Conseil oecum‚nique des Eglises

Huitième Assemblée
Séance délibérante: "Ubuntu et le kairos africain"
Document no. AF 1

Contenu

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1. Ordre du jour

2. Afrique : L'empreinte de Dieu par N. Barney Pityana

3. De la périphérie vers le centre - lettre à mes ancêtres par Mercy Amba Oduyoye

4. Engagement pour un pèlerinage de l'espèrance

Ordre du jour

Bienvenue et introduction
Un soleil se lève sur une immense carte du continent et on entend le battement des tambours africains. Une brève projection de diapositives commence. A la fin de cette projection, le battement des tambours s'atténue et le président de séance, Aaron Tolen, prend la parole pendant cinq minutes.

Conversation sur l'ubuntu et le kairos africain
Sur scène, trois acteurs engagent un dialogue qui décrit le conflit opposant deux héritages: celui de l'oppression et de la domination d'une part, et celui de la résistance et de la lutte de l'autre. Cela devrait déboucher sur la situation actuelle où, pour la première fois depuis très longtemps, ayant la possibilité d'être libre et le droit de n'être pas opprimée, l'Afrique s'efforce de définir elle-même son avenir.

C'est une troupe de théâtre populaire, le ZACT, qui raconte ces histoires à travers trois sketches:

Tambours et chants

Analyse et explication
Le pasteur Barney Pityana et Mme Mercy Oduyoye donneront une analyse et une explication des sketches (15 mns chacun) qui contribueront à montrer la relation entre la situation africaine et la situation mondiale. Elles contribueront également à établir un équilibre entre la méthode et le contenu où l'on présente les problèmes contemporains de l'Afrique et la manière dont le continent les affronte.

Discussion plénière
Le président invite les participants à intervenir. Les délégués ont ainsi la possibilité d'apporter leurs témoignages personnels. Les questions et les commentaires sont également les bienvenus.

Acte d'engagement
Cinquante-trois enfants africains, conduits par Mlle Nyoni, entrent sur scène en chantant Nkosi Zikilela Africa. Chacun d'eux porte le drapeau d'un pays du continent pour symboliser l'unité dans la diversité.

La séance plénière se termine par un acte d'engagement - tous les Africains du continent et de la diaspora se lèvent, où qu'ils soient dans la salle; ils s'engagent à travailler pour une Afrique meilleure, et surtout déclarent que jamais plus l'Afrique ne sera humiliée. Lors de cet acte d'engagement, les Africains appellent l'Assemblée à les accompagner dans ce cheminement d'espérance. Les autres délégués leur répondent en se levant pour chanter avec eux Nkosi Zikilela Africa en signe de solidarité mutuelle.

A la fin de la séance, de tous les coins de la salle s'élève le battement des tambours de différentes régions d'Afrique. A mesure que les délégués quittent la salle, les tambours se taisent. La séance plénière est suivie d'une soirée culturelle qui marque la seconde étape de cette présentation du continent.



Afrique : L'empreinte de Dieu
par N. Barney Pityana

Une série d'empreintes fossiles de pieds humains a été découverte récemment à Langebaan sur la côte ouest de l'Afrique du Sud. Les paléontologues estiment qu'elles remontent à 11700 ans. Elles ont probablement été faites par un ancêtre de la race humaine moderne. Il s'agit là de quelques-uns des plus anciens vestiges d'êtres humains anatomiquement modernes mis au jour jusqu'ici, et ils font partie des éléments de preuve réunis par les archéologues et les spécialistes de la préhistoire indiquant que l'Afrique est le berceau de l'humanité et le lieu d'origine des peuples modernes.

Cette récente et spectaculaire découverte d'une humanité ancienne contraste avec la rencontre des visiteurs européens modernes, puis des colons, avec l'Afrique. Au 15ème siècle, des marins européens débarquèrent sur le sol africain et rencontrèrent ses habitants. La chose la plus étonnante qu'ils découvrirent fut que ces gens n'avaient pas de religion. Il n'y avait aucun signe de vie religieuse: pas de temples ni d'architecture sacrée, pas d'endroits visiblement réservés à un usage sacré, pas de moments consacrés au culte, pas de gestes dénotant une conscience du divin. Ces gens chantaient, dansaient et battaient leurs tambours avec un exhibitionnisme sensuel.

Il n'est donc guère surprenant d'avoir découvert en Afrique non pas une preuve de l'existence d'une religion pratiquée par une humanité ancienne, mais au contraire la quintessence même de l'être humain: des empreintes de pieds. Ces hommes ont laissé leur marque sur leur environnement. Ils se déplaçaient pour récolter de la nourriture, maîtriser leur environnement et pour établir des relations. La race humaine marche. On ne découvre pas la culture ni le mode de vie d'un peuple ancien à travers les objets de culte, mais plutôt à travers les activités liées à son existence humaine. On a trouvé dans les graviers de l'ouest de la province du Cap des fossiles d'animaux, de plantes et de créatures marines, et d'outils de pierre vieux d'au moins un million d'années, avec lesquels les hommes façonnèrent ce dont ils avaient besoin pour vivre. La grotte de Peer à Fish Hoek témoigne de la présence d'êtres humains remontant à environ 500.000 ans. L'homme de Fish Hoek, découvert en 1927 parmi neuf squelettes humains, était âgé d'environ 12.000 ans. Pour moi, ceka signifie que les peuples de l'Afrique marchaient avec Dieu et que Dieu marchait avec eux. La forme de l'empreinte ressemble à la configuration de l'Afrique. Il ne peut y avoir aucune autre empreinte, aucune autre marque de Dieu que son identification avec l'activité humaine. Le Dieu de l'Afrique coïncide et coexiste avec les peuples de l'Afrique. Dieu n'a d'autre existence que sa présence avec les êtres humains. Dieu est faible et vulnérable parce que nous n'en avons pas connu d'autre. C'est le Dieu qui partage notre condition humaine, parce qu'il n'a pas d'autre existence que la nôtre. Nous n'avons connu Dieu qu'à travers les gens que nous rencontrons tous les jours. Il n'y a donc pas de temples, d'architecture de pierre, de lieux, de vêtements ni de moments sacrés. L'entière activité des gens, leur existence même était une vénération de la divinité, qui est le créateur. Pour comprendre les peuples de l'Afrique, il est donc nécessaire de modifier le paradigme sur Dieu et la vie religieuse. L'Afrique est l'empreinte de Dieu.

