien, de l'obéissance à l'Evangile n'a été aussi urgente qu'aujourd'hui.
Actuellement, la situation de nos peuples respectifs et celle qui prévaut au niveau mondial sont véritablement alarmantes. Il ne peut en être autrement quand ce sont les forces du marché qui règnent sur la société. La logique dominante, qui nous affecte toutes et tous, est une logique d'exclusion, de marginalisation, une logique qui consiste à écarter ou à éliminer ceux qui n'apportent pas la contribution que les puissants attendent d'eux. Notre participation aux décisions qui touchent nos vies est de jour en jour plus réduite. Nombre de personnes ont le sentiment que ce qui leur arrive laisse tout le monde indifférent. Combien de personnes sont contraintes d'abandonner leur foyer avec tous leurs biens, à cause de conflits armés par exemple, de la dégradation de l'environnement, de la faim et du chômage, pour aller se heurter, là où ils arrivent - ceux qui arrivent - à des murs impossibles à franchir, à des portes fermées, à la discrimination et au mépris ! Combien de communautés autochtones ont été détruites ou déplacées !
Des millions de personnes sont condamnées à des conditions de vie qui s'apparentent plus à des conditions de mort, particulièrement difficiles et inhumaines. De plus en plus, la richesse se concentre entre les mains de quelques-uns. Des pays entiers sont soumis à des programmes d'ajustement structurel, contraints de s'engager dans des processus de privatisation - qui aboutissent à dénier à la majorité des citoyens leurs droits individuels et sociaux tels que la santé, l'éducation, le travail et la terre - et à détourner des sommes énormes pour le paiement du service de la dette extérieure, impayable et irrécouvrable.
La pauvreté augmente et se répand à une rapidité incroyable. Dans de nombreux pays, des secteurs entiers de la population qui jouissaient auparavant de quelque bien-être, souffrent aujourd'hui de privations graves. Combien de communautés nouvelles ne se sont-elles pas créées autour des décharges d'ordures où des centaines de familles essaient de survivre en mangeant les reste sales et malodorants des autres ! Aujourd'hui, environ 60 % de la population mondiale vivent dans la pauvreté, tandis que 1 300 ou 1 500 millions d'êtres humains reçoivent moins d'un dollar par jour, ce qui constitue un niveau de dénuement si grave qu'il bafoue la dignité et les sentiments, l'esprit même des personnes.
Les femmes représentent la majorité de la multitude des personnes qui sont privées de leurs droits fondamentaux, y compris du droit à la vie. Avec leurs filles et leurs fils, elles sont les plus pauvres d'entre les pauvres.
L'un des phénomènes les plus cruels qui caractérisent aujourd'hui notre monde, c'est la maltraitance, l'exploitation, l'abus sexuel et l'abandon des enfants. Combien de fillettes et de garçonnets sont obligés de vivre dans la rue et de travailler dans des conditions infra-humaines ! Combien d'entre eux se voient refuser l'accès à une éducation et à une enfance heureuse ! Combien d'entre eux, par exemple, sont exploités dans la pornographie, dans le trafic de drogues, la prostitution infantile et la vente d'organes ! Comme si cela ne suffisait pas, à cela s'ajoute ce que l'on a dénoncé comme le "génocide silencieux", qui n'est rien d'autre que la mort, chaque année, de 11 millions de fillettes et de garçonnets. Leur mort pourrait être évitée avec un peu d'argent que quelques pays riches se refusent à donner tout en sachant ce que cela signifie.
En accord avec l'Organisation des Nations Unies, 37 000 sociétés multinationales, avec plus de 200 000 succursales, contrôlent 75 % de tout le commerce mondial des biens, des produits manufacturés et des services. Ces entreprises emploient moins de 5 % de la force de travail mondiale. Elles produisent et consomment des substances qui détruisent la couche d'ozone. Elles émettent 50 % des gaz provoquant l'effet de serre qui met en danger la vie même de la planète.
Dans plusieurs pays, nous avons connu des phénomènes atmosphériques qui ont causé de terribles dégâts. On a tendance aujourd'hui à les appeler "actes de Dieu", ce qui est une manière pour les êtres humains d'éviter d'en assumer la responsabilité. Tout paraît cependant indiquer que, directement ou indirectement, ces phénomènes ont un rapport avec l'activité humaine. Il faut se demander pourquoi, dans les analyses qui ont été faites de l'ouragan el Nino, on ne mesure pas les effets des expériences nucléaires réalisées dans le Pacifique, par exemple, sur le réchauffement des eaux maritimes, alors que c'est dans cette partie du monde qu'ont commencé les changements associés à ce réchauffement. Il est clair que les effets les plus nocifs de ces phénomènes retombent toujours sur les secteurs et les nations les plus appauvris, les plus vulnérables, de la planète. Ce ne sont pas la volonté ni l'action de Dieu, qui est miséricordieux, qui sont à l'origine de tout cela, mais ce sont les desseins de l'être humain. Notre région - les Caraïbes et l'Amérique latine - tout comme l'Afrique, ont été durement frappés. Récemment, le Honduras et le Nicaragua ont été dévastés par un ouragan. Plus de11 000 personnes ont perdu la vie et les infrastructures, l'agriculture et les moyens de production ont été complètement détruits.