En parlant de l'Afrique, il faut éviter la tentation de deux discours extrêmes : d'une part brosser le sombre portrait d'un continent perpétuellement en crise, d'un peuple qui a été victime d'exploitations tout au long de l'histoire moderne, d'un continent où sévissent la corruption et les conflits et où les gens souffrent de toutes les maladies imaginables. Un monde sans science ni connaissances. Zephania Kameeta nous donne l'un des exemples les plus frappants de cette vue de l'Afrique exprimée par Keith Richburg, un journaliste africain-américain qui a travaillé dans les points chauds du continent.

"Parlez-moi de l'Afrique, de mes origines noires et de ma parenté avec mes frères africains, et je vous rejetterai tout ça à la figure, puis je vous mettrai le nez dans des images de chairs pourrissantes... Mais par-dessus tout je me dis : Dieu soit loué que mon ancêtre ait quitté ce continent, parce que maintenant je n'ai rien à voir avec ces gens".
D'autre part, à l'autre extrême, on trouve l'éminent spécialiste africain-américain des anciennes civilisations de l'Afrique, Manning Marable. Il s'attache à démontrer ce que l'Afrique a apporté à la civilisation moderne, l'Afrique berceau de l'humanité, source du savoir, de la science et de la culture anciennes, et les grands Africains qui ont influencé l'histoire des connaissances et de la civilisation. C'est une étonnante révélation de l'histoire dans une perspective africaine, où l'Afrique est le sujet et non l'objet des événements, et où les outils de l'interprétation sont entre les mains de l'Africain, qui raconte sa propre histoire. Le problème de cette approche est qu'elle ne prend pas en compte le fait que l'Afrique n'est plus visible : elle a été submergée par la misère, la souffrance et l'exploitation qui sont aujourd'hui le sort de beaucoup de ses habitants. La colonisation lui a ravi son âme. L'autre danger, c'est que l'on est enclin à rendre tout le monde responsable de ce qui est arrivé à l'Afrique, sauf les Africains eux-mêmes. Dans cette optique, ces derniers n'ont pas à assumer la responsabilité de leur condition, de leurs politiques, de leur économie, ni de leur culture: il y aurait des forces à l'oeuvre, un deus ex machina qui exerce son influence diabolique sur ce malheureux continent et ses populations. C'est la théorie de la "victimologie", et nous devons l'éviter.

J'offre ici une position médiane entre ces deux extrêmes : ne succombons pas au pessimisme ni au cynisme des détracteurs de l'Afrique, mais ne cherchons pas non plus à glorifier son passé comme le font ses admirateurs. Je me sers de la foi comme d'un instrument pour interpréter le coeur et l'âme de l'Afrique. L'image des empreintes de pieds est celle par excellence qui me dit que le peuple africain a voyagé et peiné avec Dieu pendant des siècles. Les Africains sont le peuple de la foi. C'est elle qui les a soutenus. Elle fait partie de leur vie ordinaire et quotidienne. Elle leur dit que Dieu demeure parmi eux. Dieu marche et souffre avec eux. Dieu n'est pas l'explication ultime, parce que ce sont les gens qui sont l'explication de leur environnement et de leurs circonstances. Il est intéressant de constater que les Africains n'accusent jamais Dieu d'être l'auteur de leur souffrance. La théodicée ne fait pas partie de la philosophie de notre religion. Tout effet a une cause, et la nécessité de trouver un sens et une explication fait que les devins auront toujours du travail, parce qu'ils peuvent voir au-delà du monde élémentaire. Le mal n'arrive pas simplement comme ça, il a une cause, souvent la méchanceté humaine, et en fin de compte des forces mauvaises dépassant l'entendement humain. L'homme a le pouvoir de faire le bien et le mal.

Les Africains ont cheminé avec Dieu, et Dieu a dressé son tabernacle parmi eux. Dieu s'est incarné. Les Africains étaient soutenus par la foi et vivaient dans la foi. Leur cosmologie reliait le passé, le présent et l'avenir par l'intermédiaire des ancêtres. Les esprits des ancêtres étaient toujours présents, servant de médiateurs, et intervenant dans les événements de la vie. Cette conception de la vie signifiait que les Africains étaient des gens tolérants. Oui, ils faisaient la guerre, ils avaient des héros et des héroïnes. Oui, les groupes dominants opprimaient les plus faibles. C'était la loi de la nature. Mais ceux qui vivaient sous leur protection étaient acceptés, et l'étranger était sûr de recevoir l'hospitalité. Cela explique pourquoi les Africains furent colonisés : ils acceptaient et accueillaient les étrangers. Ils étaient vulnérables à des forces qui ne comprirent pas leurs modes de vie. Les religions du monde trouvèrent une patrie en Afrique. Aucune culture n'y était totalement étrangère; elle devenait partie constituante du tout, et trouvait son expression dans la culture du continent entier. Voilà pourquoi nous avons aujourd'hui en Afrique un mélange de cultures et de religions. Le peuple africain chemine avec Dieu dans la foi.

Mais cette foi est en crise, et il est même possible qu'elle soit la cause de la crise qui touche le continent. Les Africains ne sont ni meilleurs ni pires que le reste des habitants de la planète. Ils recherchent de meilleurs modes de vie pour eux-mêmes et leurs enfants. Ils rêvent de liberté, de meilleures chances, et des moyens d'élargir les possibilités de choix dans leur vie. Ils ont vu des gouvernements s'installer et disparaître. Des puissants leur ont imposé leur domination, puis, leur heure venue, ont mordu la poussière. Il y a un cycle dans la vie qui est aussi prévisible qu'inévitable. C'est ainsi que la foi de l'Afrique a toujours été liée aux hommes. Les gens ont toujours influencé les événements qui s'y sont produits. La foi est en crise parce que la confiance dans les gens a été ébranlée, trahie. Dieu semble avoir déserté le peuple africain. Le Dieu qui leur avait insufflé de l'espoir en pleine tragédie et les avait soutenus pour l'avenir ne réside plus parmi eux. Les gens ont souvent été abandonnés à des forces impitoyables et rapaces. Comme les Israélites, nous avons essayé d'être comme les autres nations, oubliant que parmi nous demeure le Dieu qui voyage avec nous. Nous avons bâti des murs de division et d'hostilité qui nous séparent les uns des autres; nous avons créé des armées et gaspillé des ressources pour fabriquer des instruments de destruction. Nous avons tourné nos armes contre nous-mêmes et nous sommes détruits mutuellement dans des guerres fratricides. La richesse de nos nations a été marchandée sur les marchés mondiaux, avec peu d'égard pour les besoins de nos populations. Nos dirigeants nous ont volés, pais ont déposé notre argent dans des banques européennes. Nous ployons sous le fardeau de la dette. Dans de telles circonstances, la foi de nos ancêtres a besoin d'une ré-incarnation. Mais il n'y a là rien de nouveau.

J'ai dit que j'inventais simplement un outil d'interprétation, et que je ne cédais pas à la tentation de faire de l'apologétique. Il me semble que cet instrument nous ramènera au peuple africain et à sa foi en Dieu. Le triple défi qui nous est lancé est celui-ci : éliminer la pauvreté; instaurer la démocratie, le respect des droits de l'homme et de bons systèmes de gouvernement; et fixer des normes pour un univers obéissant aux règles de la morale.

Si je commence par la pauvreté, ce n'est pas par désir de céder à l'accablement au sujet de l'Afrique. Bien que j'accepte que ce continent doive assumer la responsabilité de la conduite de ses propres affaires, on ne peut oublier le fait que la pauvreté n'est pas la condition naturelle de l'homme. Elle est causée par lui, elle résulte de choix politiques, qui entraînent l'appauvrissement des uns et l'enrichissement des autres. Dans la mesure où la pauvreté est causée par l'homme, je suis convaincu qu'elle peut être éliminée. Le Rapport mondial sur le développement humain de 1997 l'exprime succinctement de la manière suivante :

Cette affirmation pleine de confiance est un grand signe d'espoir. Avec de la bonne volonté et la volonté politique nécessaire, la pauvreté peut être abolie. Quelque 200 millions de personnes en Afrique subsaharienne gagnent moins de 1 dollar EU par jour, 122 millions sont illettrées, 205 millions n'ont pas d'eau potable, et 205 millions ne bénéficient d'aucun service de santé. Cette situation doit et peut être retournée de notre vivant. C'est possible si on élimine la corruption dans la gestion des ressources publiques. La corruption est du vol aux dépens des pauvres. C'est possible si les pays réordonnent leurs priorités pour la distribution des ressources disponibles, de manière à favoriser clairement les pauvres dans les mesures d'intérêt général prises par les gouvernements. En d'autres termes, cet objectif peut être atteint s'il existe la volonté politique de le faire; si la mondialisation, et le fléau que sont les marchés, sont maîtrisés, et gérés de telle manière que les plus démunis en bénéficient, et si l'on cherche à instaurer une véritable interdépendance et un réel partage du fardeau dans les politiques commerciales. Cela sera possible dans un monde moins égoïste. Cela peut se faire si les pauvres n'ont pas à porter le poids écrasant de la dette. Nous pouvons y arriver. La pauvreté est une malédiction pour l'humanité. Le Rapport mondial sur le développement humain, 1998 a désigné la progression de la consommation comme l'une des caractéristiques de la vie moderne qui devra être modifiée si l'humanité veut pouvoir relever le défi de l'éradication de la pauvreté.

La seconde tâche que j'ai indiquée est d'établir la démocratie, le respect des droits de l'homme et de bons systèmes de gouvernement. Bien entendu, on ne pourra éradiquer la pauvreté et éliminer la corruption que si l'on poursuit des politiques véritablement démocratiques, et si l'on est sensible aux besoins des gens et qu'on cherche à les satisfaire; bref, si l'on met en place de bons systèmes de gouvernement. Ces aspirations sont exprimées dans la vision des Etats africains qui, dans le préambule à la Charte de l'Organisation de l'unité africaine, fondée en 1963, ont déclaré que "la liberté, l'égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à atteindre pour que soient réalisées les aspirations légitimes des peuples africains...". La Charte des droits des personnes et des peuples africains, adoptée en 1981, propose un idéal commun et minimal à atteindre par les peuples africains, fondé sur "les vertus de leur tradition historique et les valeurs de la civilisation africaine, qui devraient inspirer et caractériser leur réflexion sur le concept des droits des personnes et des peuples". Dans son rapport à l'Assemblée générale, Kofi Annan fait référence à la renaissance de l'esprit de l'Afrique, qui cherche à examiner sérieusement et honnêtement les modèles du passé. Il affirme notamment que les droits de la personne et la primauté du droit sont la pierre angulaire du bon gouvernement. Si l'Afrique s'engage à exercer judicieusement le pouvoir politique, à faire participer librement les populations à la gestion de leurs pays, à assurer une interaction entre les gouvernés et ceux qui les gouvernent par consentement mutuel, à éradiquer la corruption et à faire que chacun soit en toutes circonstances comptable de ses actions, elle assurera la stabilité à long terme, la prospérité et la paix à tous ses peuples. Voici comment Kofi Annan exprime cette vision :

Il reste encore quelques points d'interrogation sur les formes de démocratie les mieux appropriées pour l'Afrique. Après les beaux jours des élections multipartites, le démantèlement des Etats gouvernés par un parti unique et le renversement des présidents à vie depuis la fin de la guerre froide, on se pose d'innombrables questions non seulement sur "la vitalité, la qualité' et la pertinence de la sorte de transition démocratique qui est en cours sur le continent, mais aussi sur sa viabilité et les perspectives de consolidation et d'institutionnalisation des réformes mises en place" (Olukoshi, p.10). Toutes ces questions sont légitimes; les réponses qu'on y donnera aideront à garantir l'établissement d'un régime politique et social plus durable, que les peuples de l'Afrique pourront par conséquent faire leur et défendre.

Le troisième défi qui nous est présenté est un appel à la régénération morale du continent et de ses peuples. Dans un sens c'est là la question la plus importante, parce qu'elle est au coeur même de tous nos problèmes. Donner une orientation éthique à la vie est l'une des conditions essentielles à la construction d'une société fondée sur une bonne gestion des affaires publiques, sur le respect des droits fondamentaux des citoyens. Une telle société obéira positivement à l'impératif moral que constitue la nécessité de réduire l'incidence de la pauvreté et de l'inégalité. Une société à dimension éthique cherchera aussi à se conformer le mieux possible à la volonté de Dieu dans son traitement de l'individu et l'organisation de la société. La cause de l'Afrique ne sera jamais bien servie par le relativisme moral et la sélectivité si répandus actuellement. Il doit exister quelques valeurs communes, partagées et permanentes qui nous unissent pour toujours. La marque d'un grand peuple est sa capacité de se colleter avec les questions morales de son époque et de jeter les bases d'une bonne société pour les générations actuelles et à venir. Nous révélons l'aspect le plus essentiel de notre nature humaine lorsque nous faisons preuve de sensibilité morale. C'est la marque de l' "ubuntu", le credo sur lequel de nombreux Africains ont fondé un idéal qui affirme que l'humanité d'un individu est liée à l'humanité des autres. Le don le plus précieux que nous puissions léguer aux générations futures est un monde qui soit plus humain, et où règne plus de sollicitude et d'amour.