Il semblerait qu'il y ait un complot contre les peuples pour leur refuser leur liberté, les maintenir prisonniers du colonialisme, de la dépendance, de ce que l'on appelle à tort l'endettement et de la pauvreté, et en fin de compte, pour les détruire, les éliminer.
Dans la plupart des contextes, il n'est pas facile de garder l'espérance, qui n'est autre chose que l'action dynamique et transformatrice; et, pourtant, les gens ne s'avouent pas vaincus. Contre vents et marées, ils font preuve d'une capacité extraordinaire pour se maintenir à flot et continuer d'aller de l'avant. Partout, il y a des groupes, des organisations populaires qui mobilisent les enfants, les femmes, et jusqu'à des communautés entières. Hommes, femmes et jeunes s'unissent pour défendre la nature, la création de Dieu. Ils s'unissent aussi pour défendre la vie des personnes et des communautés en lançant des initiatives, des programmes d'échanges d'expériences, de connaissances et de ressources de toutes sortes, comme les analyses sociales, les visions pour l'avenir et les solutions immédiates, ou à plus long terme, à divers problèmes. La majorité d'entre eux espèrent, et réclament même, que nous soyons à leurs côtés en tant qu'Eglises locales, nationales, ou en tant que Conseil oecuménique des Eglises; mais ils ne s'attardent pas à nous attendre. Si nous ne nous joignons pas à eux, le chemin est souvent plus ardu, mais ils ne vont pas pour autant cesser d'avancer.
"Mondialiser la solidarité" est devenu aujourd'hui le mot d'ordre de milliers de personnes qui refusent d'accepter que nous sommes parvenus à la fin de l'histoire et qui, avec courage, ont relevé le défi de réécrire cette histoire que d'autres veulent leur imposer. Là, il y a des Eglises et des secteurs au sein des Eglises qui s'unissent à d'autres groupes de la population. Ils agissent, à mon sens, comme Jésus lui-même a agi. Là où l'on dit captivité, ils écrivent liberté. Là où l'on dit préjugés et exclusion, ils ouvrent les portes et les coeurs. Là où l'on impose la pénurie, ils s'unissent et partagent ce qu'ils ont, mettent en question la mauvaise répartition des biens. Là où l'on exige le remboursement impossible de la dette extérieure, là où règnent l'exploitation et l'oppression, ils écrivent jubilé et justice. Là où l'on dit désespérance, ils écrivent espérance en imaginant des projets et des solutions de rechange. Il semble que cela soit comme au temps de Jésus: au moment où certains pensaient que la fin était proche, tout ne faisait que commencer à peine, parce que Dieu, dans son amour infini, n'abandonne pas l'humanité. Il ne cesse jamais d'être attentif aux gémissements des peuples et de cheminer avec eux. En tant qu'Eglises et que Conseil oecuménique des Eglises, nous avons pour tâche envers tout le monde créé de ne négliger aucun des aspects cités dans notre passage de l'Evangile, aspects qui ont trouvé leur expression concrète et historique à travers l'action de Jésus Christ.
Pratiquer l'unité et la solidarité, promouvoir l'organisation, la réconciliation et la restauration du peuple, s'unir pour partager avec les autres les ressources dont nous disposons, promouvoir la santé et la guérison pour tous, réintégrer les exclus dans la communauté, oeuvrer pour la libération de toute forme d'oppression et d'enfermement, et proclamer une parole claire et ferme qui transforme, une parole qui abolit toute injustice, sont les tâches imprescriptibles qui font partie de notre ministère. Cela paraît beaucoup, mais nous n'avons pas d'autre choix.
Que l'amour du Dieu de l'histoire qui s'est incarné pour habiter parmi nous, la grâce de Jésus Christ et la présence de l'Esprit Saint nous illuminent, nous stimulent dans notre marche et nous comblent de joie, afin que nous répondions aux interpellations que nous adresse l'Evangile, en ce moment historique.
Amen !
Eunice Santana, pasteur
La rév. Eunice
Santana est un des sept présidents du Conseil Oecuménique. Elle est pasteur dans
la Christian Church (Disciples of Christ) à Puerto Rico.