Voilà ce que me dit la parabole des empreintes fossilisées. Elle m'enseigne que Dieu est grand, non pas parce qu'il est tout-puissant, mais parce qu'il a choisi de vivre parmi nous, êtres humains ordinaires et pécheurs. Tel est l'espérance que l'Afrique est prête à partager avec le monde. Alors que le mouvement oecuménique se rassemble à nouveau sur ce grand continent pour la première fois depuis Nairobi, en 1975, il trouvera une Afrique assoiffée de paix, et plus confiante en l'avenir. Une Afrique remplie de foi et d'espérance.

Bibliographie

Rapport mondial sur le développement humain 1997 et 1998; PNUD
Echoes: Justice, Peace and Creation 14/98; Geneva: WCC
Adebayo O Olokushi (Ed): La politique de l'opposition; Upsal: Nordiska Afrikasinstitut; 1998
Kofi Annan: Les causes de conflits et la promotion d'une paix durable et d'un développement viable en Afrique; Assemblée générale des Nations Unies; Doc A/52/871-S/1998/318.


De la périphérie vers le centre - lettre à mes ancêtres
par Mercy Amba Oduyoye

Chers ancêtres,

Une fois de plus, le Conseil oecuménique des Eglises est en Afrique, et nous, enfants de ce continent, nous voulons tenter de leur montrer cette terre qui est la nôtre, l'héritage venu de Dieu que vous avez sauvegardé pour nous. La dernière fois que ce Conseil est venu en Afrique, nous avons mis en scène notre histoire et notre humanité dans la pièce "Muntu", et quelques-uns d'entre vous étaient présents, en chair et en os. Aujourd'hui, en vous offrant ces paroles comme une libation, mon coeur et mon âme sont remplis de tristesse et d'espoir; c'est contradictoire, mais c'est ainsi. Voyez-vous, je viens de voir le malheur de vos enfants. Je revis dans ma chair, j'entends de mes oreilles les voix pleines de douleur des "esprits des familles du Passage du Milieu" (1). Il n'est pas étonnant qu'Ali Mazrui dise que vous êtes fâchés contre nous. (2) A vrai dire, nous sommes souvent fâchés contre nous-mêmes et nous promettons sans cesse : "Jamais plus". Mais au moment même où nous disons "jamais plus" et que nous renversons l'apartheid, il se trouve que nous récoltons la tempête du racisme à chaque détour du chemin. Nous aspirons à être authentiques, à découvrir la force avec laquelle vous avez résisté à l'annihilation totale de ce que vous aviez reçu de vos propres ancêtres et à l'anéantissement de notre race sur cette terre. Nous aspirons à redécouvrir votre sagesse, car qui sait ? Peut-être pourrions-nous y trouver des idées et une inspiration dans les luttes et les dilemmes que nous affrontons aujourd'hui; car nous aussi, nous résistons à l'absorption totale dans une culture mondiale axée sur l'Europe, une culture que nous n'avons pas contribué à façonner. Nous savons que vous avez quelque chose à nous dire.

Je me souviens de toi, Anowa : tu nous as appris comment vivre en harmonie avec nous-mêmes et avec toute la création.

Je me souviens de toi, Créateur, je me souviens que tu t'es éloigné de la fumée et du feu que l'homme avait créés et que tu as chargé la femme d'enseigner à ses fils d'honorer Dieu et de demander pardon lorsqu'ils avaient fait tort à autrui.

Je me souviens de toi, Dieu aux noms multiples; tu nous as appris à rechercher la réconciliation lorsque nous sommes en conflit, tu nous as donné le padare pour y tenir nos palabres.

Honorables ancêtres, notre terre est en proie à de nombreux conflits et je viens de voir et d'en entendre qu'il y en a d'autres encore. Nous sommes tristes pour vous et pour nous-mêmes. Mais il semble que dans cette tourmente et cette décadence qui règne aujourd'hui en Afrique se trouve la semence de l'Afrique nouvelle prête à germer, afin que notre continent puisse apporter sa contribution spécifique à l'ensemble de l'humanité.

Chers ancêtres, vous aviez une religion, vous étiez guidés par le Créateur. Certains d'entre vous, comme Nehanda, y sont restés attachés jusqu'à la mort. D'autres y ont ajouté des éléments empruntés à l'islam, d'autres encore l'ont enrichie grâce au christianisme, et beaucoup d'entre vous se sont efforcés de l'abandonner entièrement et ont dit que nous aussi, nous devons renoncer à cette religion africaine. Mais vous en avez conservé les éléments essentiels dans le tissu de la culture que vous nous avez transmise. Je ne m'en plains pas. Nous aussi, nous sommes des êtres doués de créativité ; nous avons donc relevé le défi et avons tenté de façonner un christianisme qui ne supprime pas notre africanité, mais qui contribue à l'enrichir. Nous osons chercher la nouveauté, car si nous avons peur des changements pour le mieux, nous serons pris de vitesse par la dégradation et nous disparaîtrons de la face de la terre en tant que peuple distinct.

N'avez-vous pas dit que celui qui ouvre une trace ignore que derrière lui, le chemin est sinueux ? Nous aussi, nous devons assumer la responsabilité de nos choix. Je suis obligée néanmoins de dire à ceux d'entre vous qui ont opté pour le Christ que nous, qui avons suivi vos traces, nous ne cessons d'attrister le Saint Esprit. Souvenez-vous : Jésus, notre ancêtre spirituel, a prié pour que nous ayons la paix et il a souhaité que nous ayons la vie en abondance. Cela se passait il y a près de 2000 ans. Le monde n'a connu depuis lors que peu de périodes de paix. Pour nous, en Afrique, la seule paix que nous ayons connue au cours des 500 dernières années est celle qui a régné lorsque nous avons consenti à notre propre déshumanisation. Je n'oublie pas que certains d'entre vous ont résisté à ce qu'on leur imposait et l'on payé de leur vie terrestre.

J'entends Anowa dire : "C'en est assez". Je vois Jésus qui pleure en voyant combien nous sommes incapables de trouver ce qui peut nous donner la paix et de nous y attacher. Nous l'attristons profondément en refusant de demeurer sous son aile maternelle; en effet, les marchands qui sont autour de nous sont prêts à nous vendre n'importe quelle idéologie pourvu qu'ils se remplissent les poches en nourrissant leur racisme. Il y a peu de temps, les médias occidentaux nous disaient que l'Afrique est "livrée à l'abandon". Nous avons fait notre propre analyse et nous avons dû nous endurcir, car nous avons découvert la réalité : le drainage des ressources de l'Afrique par les compagnies transnationales et la marotte que l'on appelle depuis peu la "mondialisation". Nous connaissons l'exploitation économique qui favorise la misère en Afrique, alors que les Africains enrichissent l'Occident, et l'Orient aussi, de manière croissante. Nous cherchons une issue et un moyen qui nous fassent progresser, et nous comptons sur vous, nos ancêtres, pour nous accompagner jusqu'au bout. Aujourd'hui, nous nous souvenons que :


Nous avons derrière nous des luttes pour la libération : vous les connaissez bien. Aujourd'hui, nous prenons la relève ... et cherchons à retrouver notre humanité perdue. Car c'est bien notre humanité que les puissants d'aujourd'hui, ici et ailleurs, méprisent et ignorent. Aujourd'hui, nous aspirons à une libération culturelle en affinant et en mettant en oeuvre les normes précieuses que vous avez tenté de préserver.

C'est pourquoi, o mes ancêtres, je me permets de vous adresser ces propos. Je suis convaincue que nos héritages, l'africain, le chrétien, et aussi l'islamique, ont quelque chose à nous dire. Même ce que nous avons hérité de l'Occident peut être mis à contribution dans un sens positif. N'est-ce pas vous qui disiez : "Tete wo bi ka, tete wo bi kyere ? [le passé a quelque chose à dire, le passé a quelque chose à nous enseigner"]. Mais le passé n'a rien à imposer.

Prêtez-moi un peu d'attention, mes ancêtres en Jésus. Qu'est-ce que le passé chrétien a à nous enseigner, à nous qui nous débattons dans nos réalités actuelles ? Pouvons-nous trouver un christianisme sain, porteur de santé, en Afrique ? Dites donc quelque chose ! Bien ! Vous aussi, vous avez des questions. Vous nous demandez : Que faisons-nous dans nos organismes communautaires ? Examinons-nous attentivement les concepts d'ajustement structurel, de libéralisation, de privatisation, ou nous contentons-nous de "sauver ceux qui sont en train de périr et de prendre soin des mourants" ? Je vous entends, vous nous encouragez à aller de l'avant : "Allez au-delà du changement, de la transformation, de la reconstruction, afin de pas susciter sans relâche des vies accomplies, de les encourager, de les édifier et de les soutenir dans un environnement plein de beauté. C'est ainsi que vous vous réclamerez de nous et de ce que nous vous avons légué.

Vous nous appelez à prendre position contre l'impunité par laquelle nous violons l'humanité d'autres êtres humains. Vous avez bien raison. Nous nous promettons des jours meilleurs. Nous avons déjà commencé à nous préoccuper des questions relatives à la sensibilité et à l'égalité entre les sexes. Si seulement les Eglises voulaient bien devenir attentives au point de vue des femmes, à leur participation et à leur contribution, nous ne perdrions pas autant d'énergies, ne négligerions pas tant de possibilités. Quels que soient nos contextes et nos ordres du jour, vous nous appelez à être particulièrement attentifs à ceux que le monde considère comme "marginaux". Des voix nouvelles contribueront à façonner l'Afrique de demain. Nous avons fait voeu d'aider à mettre un terme à l'exclusion sociale dans nos communautés ; alors, pourquoi ne commençons-nous pas à le faire dans l'Eglise ?

Jésus, tu as prié pour que nous soyons un; regarde ce que nous avons fait de l'unité sur ce continent ! Nous nous sommes promis de former des responsables qui aient le sens de l'oecuménisme, et de remplacer notre fondamentalisme confessionnel par un zèle ardent pour une mission commune. Nous ne serons pas seulement des partenaires, mais des compagnons, un peuple qui marche avec toi sur la route d'Emmaüs.

Honorés ancêtres, en 1970, David Barrett a fait une déclaration qui, jusqu'au jour d'aujourd'hui, suscite en moi crainte et tremblement. Il l'a intitulée "En l'an 2000, 350 millions de chrétiens en Afrique" (AD 2000, 350 Million Christians in Africa ). Je vous vois sourire, parce que c'est vous qui nous avez dit : "Si la force était droit, l'éléphant serait le roi de la forêt." (4) Quelle force représente donc ce chiffre ? De quel genre de christianisme s'agit-il ? J'ai pensé à l'oignon qui m'a causé un jour une déception intense et profonde; je l'ai perçu comme un message théologique. Ce grand fruit de la terre, à la forme parfaite et à la peau luisante, n'avait en son centre que du vide. Le germe de sa croissance, de sa vie, avait séché. Alors, je demande : Quelle est la théologie et la spiritualité qui sont au coeur du christianisme africain ? Sont-elles desséchées, pourries, ou vivantes ? La pertinence à laquelle nous prétendons dépend de la réponse à cette question.

Ce qui me remplit aujourd'hui de crainte et de tremblement, c'est que dans tous les domaines dont le monde se préoccupe, on perçoit l'Afrique et on la traite comme une entité marginale, excepté dans les cas où elle est considérée comme source de richesse pour les autres et dans le domaine de la foi. Aussi bien l'islam que le christianisme ont un profil bien visibles en ce temps où les gens cherchent désespérément le shalom. Alors, l'observateur inquiet ne peut que demander : De quelle foi, de quelle pratique, de quelle théologie, de quelle Eglise parle-t-on ? Eh bien, ancêtre Blyden, je ne sais pas si tu t'en souviens : tu as un jour prophétisé que l'Afrique deviendrait une source de spiritualité pour le monde entier.(5) J'ignore si le temps est venu pour nous de récolter le fruit de cette prophétie. Mais ce que je sais, c'est que je me pose une question sur laquelle tu pourras peut-être m'éclairer : "Comment le christianisme peut-il devenir un cadre de référence pour l'expression de l'idéal de vie africain, malgré les traits typiques du 19ème siècle qu'il a hérités de l'Occident ?"

Vivant avec ce que nous a légué notre histoire, nous déclarons que le 20ème siècle est le siècle chrétien de l'Afrique. Vous ne nous contredirez pas si nous disons que même si les Eglises des premiers siècles du christianisme étaient concentrées sur les rivages de notre continent, le siècle qui touche aujourd'hui à sa fin a été témoin d'une présence chrétienne plus spectaculaire encore. L'Eglise s'est accrue, c'est vrai, mais bien peu de choses semblent avoir changé depuis 1951, lorsque l'on a pu dire que :

Oui, honorables ancêtres, vous le savez, nous sommes en pleine expansion; il y a aujourd'hui davantage d'Eglises, davantage de missionnaires venus d'autres pays, beaucoup plus de mouvements charismatiques et beaucoup plus de personnes qui confessent le Christ comme leur Sauveur personnel. Ils sont nombreux, ceux qui laissent au Christ le soin de régler son compte à leur ennemi le Diable, et de dissiper la crainte que certains d'entre vous éprouvent, vous qu'ils avaient mis ou commencent aujourd'hui à mettre au nombre des démons. Nous aussi, nous désirons laisser une trace de foi, et nous allons oeuvrer dans ce sens avec fidélité. Nous ne nous faisons pas d'illusions. Si nous nous élevons contre la triste image de l'Afrique diffusée par les médias occidentaux, c'est en étant pleinement conscients de nos complicités et de l'exploitation qui existe chez nous. Bessie Head a fait observer que "à la racine de toutes les tricheries et du vol", il y a le "mépris des gens". Les personnes qui sont aux commandes des affaires africaines ou celles qui sont en rapport avec l'Afrique, disent que les gens "ne savent rien, parce qu'ils ne savent ni lire ni écrire". (7) Nous nous méprisons nous-mêmes, comme d'autres nous méprisent, tout en proclamant que la sagesse ne vient pas en lisant ou en écrivant beaucoup de livres. Nous sommes conscients de nos "déficits sociaux". Nous subissons ou infligeons à d'autres Durant la seconde moitié de notre siècle, comme d'ailleurs durant la première, nous avons vu des hommes politiques, des agents coloniaux, des civils et des militaires traiter de cette manière ceux qui s'opposaient à eux. Dans un autre contexte, c'est là l'image de la strangulation de l'économie africaine par les pouvoirs de la finance mondiale, qui fait dire à Mazrui : "Y a-t-il encore une vie possible après la dette ?" (9)

Si nous ne pouvons pas survivre et remporter la victoire, nous ne sommes pas vos enfants. C'est en présence de toute cette sorcellerie financière que Mazrui affirme que l'Afrique possède un moyen de pression, car nous avons ce qu'il appelle un "contre-pouvoir". On définit le contre-pouvoir comme "le pouvoir qu'exercent ceux qui, au sens absolu du terme, sont les plus faibles sur ceux qui, selon des critères objectifs, sont les plus forts". En effet, dit-il, il y a un pouvoir inhérent au fait d'être débiteur, car "la menace de son insolvabilité rend le créancier vulnérable." (10) Il y a un endettement mutuel qui, selon le lobby chrétien, ne peut être résolu que par la remise des dettes. L'Eglise d'Afrique dit-elle ou fait-elle autre chose face à cette situation économique qui semble bien être à la racine du dénigrement de notre humanité ? (11) En 1995, la CETA a organisé un colloque sur "Démocratie et développement en Afrique : le rôle des Eglises". Le rapport de ce colloque a été publié par J.N.K. Mugabi. Dans ce volume, nous trouvons quelques pistes pour nous guider dans notre quête.

Nananom, tu es proche de nous et tu es témoin du fait que la "sagesse" politique qui émane des organismes religieux est tombée très bas en Afrique. L'effondrement spectaculaire des structures qui étaient à ton service ne nous a pas aidés, et là où elles perdurent, elles se trouvent souvent en conflit avec l'occidentalisation qui nous est imposée. Nous avons encore des mosquées et des Eglises. Elles ont la possibilité de toucher de près la vie des gens au moins une fois par semaine, sans parler des rencontres quotidiennes de chacun avec ces racines vives de nos nations. Mais on ne cesse de se demander : "Que fait-on de ces possibilités?"

Les partis politiques utilisent les occasions qu'ils ont de cultiver leurs relations avec les gens pour les mobiliser en faveur de leurs intérêts, qu'ils prétendent être ceux de la nation. Mais ce qui en résulte est ambigu, car s'ils expriment les besoins des gens, nos chefs politiques sont aussi dans l'obligation de réaliser "des projets de démocratisation et de contrôle de la population venus de l'étranger"; la mondialisation exige des ajustements structurels de l'économie qui renvoient aux gens eux-mêmes et aux initiatives des communautés, appelées "société civile", la responsabilité de leur propre survie. Je suis troublée, chers ancêtres. "A quoi servent nos impôts, sinon à l'entretien des armées et de forces de police mal équipées ?" Les problèmes complexes de la politique et de l'économie nous ont submergés et ils ont eu pour effet une dégradation de la société, si bien que les gens sont à la recherche d'un soutien spirituel. "Que font donc les Eglises pour réagir ?"

Le colloque que je viens de mentionner nous met clairement en garde : "Il est trompeur et dangereux de prêcher un Evangile de la prospérité dans un contexte de pauvreté généralisée." Trompeur, parce que nous n'amenons pas les gens à analyser les "contraintes socio-économiques qui empêchent de nombreuses communautés africaines de vivre décemment." (12) Dangereux, parce que nous prétendons que la religion est un "agent de bonheur", mais nous ne donnons pas aux gens le moyen de rechercher ce bonheur. Et surtout, c'est faire oeuvre mensongère que de continuer à enseigner que la religion et la politique n'ont rien à voir l'une avec l'autre, alors que toutes deux prétendent pourvoir au bien-être des gens. C'est un mensonge, car tant que nous sommes de ce côté-ci de la tombe, nous ne saurions séparer l'âme du corps; nous devons donc veiller à ce que la religion soit au service de notre humanité.

Ancêtres bien-aimés, vous avez laissé votre peuple devenir de la main-d'oeuvre, puis vous avez abandonné la terre à la colonisation. Vous avez été les premiers à faire l'expérience de la mondialisation de notre économie. On vous a forcés à abandonner la gestion traditionnelle de l'Etat et vous êtes entrés dans l'ère de l'Etat moderne et de la "vague noire" qui a fait son entrée à l'ONU dans les années 1960. (13) Ainsi, nous, vos enfants, nous avons été englobés dans une culture mondiale axée sur l'Europe. Je ne prétends pas que tout y soit absolument mauvais. Certains d'entre nous, vos enfants, avons la possibilité de communiquer entre nous par-delà des frontières de nos langues maternelles grâce aux langues impériales. Mais quelle que soit la langue que nous parlons, nous nous trouvons soumis à des lois "internationales" de type européen à l'élaboration desquelles nous n'avons pas participé. Je savais que vous alliez dire : "Mais vous pouvez en changer quelques-unes". Nous devons nous débarrasser du sentiment d'infériorité, soigneusement entretenu par certains, qui nous saisit lorsque nous nous trouvons face à la science et la technologie occidentales. Je sais que vous allez me faire observer que la technologie n'a pas de race et que d'aucuns sont entrés dans son orbite qui n'étaient pas d'origine européenne et n'ont pas connu la colonisation. Je suis d'accord, et j'ajouterai même : "C'est aussi le cas de certains peuples anciennement colonisés". Rien ne nous empêche de nous joindre à eux.

Vous, nos ancêtres, vous avez affirmé que vous restiez présents, pour nous encourager à travailler; vous pouvez donc aussi vous sentir chez vous au sein de la chrétienté mondiale. Nous ne nous joindrons plus à ceux qui font de vous des démons dans leurs traductions et dans leur théologie. Nous nous rendons compte aujourd'hui que le pluralisme culturel et religieux est une réalité dans le monde entier. Nous affirmons donc qu'en le prenant au sérieux, nous devons aussi prendre au sérieux la religion africaine. Ceux d'entre nous qui sont chrétiens devront apprendre à être à la fois authentiquement africains et authentiquement chrétiens. Nous sommes mis en demeure de lutter pour apporter notre contribution à la chrétienté du monde entier et à l'oecuménisme chrétien.

Nous nous réclamons de nos racines; alors, tout en nous distançant de cultures locales que nous trouvons déshumanisantes, nous demeurerons fidèles à notre héritage africain. Cela signifie que nous devons examiner très attentivement tout changement dont l'initiative vient de l'extérieur, car nous aussi, nous portons la responsabilité de contribuer au changement et à l'élaboration de l'histoire et de la culture du monde.

Vous avez entendu les témoignages de vie que j'ai entendus aujourd'hui. Nous sommes confrontés à la tâche de desserrer l'emprise étouffante de l'Occident sur l'Afrique. L'eurocentrisme prononcé des cinq cents ans écoulés a aussi laissé des traces sur cette culture du monde. Nous devons lutter avec une détermination accrue pour bâtir sur la base des valeurs que votre expérience a façonnées. Nous devons acquérir une vision entièrement nouvelle de nous-mêmes et une attitude positive qui ouvrira de nouvelles perspectives. Idowu et Mazrui comparent tous deux l'Afrique à une femme. Je leur pardonne leur sexisme. Mazrui utilise pour en parler l'expression "le continent femme" - passive, patiente, pénétrable" (14). Dans son livre African Traditional Religion : a Definition (La religion traditionnelle africaine : une définition), Idowu compare les attentes des grandes puissances à l'égard de l'Afrique à ce que la plupart des sociétés attendent des femmes :

De même que les femmes se rebiffent face à ces stéréotypes, de même l'Afrique doit refuser cette typologie féminine. Nous avons participé à la transformation du monde. Nous avons pris part à l'évangélisation de l'Afrique, dès les origines du christianisme et au cours des siècles qui ont suivi. Il est de notre devoir de préciser la manière dont nous allons aider la postérité à construire le respect qu'elle doit avoir envers elle-même.

En ce moment, nous continuons à subir l'influence occidentale et nous ne semblons pas être en mesure de manifester notre interdépendance, de manière à aider nos enfants à vivre dans le respect de soi. L'Occident continue à se mêler de la manière dont nous gérons nos économies et fait le procès de notre politique, parce qu'il a besoin de nos pour son marché et ses investissements. Nos richesses ont contribué à son développement; nous pouvons donc exiger qu'il renforce nos structures régionales. Nous pouvons et devons penser à l'échelle panafricaine. Nous pouvons et devons penser et oeuvrer en faveur du changement. Nous l'avons fait en Afrique du Sud, où nous avons arraché notre humanité à l'étau du racisme. Que fera l'Afrique du Sud de cette toute nouvelle dignité, au niveau de l'Afrique et du monde entier ?

Le monde tire de l'Afrique des minéraux et nous avons un pouvoir numérique aux Nations Unies. Ne devrions-nous pas utiliser ces atouts pour obliger les compagnies transnationales à devenir plus responsables ? Il me semble qu'au travers de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, la communauté internationale a sacralisé l'argent et l'a même mis au-dessus des Etats. Ne pourrions-nous pas laisser nos diamants, notre or et notre pétrole reposer dans les entrailles de la terre si nous ne parvenons pas à les faire servir au bien de l'Afrique ?

Nous qui sommes si massivement christianisés, ne pourrions-nous pas nous mettre à exercer une influence sur la forme que va prendre le christianisme dans le monde, ou tout au moins sur la manière spécifiquement africaine dont nous allons pratiquer et articuler notre foi ? Qui sait ? D'autres peut-être apprécieront notre manière de leur parler, ou en tout cas, nous renforcerons et enrichirons la diversité et la variété des manières de vivre la foi. Nous contribuerions de la sorte à façonner l'histoire du christianisme et à illustrer la portée universelle de la venue de Jésus Christ. Le christianisme occidental a été en général une force de "désafricanisation", mais rien ne nous oblige à laisser cet état de choses se perpétuer. Vous, nos ancêtres, vous attendez mieux de nous. Alors, avec vous qui faites partie de la grande nuée de témoins, j'appelle mes soeurs et mes frères de souche africaine à la conversion et à l'engagement ; nous ne saurions faire moins.
 


Appel à la conversion et à l'engagement



Bibliographie

Engagement pour un pèlerinage de l'espérance

NOTRE AFFIRMATION

CELEBRANT 1:
Devant toi, ô Dieu, Créateur de l'univers, toi qui portes nos souffrances et donnes la vie, en présence de nos ancêtres et des peuples de tous les coins du monde,
Nous affirmons, sur cette terre que tu nous as donnée comme un don à garder de génération en génération :
Notre foi est renouvelée en ton nom, car en toi notre tristesse et nos souffrances seront changées en joie et en espérance !

TOUS:
Nous savons que nos aïeux, en se tournant vers Dieu, ont pu survivre, résister à l'esclavage et à la dépopulation, à l'occupation coloniale et à la décadence de leur culture, aux invasions culturelles et religieuses ; du fond de leur souffrance, ils ont pu louer Dieu dans la joie et l'espérance.

Ce sont ces témoignages de vie et de dignité, de courage et de sacrifice qui ont inspiré les pères et les mères du panafricanisme et les pionniers de l'indépendance africaine.

Nous nous réapproprions aujourd'hui cette réalité et l'offrons à la génération montante.

CELEBRANT 2:
De tout notre coeur, nous sommes à l'écoute de ce que l'Esprit attend des Eglises,  à l'écoute de la réponse du peuple de Dieu en Afrique aujourd'hui.

Dans la liberté de l'Esprit, nous sommes devenus fils et filles de Dieu, car nous n'avons pas reçu un esprit qui nous ramène à l'esclavage et à la crainte.

TOUS:
Nous refuserons d'être gouvernés par les pouvoirs et les principautés de ce monde, et de devenir leurs otages.
Nous ne nous laisserons plus asservir par rien ni personne. Rien ne nous ramènera aux temps de l'oppression et de l'exploitation.

CELEBRANT 1:
En nous tournant vers toi, ô Dieu, nous nous rapprocherons les uns des autres. Nous reconstruirons sur les ruines du passé une nouvelle vision de vie et de justice afin de rendre l'espérance à notre peuple.

TOUS:
Par nous-mêmes et au nom de tous les fils, de toutes les filles de ce grand continent, avec cette assemblée oecuménique pour témoin, nous revendiquons notre dignité en tant que peuple de l'Afrique sur ce continent et dans la diaspora.

Nous partageons une même identité avec le reste de l'humanité et affirmons que nous avons notre propre place dans l'histoire humaine.

    (ROULEMENT DE TAMBOURS)

NOTRE PROCLAMATION
CELEBRANT 2:
Que tous ceux qui disent qu'il n'y a pas d'espoir pour l'Afrique sachent que nous sommes le peuple de Dieu, appelés à nous réjouir dans l'espérance.

Ce pays si fertile, dans lequel nous avons été placés, regorge d'or et d'argent, et du pétrole qui fournit de l'énergie à l'humanité. C'est une terre sacrée, riche de l'héritage et des origines de la vie.

TOUS:
Mais notre peuple demeure dans la pauvreté, il est accablé par la lourde charge de la dette. Et nous voyons avec inquiétude les lois impitoyables du commerce mondial piller et brader nos biens précieux.

CELEBRANT 1:
Devant Dieu, le Créateur, et en présence du peuple de Dieu, nous proclamons l'année du Seigneur!

TOUS:
Nous demandons la remise de la dette afin que notre terre soit libérée et que nous puissions produire ce qui est nécessaire à nos enfants,

et que tout emprunt futur se fasse avec l'assentiment de notre peuple. Alors seulement, nous assumerons la responsabilité de recevoir et de rendre.

CELEBRANT 2:
Que l'Esprit de Dieu descende sur nous et transforme nos coeurs et notre condition, afin que nous ne devenions pas à notre tour un fardeau pour nous-mêmes et pour celles et ceux que nous servons.

TOUS:
Que le Dieu de la vie guide nos pas et nos esprits car nous ne voulons pas faire en vain ce pèlerinage de l'espérance.

CELEBRANT 1:
Nous, peuple d'Afrique, avec l'Eglise réunie pour cette Assemblée, nous reconnaissons que la corruption est une réalité universelle et qu'elle sévit dans nombre de nos institutions et de nos gouvernements.

La corruption est un péché dont les conséquences sont immorales et criminelles. Nous nous repentons de ce péché qui sévit au milieu de nous et, en demandant à Dieu son pardon, nous prenons la résolution de l'éradiquer et de restaurer l'intégrité dans toutes nos institutions. Nous reconnaissons aussi, et avons en horreur, les tendances de la mondialisation qui encouragent la corruption et engendrent la misère au sein de notre peuple.

    (ROULEMENT DE TAMBOURS)

NOTRE ALLIANCE AVEC DIEU
TOUS:
Nous, peuple et Eglises d'Afrique, nous rendons grâces pour toutes les bénédictions que Dieu nous a accordées.

CELEBRANT 1:
Nous reconnaissons que les dirigeants africains ont commis dans le passé et commettent aujourd'hui encore des crimes contre leur propre peuple.

TOUS:
Nous nous repentons des péchés que nous avons commis les uns contre les autres et nous te supplions, ô Dieu, de guérir notre pays et de nous délivrer de tout mal.

CELEBRANT 2:
Nos coeurs aspirent à être délivrés du désespoir, pour que nous demeurions constants dans la foi, car Dieu a promis de restaurer notre dignité et de réaliser nos rêves.

TOUS:
Que Dieu nous accorde la sagesse et la connaissance qui nous permettront de mobiliser toutes les bonnes volontés qui se manifestent en faveur d'une nouvelle vision de la vie pour notre peuple d'Afrique et pour le monde entier.

CELEBRANT 2:
Renouvelons notre foi en Dieu qui est amour, en qui notre avenir est assuré et notre deuil changé en grande joie.

TOUS:
Nous, peuple d'Afrique, sur ce continent et dans la diaspora,
notre dur passé nous a été rappelé,

mais nous sommes inspirés par les témoignages de la résistance, du courage et des sacrifices de nos ancêtres,

et affermis par des signes d'espérance tels que le nombre croissant de peuples qui acceptent d'être gouvernés démocratiquement, la fin du régime de l'apartheid et l'activité de la Commission "vérité et réconciliation" en Afrique du Sud,

nous renouvelons ici notre engagement de reconstruire et réédifier nos communautés et d'oeuvrer sans nous lasser pour l'avenir de Afrique, un avenir de vie abondante. Nous nous engageons  :

à poursuivre la tâche encore inachevée de transformer nos institutions et nos systèmes sociaux, politiques et économiques, afin de construire une société juste et sans exclusive ;

à rechercher la paix et la réconciliation au sein de notre peuple et de nos communautés ;

à établir des valeurs éthiques dans les domaines du travail, du gouvernement et de l'entreprise et à oeuvrer pour une bonne gestion de ce qui nous est confié ;

à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour vaincre le fléau du SIDA;

à affirmer le droit des enfants africains à l'espérance en un avenir radieux que nous contribuerons à façonner, de toutes nos forces et de tous nos talents.

Nous renouvelons donc notre alliance avec Dieu en accomplissant ces promesses, et nous invitons les hommes et les femmes de bonne volonté, et tout particulièrement les participants à cette Assemblée, à nous accompagner dans ce pèlerinage de l'espérance.

CELEBRANT 1:
Bien que l'on nous ait relégués à la dernière place, nous savons, en tant que berceau de l'humanité, que Dieu nous a aimés les premiers. Bien que certains nous rejettent, nous accueillerons nos frères et soeurs humains des autres coins du monde dans la maison de Dieu.

CELEBRANTS AVEC TOUTE L'ASSEMBLEE:
Car nous nous tournerons à nouveau vers Dieu dans la joie de l'espérance.

    (ROULEMENT DE TAMBOURS - CHANT DE JUBILATION)


Séances délibérantes de l'Assemblé
Huitième Assemblée et Cinquantenaire
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